Je saisis l’occasion du départ d’un courrier pour compléter le résumé fait dans mon rapport d’hier (R.P.38)2 de mes dernières entrevues avec l’Ambassadeur de France près le Quirinal.
Suivant l’exemple de certains diplomates français, M. François-Poncet a voulu faire des pronostics quelque peu sombres sur la situation dans laquelle nous pourrions nous trouver d’ici quelques mois et, notamment, dans l’éventualité d’un conflit «entre les deux axes», comme il s’est exprimé. Les propos qu’il m’a tenus peuvent sans doute répondre, en partie, au désir de la France de nous voir accélérer notre préparation militaire. D’un autre côté, M. François-Poncet m’a parlé avec l’accent d’une préoccupation sincère.
«Il ne faudrait pas oublier dans votre pays», disait-il, «que Hitler - que je connais bien - est un anormal. Il est persuadé qu’il aura peu de temps à vivre; et il est tout aussi persuadé que tout programme allemand de remaniement territorial qui ne se fera pas de son vivant, ne se fera plus. Or, ce solitaire a parfois des habitudes dangereuses. Il médite devant des cartes géographiques ou joue avec son crayon.
»Maintenant, il est arrivé à la conviction que la frontière franco-allemande doit rester intangible. Ce travail de conviction s’est-il opéré dans son cerveau aussi en ce qui concerne d’autres frontières? L’irascibilité du Führer en présence d’événements ou incidents ne pouvant être prévus est aussi un élément dont il faut tenir compte. En cas de conflit européen, je n’exclus pas que vous vous voyiez adresser tout à coup un ultimatum inacceptable, limité à quelques heures, auquel il ne peut y avoir de réponse.»
Je dois ajouter que d’autres propos que M. François-Poncet m’a référés de sa dernière conversation avec Hitler au sujet de la Belgique paraissent indiquer que la neutralité de la Suisse est réellement entrée comme une donnée fixe dans le cerveau du Chancelier allemand. Ceci est important, car M. Hitler n’avait pas besoin d’en parler à M. François-Poncet. Je reviendrai par le prochain courrier sur les détails de la conversation entre le Chancelier Hitler et l’Ambassadeur de France.
A Rome, j’entends aujourd’hui des échos, pas encore contrôlables, sur le discours que M. Mussolini ferait dimanche prochain à Carbonia. La tension italo-française augmente de jour en jour, malgré les efforts apaisants que traduit le dernier discours de M. Chamberlain.