Classement thématique série 1848–1945:
II. LES RELATION BILATÉRALES ET LA VIE DES ÉTATS
II.12 FRANCE
II.12.1. QUESTIONS DE POLITIQUE GÉNÉRALE ET BILATÉRALE
Pubblicato in
Documenti Diplomatici Svizzeri, vol. 12, doc. 182
volume linkBern 1994
Dettagli… |▼▶Collocazione
Archivio | Archivio federale svizzero, Berna | |
Segnatura | CH-BAR#E2300#1000/716#777* | |
Titolo dossier | Paris, Politische Berichte und Briefe, Militärberichte, Band 91 (1938–1938) |
dodis.ch/46442 Le Ministre de Suisse à Paris, A. Dunant, au Président de la Confédération, G. Motta1
Au seuil de l’année nouvelle, les événements qui se déroulent dans le domaine de la politique intérieure monopolisent momentanément l’attention de l’opinion publique, qu’ils détournent ainsi des questions internationales. Ainsi, la chute du Cabinet Chautemps s’est produite, comme il était facile de le prévoir, sur un glissement du franc, conséquence directe et inévitable des conflits sociaux. Certes, l’on ne saurait sous-estimer les courageux efforts du Président du Conseil et de M. Georges Bonnet pour redresser la situation financière. Mais, par suite du manque de confiance dans l’avenir immédiat du pays, ce redressement est resté précaire. La moindre alerte devait suffire pour l’ébranler et faire glisser à nouveau le franc sur la pente de la dévaluation. Les conflits du travail qui éclatèrent à la fin de l’année dernière, l’échec de l’effort de conciliation entrepris par le Président du Conseil pour rétablir la paix sociale, précipitèrent les événements. Le fonds d’égalisation des changes s’épuisait rapidement à maintenir la monnaie au niveau du cours approximatif de 147 francs pour la Livre sterling. Il renonça bientôt à cette lutte sans espoir: le 13 janvier, le franc bondissait à 151. Le Conseil des Ministres examina, le même jour, la situation créée par la tension des changes. Une décision s’imposait: il fallait choisir entre une politique d’ordre et de travail, qui mettait définitivement un terme à l’agitation sociale, et une politique de surenchère démagogique, qui rendait inévitable le contrôle des changes, auquel tous les Ministres radicaux voulaient résolument s’opposer. Renonçant à la méthode de Rambouillet, par suite des divergences qui régnaient au sein du Conseil des Ministres, M. Chautemps décidait de lire à la tribune de la Chambre son appel au Pays2.
Cette déclaration fut accueillie hier au soir par un silence glacial dans les rangs des socialistes et des communistes. Toutefois, dans la crainte de provoquer une rupture du front populaire, les socialistes auraient accepté, en dépit de leur attitude doctrinale, d’inclure dans l’ordre du jour de confiance une phrase par laquelle le Gouvernement déclarait repousser le contrôle des changes. La situation paraissait donc s’éclaircir, lorsque le porte-paroles du parti communiste s’avisa de souligner la surprise désagréable qu’avait causée dans le groupe communiste la déclaration du Président du Conseil, qui ne s’était pas fait faute de fustiger ses alliés au sujet de leur attitude à l’égard des grévistes. Le Président du Conseil, excédé déjà par la lutte sournoise que menaient contre lui certains de ses collègues, prononça les paroles fatales3 qui signifiaient la rupture avec la collaboration communiste: «M. Ramette a parfaitement le droit de demander sa liberté, quant à moi, je la lui donne». Les socialistes invitèrent immédiatement leurs représentants au Gouvernement à s’en aller. A 5 h 10, ce matin, M. Chautemps présentait sa démission au Président de la République.
Quoi qu’il soit prématuré de se prononcer sur le dénouement de la crise ministérielle, l’on doit, toutefois, reconnaître qu’elle s’est présentée dans des conditions singulièrement favorables au redressement de la politique économique et financière, si, toutefois, le parti radical se montre à la hauteur des responsabilités qui lui incombent. En effet, M. Chautemps, après s’être interpellé lui-même et avoir dit courageusement la vérité au pays, est tombé, non sur un scrutin de défiance, mais sur une intervention qui peut être interprétée, pour peu que l’on en saisisse l’occasion, comme une rupture des radicaux avec leurs alliés extrémistes. Ces circonstances rendent possible l’avènement d’un Gouvernement radical homogène ou appuyé sur le centre, qui peut inspirer confiance au pays et à l’épargne. Les noms de MM. Herriot, Sarraut, Bonnet et Daladier ont été prononcés. Je crois pouvoir écarter la première de ces candidatures, car le Maire de Lyon, qui vise surtout, à l’heure actuelle, la succession de M. Lebrun4, sera peu désireux d’affronter une nouvelle aventure monétaire. L’état de santé de M. Sarraut ne permet guère d’envisager sa désignation que pour un Cabinet de transition. En revanche, les noms de MM. Bonnet et Daladier sont à retenir. Si le nouveau Cabinet est doté d’un Ministre des Finances comme M. Reynaud, par exemple, qui a la réputation d’un esprit subtil et industrieux - bien que son attitude en maintes occasions m’oblige à certaines réserves -, l’épargne et les capitaux reprendront confiance et le contrôle des changes pourra être évité.
Dans toute autre hypothèse, il est à redouter qu’à la suite d’un nouveau glissement du franc, le spectre du contrôle des changes se dresse derechef devant le futur Cabinet. En effet, d’une part, la production française vit, à l’heure actuelle, sous un régime accusé d’étatisation et de réglementation sévère, qui tend à se fortifier encore, alors que l’économie financière vit sous l’empire de la plus complète liberté. Cette contradiction évidente entre deux systèmes qui ne sauraient s’accommoder l’un de l’autre, ne peut que s’aggraver si le retour à la confiance n’atténue la fuite des capitaux. Dans le cas contraire, l’on ne pourrait, vu l’impossibilité de revenir sur le régime étatiste de la production et du travail, que tenter de compléter ce dernier par un contrôle de la circulation des capitaux. Le prochain avenir nous dira si le parti radical, instruit par les expériences du Cabinet Chautemps, a compris la gravité des événements et l’importance de la tâche de redressement qui lui incombe.
P.S. J’ai eu la bonne fortune de déjeuner aujourd’hui, à l’Ambassade du Brésil, avec le Président du Conseil démissionnaire, qui, en dépit d’une nuit passée à la Chambre, m’a paru avoir retrouvé tout son calme après les circonstances particulièrement mouvementées qui ont accompagné sa démission. M. Chautemps a bien voulu me dire qu’à son avis, c’est à M. Daladier que le Président de la République confierait apparemment le nouveau Cabinet5.
- 1
- E 2300 Paris, Archiv-Nr. 91. Remarque manuscrite de Motta en tête du document: En circulation. 16.1.1938 M.↩
- 2
- Remarques manuscrites de Motta en marge de cette phrase: Ce n’est pas tout à fait exact! Chautemps n’a pas lu, mais comme il l’a dit lui-même, improvisé. Quant à la forme, voir le Temps. M.↩
- 5
- Note marginale de Motta: Ceci n’est pas certain à cause de l’attitude prise par M. Daladier. M.↩
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