Confidentiel
Berne, 6 mai 1940
Nous avons eu l’honneur de recevoir les lettres des 29 avril et 2 mai2 par lesquelles vous avez bien voulu nous mettre au courant des ouvertures qui vous ont été faites au sujet de l’évacuation en France de notre or et de nos valeurs. Nous en avons pris connaissance avec un vif intérêt et nous vous en remercions vivement.
Nous vous approuvons fort de vous être borné à écouter les déclarations qui vous ont été faites. Quel que soit l’intérêt que nous pourrions avoir, dans le cas d’une attaque allemande, à pouvoir mettre en lieu sûr en dehors de nos frontières notre or et nos valeurs, dans des conditions qui nous en assureraient néanmoins la pleine disposition, notre neutralité nous impose dans ce domaine la même circonspection que celle qui nous empêche de régler à l’avance une collaboration militaire, malgré les avantages qui en résulteraient. Des pourparlers, même purement préliminaires, doivent donc être évités. Le fait que la Belgique se montrerait moins réservée ne saurait modifier notre point de vue. Il vous est loisible, en revanche, de chercher à nous tenir au courant des négociations franco-belges, afin de pouvoir, si les circonstances le voulaient, obtenir du Gouvernement français les facilités qu’il aurait concédées à un autre pays.
Au cas où vous auriez de nouvelles conversations sur cette question délicate, vous ne contreviendriez pas à la vérité en déclarant que la question de la mise en lieu sûr de l’or et des valeurs a fait l’objet en Suisse d’études très poussées et de mesures qui ôtent à un envahisseur, de quelque côté qu’il vienne, la possibilité de mettre la main par surprise sur des quantités importantes d’or et de valeurs. S’il n’y a pas de retraites inexpugnables, il sera pourtant possible, croyons-nous, d’assurer, après le commencement des hostilités, l’évacuation de nos réserves financières. Ces mesures ne concernent pas seulement la Confédération et la Banque Nationale, mais les banques privées qui ont pris depuis longtemps des précautions efficaces. On peut donc espérer qu’il a été paré au péril dont on a cherché parfois à faire un épouvantail.
Quant au voyage que M. Rossy a fait la semaine dernière à Paris, il avait pour l’objet l’étude d’une question connexe, bien qu’assez différente et strictement commerciale. Il s’agissait de trouver le moyen de faire parvenir à New York une certaine quantité d’or, beaucoup moins pour la mettre en sûreté que pour la déposer en un lieu où sa réalisation soit possible. M. Rossy se loue de l’esprit extrêmement compréhensif et amical avec lequel la Direction générale de la Banque de France s’est prêtée à cette étude et a proposé des solutions. Ce problème technique a, toutefois, exigé de si nombreux entretiens que M. Rossy n’a pu mettre à exécution son projet d’aller vous voir et de vous mettre au courant. Il se propose de vous écrire directement3.
Le Directeur général de la Banque Nationale a entendu parler à la Banque de France de la question qui fait l’objet du début de cette lettre. Il estime comme nous que, pour le moment, il n’est pas possible d’entrer en matière4.