Classement thématique série 1848–1945:
II. LES RELATION BILATÉRALES ET LA VIE DES ÉTATS
II.12 FRANCE
II.12.1. QUESTIONS DE POLITIQUE GÉNÉRALE ET BILATÉRALE
Imprimé dans
Documents Diplomatiques Suisses, vol. 12, doc. 92
volume linkBern 1994
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Archives | Archives fédérales suisses, Berne | |
▼ ▶ Cote d'archives | CH-BAR#E2300#1000/716#776* | |
Ancienne cote | CH-BAR E 2300(-)1000/716 344 | |
Titre du dossier | Paris, Politische Berichte und Briefe, Militärberichte, Band 90 (1937–1937) |
dodis.ch/46352 Le Ministre de Suisse à Paris, A. Dunant, au Président de la Confédération, G. Motta1
Une fois de plus, les faits se sont ralliés avec une froide désinvolture des théories les plus hardies et des méthodes les plus novatrices. La chute de M. Blum n’est pas une simple opération politique, mais bien, comme on l’a dit, une opération mathématique. Il ne s’agit pas, en l’espèce, d’une réaction sur le plan parlementaire ou électoral, contre la politique générale du Cabinet de Front populaire; il ne s’agit pas non plus, comme l’affirme le journal de M. Léon Blum, d’un «complot à base capitaliste et à forme sénatoriale». Le problème qui se posait au Sénat était simplement de savoir si l’on voulait envisager froidement la ruine du crédit du pays et, partant, celle de la monnaie, en approuvant tacitement, par le truchement des pleins pouvoirs, une série de mesures qui, n’étant que des palliatifs, n’auraient servi qu’à augmenter l’incohérence et la confusion pour reculer de quelques semaines les échéances fatales ou demander l’élaboration d’un programme de redressement qui marquerait au moins l’intention formelle du Gouvernement de mettre fin au gaspillage des deniers publics et de rétablir un certain équilibre entre les dépenses et les recettes de l’Etat.
Le problème qui se posait devant le Sénat n’était guère de nature à soulever des débats passionnés dans l’enceinte du Parlement, ni à intéresser le grand public. C’est ce qui explique, d’une part, l’attitude résolue du Sénat et le calme qui a suivi le renversement du Cabinet de M. Blum. En effet, sauf quelques manifestations sporadiques et sans ampleur, Paris a accueilli dans le plus grand calme la chute du premier Ministère de Front populaire.
Mais le caractère même de la crise et les raisons qui ont amené le départ de M. Blum font que les formations politiques qui se sont affirmées à la Chambre, à la suite des élections de mai dernier, ne subissent aucune modification. Le Front populaire continue: «Ce Cabinet, fidèle à la volonté du suffrage universel», a déclaré M. Chautemps, le nouveau Président du Conseil, au moment d’aller à l’Elysée, «s’efforcera de poursuivre la réalisation du programme de Front populaire dans une atmosphère de paix civique et de travail».
M. Chautemps a recueilli sans réelles difficultés la collaboration du parti socialiste et du parti communiste, et même de la C.G.T., sous la condition expresse, toutefois, que le nouveau Ministère maintiendrait, consoliderait et élargirait les réformes sociales déjà accomplies conformément au programme de rassemblement populaire, en écartant tout appel à des hommes qui seraient opposés à cette réalisation.
Cette condition essentielle et les circonstances dans lesquelles s’était produite la chute du Ministère ont engagé M. Chautemps à donner immédiatement un gage tangible de la continuité de la politique du Gouvernement en restreignant ses consultations aux membres des partis de l’ancienne majorité et en conservant dans l’équipe gouvernementale nombre de Ministres démissionnaires. Par ailleurs, M. Léon Blum devient Vice-Président du Conseil - ce qui le mettra dans la situation assez piquante de lire devant la Haute-Assemblée la future déclaration ministérielle -, MM. Paul Faure et Viollette sont toujours Ministres d’Etat, M. Vincent Auriol devient Ministre de la Justice. M. Dormoy occupe toujours la Place Beauvau. Sur la surface parlementaire, les variations sont presque insignifiantes, sauf, dans le dosage des partis à l’intérieur du Front populaire, une certaine augmentation de la participation radicale au détriment de la participation socialiste. L’ancien Ministère comprenait, en effet, 13 radicaux-socialistes, 3 membres de l’union socialiste et républicaine, 19 socialistes S.F.I.O. Le nouveau Ministère compte 17 radicaux-socialistes républicains, 3 membres de l’union républicaine, 14 socialistes S.F.I.O., dont un non-parlementaire.
Mais si, du point de vue que l’on a appelé «statique», la combinaison ministérielle ne comporte pas de changement profond, il n’en est peut-être pas de même du côté «dynamique». En effet, le Gouvernement de M. Blum avait à sa tête un chef qui, tout en se réclamant du programme du Front populaire, déclarait ouvertement qu’il voulait nicher le socialisme au sein de la société actuelle, pour faire, plus tard, sauter les cadres de l’économie libérale et instaurer sur les ruines de cette dernière le marxisme intégral. C’est ainsi, l’on s’en souvient, qu’en présentant son Ministère, M. Léon Blum voyait dans l’avenir ses alliés radicaux faire un bout de chemin avec les socialistes et les communistes; après quoi, «il se coucherait «au bord de la route»2, tandis que socialistes et communistes continueraient leur route. Or, ce sont les radicaux qui, dans la nouvelle formation gouvernementale, marchent en tête de la colonne; c’est à eux qu’il appartient maintenant d’en régler l’allure dans la mesure où ils peuvent modérer la hâte qu’éprouvent leurs alliés à atteindre le paradis marxiste. Le Chef du Gouvernement appliquera, lui aussi, le programme de Front populaire dans le cadre de la société actuelle, mais il n’entend pas faire sauter les cadres de l’économie libérale.
Ainsi apparaît une fois de plus la contradiction essentielle qui règne au sein de la coalition des partis du rassemblement populaire, qui, s’ils peuvent agir avec cohésion pour atteindre certains objectifs immédiats, restent irrémédiablement divisés sur ce que l’on a appelé leurs «fins dernières».
Bien qu’il soit encore prématuré de porter un jugement sur l’orientation définitive du Cabinet Chautemps, il est certain que celui-ci fera de la «pause» qui, pour son prédécesseur, n’était qu’un expédient, la base de sa politique. Dès lors, l’on peut prévoir que les frictions et les divergences seront fréquentes entre le Chef du Gouvernement et l’aile marchante de sa majorité. M. Chautemps aura besoin de toutes les remarquables qualités de subtilité et de souplesse que l’on s’accorde à lui reconnaître pour concilier les extrêmes, atténuer par une politique ductile et nuancée les oppositions bien tranchées qui s’affronteront au sein de son Cabinet et, en même temps, s’efforcer de maintenir l’accord entre la Chambre et le Sénat, dont les socialistes ont inscrit la disparition dans leur programme.
Reste la redoutable question financière, qui a été la pierre d’achoppement pour le Gouvernement Blum et nombre de ses prédécesseurs. M. Chautemps a rappelé M. Georges Bonnet, Ambassadeur de France à Washington, pour lui confier la charge de «Grand Argentier». Quelles sont les intentions du nouveau Ministre des Finances? Cet élément d’appréciation est d’autant plus important, que le nombre des remèdes qui peuvent être envisagés est limité et qu’il n’en est point qui puisse être appliqué efficacement sans engager l’orientation politique du pays. Or, la crise financière n’a rien perdu de sa virulence. Dans la lettre de démission qu’ils ont adressée récemment au Ministre des Finances, les experts chargés de la gestion du fonds d’égalisation des changes, MM. Rist et Baudoin, ont signalé les mesures extrêmement rigoureuses que nécessitait la situation. Le Ministère Chautemps aura-t-il l’autorité voulue pour mettre ces mesures en application? Je me contente, pour l’instant, de rappeler qu’au groupe radicalsocialiste, M. Camille Chautemps a déclaré, après avoir rappelé que le Cabinet Blum s’était retiré par suite de l’opposition manifestée par le Sénat aux mesures de contrainte envisagées pour résoudre le problème financier, qu’il ne pouvait plus être maintenant question que de créer une atmosphère favorable au crédit de l’Etat. Tout en restant fidèle au programme de rassemblement populaire et en prolongeant la «pause» recommandée par M. Blum, le nouveau Chef du Gouvernement aurait donc l’intention d’adopter, en matière financière, des méthodes libérales.
Je ne manquerai pas de revenir sur ces diverses questions dès que le Gouvernement, au cours de la semaine prochaine, aura fait connaître son programme financier. J’ajoute qu’au point de vue de la politique extérieure, le maintien de M. Yvon Delbos au Quai d’Orsay prouve suffisamment l’intention de M. Chautemps de ne rien modifier aux directives générales qui ont inspiré, jusqu’à présent, l’activité de la France dans le domaine international.
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