Classement thématique série 1848–1945:
II. RELATIONS BILATÉRALES
A. AVEC LES ÉTATS LIMITROPHES
3. Italie
3.3. Transports, transit, douanes
Également: Lettre de laa Division du Commerce du Département de l’Economie publique au Ministre de Suisse à Rome, P. Ruegger, du 27.4.1939 (CH-BAR#E2200.19-01#1000/1723#2*).
Pubblicato in
Documenti Diplomatici Svizzeri, vol. 13, doc. 44
volume linkBern 1991
Dettagli… |▼▶Collocazione
Archivio | Archivio federale svizzero, Berna | |
▼ ▶ Segnatura | CH-BAR#E7110#1967/32#28792* | |
Vecchia segnatura | CH-BAR E 7110(-)1967/32 1225 | |
Titolo dossier | Verhandlungen, Verschiedenes (1939–1939) | |
Riferimento archivio | 821 • Componente aggiuntiva: Italien |
dodis.ch/46801
Le Ministre de Suisse à Rome, P. Ruegger, au Directeur de la Division du Commerce du Département de l’Economie publique, J. Hotz1
Par lettre du 11 de ce mois2, vous avez bien voulu me faire part des informations que notre Légation à Paris a pu recueillir au Quai d’Orsay, en ce qui concerne les circonstances dans lesquelles le Gouvernement français avait sollicité, en faveur des transitaires français à Modane, le traitement dont bénéficient les maisons d’expédition à Chiasso.
Après avoir examiné encore à fond toute la question avec un fonctionnaire de l’Ambassade de France qui, très amicalement, nous a ouvert son dossier (en nous demandant cependant la plus grande discrétion et en nous priant de ne jamais faire savoir, ni à Rome, ni à Paris, d’où nous tenions nos informations), nous ne pouvons que vous confirmer notre rapport du 2 février dernier3. Le fonctionnaire avec lequel s’est entretenue notre Légation à Paris, ou bien n’était pas au courant de toute la question, ou bien il a cru nécessaire de cacher la vérité, car on se rend fort bien compte du côté français - à l’Ambassade de Rome tout au moins - que la tactique suivie par la France dans cette affaire n’est pas pour nous faciliter les choses.
Nous avons vu nous-mêmes une note, datée de 1932 (alors que les décrets-loi invoqués par le Quai d’Orsay, vis-à-vis de notre Légation, comme base des revendications françaises portent la date du 30 octobre 1935 et du 16 avril 1936), par laquelle l’Ambassade de France, à Rome, sollicitait des Autorités italiennes, pour les transitaires français à Modane, les facilités accordées aux maisons d’expédition à Chiasso. Le Ministère italien des Affaires étrangères avait alors répondu que le statut de Chiasso représentait une concession unique faite par l’Italie en raison de circonstances d’ordre international tout à fait spéciales, concession dont profitaient toutes les maisons d’expédition de n’importe quelle nationalité, donc sans discrimination entre maisons suisses ou italiennes et maisons françaises, alors qu’à Modane l’Italie avait créé le monopole des opérations douanières en faveur des Chemins de fer italiens, monopole qui excluait l’intervention de tous les transitaires, aussi bien italiens, que français, qu’étrangers en général.
Les Autorités françaises ont alors essayé (sans beaucoup d’empressement d’ailleurs, parce qu’au fond, le nombre des opérations de dédouanement à Modane, direction Italie-France, était encore suffisamment important pour fournir assez de travail aux transitaires français et italiens et aussi parce que l’Ambassade ne désirait pas des complications se reflétant sur la politique entre les deux Pays) de soutenir que la clause de la nation la plus favorisée contenue dans le Traité de Commerce italo-français obligeait l’Italie à accorder aux transitaires français à Modane, pour le trafic France-Italie, la même situation existant à Chiasso. L’Italie répondit que ladite clause ne visait que les concessions tarifaires et d’autres concessions douanières intéressant les échanges des deux Pays, mais ne pouvait pas concerner un statut particulier, comme celui des maisons d’expédition, réglé, du reste, dans un échange de notes à part.
Retenons ce point.
L’Ambassade de France laissa alors tramer la question, se rendant compte que la clause de la nation la plus favorisée figurant dans les Traités de Commerce en général ne fournissait pas des arguments très probants, vu qu’elle avait été impunément violée un peu partout dans le domaine du contingentement, de sorte qu’il pouvait paraître quelque peu risqué de fonder toute l’argumentation sur la clause dont il s’agit, pour obtenir gain de cause dans une question étrangère, en somme, au trafic des marchandises, objet principal du Traité de Commerce italo-français. L’affaire en était là, lorsque survinrent les mesures de contingentement général en Italie; la forte réduction de trafic à Modane et, en conséquence, le désir des transitaires français d’éloigner les concurrents italiens; les décrets-loi français des 30 octobre 1935 et 16 avril 1936 réglant la profession des commissionnaires en douane et donnant à la France un nouvel argument pour solliciter la réciprocité de traitement dans ce domaine. C’est alors que l’Ambassade reçut pour instruction de reprendre la question sur cette nouvelle base avec les Autorités italiennes, vu les plaintes des transitaires français à Modane. L’Italie répondit que la réciprocité était garantie à la France, puisque dans toutes les douanes du Royaume les transitaires français pouvaient effectuer les opérations douanières, sauf à Modane, où il y avait une situation de monopole. La France se serait peut-être rendue à cet argument - d’après ce que prétend l’Ambassade - si entre-temps la situation politique entre les deux pays ne s’était pas envenimée, surtout au cours de l’été dernier, lorsque l’Italie arrêta tout à coup le tourisme vers la France et procéda à l’expropriation de plusieurs propriétés que des citoyens français possédaient depuis de longue date sur territoire italien, à la frontière italo-française. A ce moment-là la France, un peu par mesure de représailles et un peu parce que les transitaires français à Modane profitèrent de la mauvaise humeur surgie en France à la suite des mesures que je viens de rappeler, posa à l’Italie, par l’entremise d’une délégation française et de son Ambassade, le «aut aut» dans le sens que si l’Italie n’autorisait pas les transitaires français à effectuer des opérations douanières à Modane pour le trafic direction France-Italie, la France empêcherait les transitaires italiens établis à Modane d’intervenir en douane pour le trafic direction Italie-France. Il est vrai que les Français commencèrent par solliciter la concession sur la base du principe de la réciprocité prévu par les décrets-loi français rappelés ci-dessus, mais lorsque l’Italie insista, quant à ce point, sur l’argumentation également déjà mentionnée plus haut, alors les Français répondirent que le Traité d’Etablissement italo-français4 garantissant l’exercice réciproque des professions et renfermant la clause de la Nation la plus favorisée, ne permettait pas à l’Italie de refuser à la France ce qu’elle octroyait à la Suisse. Le Sénateur Giannini tenta alors de soutenir que les Français bénéficiaient du traitement national, mais les Français sollicitèrent l’application intégrale de la clause et n’ayant pas obtenu tout de suite satisfaction, ils ont retiré aux transitaires italiens à Modane l’autorisation d’exécuter des opérations douanières, en les obligeant de quitter Modane. A l’Ambassade on ignore si de ce fait le nombre des familles italiennes qui ont dû quitter Modane s’élève vraiment à 300, comme le prétendent les Autorités italiennes. Le Sénateur Giannini protesta vivement, vis-à-vis de l’Ambassade de France à Rome, contre cette mesure et menaça de faire des représailles. L’Ambassade lui fit remarquer que les représailles avaient déjà été faites par l’Italie et obtint même que la Presse italienne ne fasse pas de bruit autour du départ obligé de Modane, des transitaires italiens et de leurs familles. Le Sénateur Giannini déclara alors qu’il considérait la question en suspens et qu’il se faisait fort d’amener la Suisse à abandonner le statut de Chiasso.
Les informations que je viens de vous rapporter, à titre d’ailleurs très confidentiel, prouvent bien que M. Bagli a enfin trouvé, au Ministère des Affaires étrangères, un puissant allié dans sa tentative de démolir l’organisation douanière de Chiasso. Cela ne saurait nous laisser indifférents.
Le noyau de la question réside donc bien dans le point relatif à la réclamation soutenue par la France. Nous ne savons pas si l’Allemagne a aussi réclamé, en faveur de quelques douanes à la frontière italo-allemande, des concessions analogues à celles dont nous bénéficions à Chiasso. Le fait est, que le Sénateur Giannini a bien précisé que les motifs qui poussaient l’Italie à solliciter la suppression de l’Echange de Notes du 27 janvier 19235, résidaient dans les difficultés d’ordre international que le statut douanier de Chiasso avait valu à l’Italie, à cause des réclamations de pays tiers. Les irrégularités commises par les maisons d’expédition à Chiasso ont été mentionnées, mais comme point secondaire. Il s’agit donc pour nous d’approfondir tout d’abord la question de savoir si la clause de la nation la plus favorisée contenue dans le Traité d’Etablissement italo-français constitue une base juridique suffisante pour justifier la réclamation de la France. Il suffirait peut-être d’étudier la question sous un angle plus général, en examinant si, au cas où le traitement de la nation la plus favorisée serait accordé par l’Italie à un Etat tiers, dans un Traité d’établissement visant entre autres l’exercice des métiers et des professions, le dit Etat tiers pourrait réclamer un statut douanier analogue à celui de Chiasso, pour une des douanes quelconques qu’il aurait en commun avec l’Italie. Ce qu’il y a de décevant dans cette question (et nous ne manquerons pas de le rappeler à l’Italie dans la forme consentie), c’est que même si nous étions amenés à renoncer au statut de Chiasso, la France n’autoriserait presque certainement pas le retour des transitaires italiens à Modane6. En effet, tant que l’Italie exclut les expéditionnaires italiens et étrangers des opérations douanières dans le trafic France-Italie, à Modane, pour laisser aux Chemins de Fer de l’Etat le monopole des dites opérations, il est peu probable que la France admette, elle, que les transitaires italiens puissent opérer à Modane, dans le trafic Italie-France. Cela à cause du principe de réciprocité établi par les deux décrets-loi susmentionnés. MM. Giannini et Bagli croient le contraire; peutêtre à tort. Nous ne manquerons pas de soulever cette question, bien qu’elle soit délicate en elle-même, parce qu’elle renferme un très fort argument en faveur du maintien du statut de Chiasso. M. Bagli ne s’y laissera peut-être pas prendre, car il veut à tout prix la fin de l’organisation de Chiasso, mais le Sénateur Giannini réfléchira sans doute à ce point très important. Et s’il se décide à poser la question aux Français, il recevra peut-être une réponse conforme à nos intérêts.
En d’autres mots, nous devons nous battre sur les arguments:
1) La clause de la nation la plus favorisée contenue dans un traité d’établissement ne donne pas le droit à l’Etat qui en bénéficie de solliciter les faveurs spéciales accordées à un autre Pays, pour des raisons tout à fait particulières, sur un point de frontière déterminé. Sur ce point, qui constitue, je le répète, le noyau de la question, j’attends avec intérêt de connaître votre opinion et l’argumentation que vous désirez, le cas échéant, faire valoir. A première vue, il me semble que des garanties réciproques, d’Etat à Etat, en faveur de l’exercice des professions, ne peuvent être invoquées dans le cas qui nous occupe.
2) Du point de vue pratique, l’Italie n’obtiendra presque certainement pas l’autorisation, pour ses transitaires, de se réinstaller à Modane, même si elle arrive à supprimer les clauses italo-suisses concernant Chiasso. Donc l’Italie - en insistant dans son idée de dénoncer l’Echange de Notes dont il s’agit - soulève une question qui a tout l’air d’une pure chicane, vu qu’elle ne règle pas les difficultés internationales sur la base desquelles le Royaume affirme baser sa requête vis-à-vis de nous.
3) Les conditions dans lesquelles se développent les opérations douanières à Chiasso sont telles qu’avec un peu de bonne volonté de la part de la Direction Générale des Douanes à Rome, dans le cadre des dispositions précises du Traité de commerce, elles pourraient donner satisfaction aux intéressés et écarter les inconvénients qui se produisent à Chiasso, de temps en temps, à cause surtout de l’attitude de la Direction Générale des Douanes italiennes. Sur ce point, nous aurons à nous référer à vos lettres des 9 février7 et 10 mars8, de même qu’à l’exposé de M. le Conseiller national Rusca9.
Nous attendons donc encore vos instructions sur le point résumé sous chiffre 110.Si entre-temps le Sénateur Giannini nous faisait de nouvelles déclarations au sujet de la question dont il s’agit, nous commencerions par lui exprimer notre surprise en ce qui concerne la réponse de l’Istituto Nationale per i Cambi con l’Estero à quelques-unes de nos Banques, étant donné que nous ne pouvons en aucun cas admettre que l’Echange de Notes du 27 janvier 1923 a déjà été dénoncé par le Gouvernement italien ainsi que le prétend l’Institut précité. Nous discuterions ensuite avec lui les autres arguments rappelés ci-dessus.
En vous priant de considérer comme confidentielles les informations que nous avons obtenues à l’Ambassade de France[...].
- 1
- Lettre: E 7110 1967/32/ 821 Italien (3) 1939. Traité de Commerce italo-suisse. Annotation manuscrite de Ruegger au haut de la lettre: Par courrier spécial.↩
- 2
- Lettre (non reproduite) avec, en annexe, la copie d’une lettre du Ministre de Suisse à Paris, W. Stucki, au Directeur de la Division du Commerce du Département de l’Economie publique, J. Hotz, du 7 mars 1939; cf. E 2200 Rom 23/1.↩
- 3
- Non reproduit; cf. aussi E 2200 Rom 23/1.↩
- 4
- Annotation sténographique en marge: Wegen Niederlassungsvertrag an Gesandtschaft bereits geschrieben.↩
- 5
- Cf. FF, 1923, I, pp. 253 ss.↩
- 6
- Annotation sténographique dans la marge: Also hätte unser Verzicht gar keinen praktischen Wert für Italien gehabt.↩
- 7
- Cf. No 23.↩
- 8
- E 2200 Rom 23/1↩
- 10
- Lettre non reproduite du Directeur de la Division du Commerce du Département de l’Economie publique, J. Hotz, au Ministre de Suisse à Rome, P. Ruegger, du 29 mars 1939 demandant un supplément d’information. Une sorte d’«instruction» est reproduite en annexe.↩
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