Classement thématique série 1848–1945:
II. LES RELATION BILATÉRALES ET LA VIE DES ÉTATS
II.21 POLOGNE
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 12, doc. 23
volume linkBern 1994
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2300#1000/716#1124* | |
Old classification | CH-BAR E 2300(-)1000/716 482 | |
Dossier title | Warschau, Politische Berichte und Briefe, Militärberichte, Band 9 (1937–1938) |
dodis.ch/46283
Il est fort malaisé de faire concevoir une vue claire du spectacle offert aujourd’hui par la vie politique intérieure de la Pologne. Tous ceux qui, au début de cette année, se sont appliqués à dresser le bilan des derniers mois se sont du moins rencontrés dans la même constatation, ou le même aveu, d’une désagrégation générale, déjà consommée dans le camp gouvernemental et en progrès dans celui de l’opposition, tant de droite que de gauche.
L’ancien «bloc sans partis» qui, sous la direction du colonel Slawek, était au service de la politique du Maréchal Pilsudski et sur lequel s’appuyaient les gouvernements d’alors, ce «bloc sans partis» est complètement dissous et n’a été remplacé, jusqu’ici, par rien. Le Gouvernement d’aujourd’hui s’appuie directement et uniquement sur la confiance du Président de la République et du Maréchal Smigly-Rydz. Le colonel Slawek, qui, jusqu’en mai dernier, sept mois après sa chute du pouvoir, présidait encore la très importante Association des Légionnaires, n’est plus aujourd’hui que le chef d’un des groupes - le plus impopulaire - autrefois fondus dans le bloc homogène et qui aujourd’hui rivalisent au sein du Parlement, tout en manifestant la tendance à se subdiviser encore en sous-groupes. L’impopularité de Slawek, qui détermina sa chute, est due avant tout à ce qu’il est l’auteur de cette loi électorale baptisée «du trou d’aiguille», parce qu’elle rend l’accès au parlement aussi difficile que le passage d’un chameau par le trou d’une aiguille. Malgré la sorte d’abdication dont il avait donné le spectacle en mai dernier - il avait laissé annoncer qu’il se retirait de la politique active - on lui prête maintenant l’ambition de jouer prochainement un rôle. Il ne sort guère encore personnellement de la coulisse, mais son groupe se démène pour lui. Et cette activité marque, de la part de ce groupe des «colonels», une évolution, en tant qu’elle adopte une allure fortement antisémite. L’antisémitisme est considéré à l’heure actuelle comme l’attitude la plus rémunératrice par les groupements politiques polonais en quête de popularité. C’est que l’antisémitisme est une vague de fond qui, partie des milieux nationalistes formant l’aile droite de l’opposition, déferle aujourd’hui un peu dans toutes les directions; elle n’a pas eu de peine à soulever les paysans, que leur appauvrissement extrême consécutif à la baisse des prix agricoles a irrités toujours plus contre les Juifs, accapareurs et monopolisateurs des activités moins durement éprouvées (sinon moins menacées) que sont le petit commerce, le petit artisanat, les rôles d’intermédiaire. Cette irritation paysanne a revêtu depuis un an, dans maintes régions, des formes sans cesse plus violentes, passant par degrés du boycott au pillage et à la destruction des boutiques, puis aux lésions corporelles. L’envahissement des professions libérales, tout particulièrement du barreau, par les Juifs, a dressé contre eux également les milieux intellectuels, le monde des étudiants; ces derniers ont manifesté leur hostilité par les procédés les plus directs. Le mouvement est devenu si général et si irrésistible que le Gouvernement, pour ne pas glisser dans l’impopularité totale, a dû en tenir compte. Autrefois protecteur des Juifs, il tend à limiter de plus en plus sa protection à celle de leur intégrité corporelle.
Je reviendrai tout à l’heure sur la question juive, mais cette parenthèse sur l’antisémitisme était appelée par la mention de l’évolution constatée dans le groupe des colonels, ci-devant rien moins qu’antisémite. Si cette évolution vise à gagner les suffrages des nationalistes, des «national-démocrates», comme on désigne ce grand secteur de l’opposition, elle manque son but, car elle est accueillie, dans ces milieux, avec une froide méfiance. Un rapprochement comme celui qui paraît recherché est à un tout autre prix. Le moulin antisémite peut se passer des eaux du groupe Slawek. Les national-démocrates estiment avoir bien d’autres comptes à régler avec le chef de ce groupe, à commencer par celui ouvert par la loi électorale «du trou d’aiguille».
J’ai indiqué, en commençant, que le processus de désagrégation déjà achevé dans le camp gouvernemental s’observait aussi dans l’opposition tant de droite que de gauche. A droite, chez les national-démocrates, il s’est manifesté dans la constitution de deux groupes de sécessionnistes qui se sont mis en opposition avec les têtes du parti, sans pour autant passer dans le camp gouvernemental. A gauche, chez les socialistes, phénomène analogue, mais non encore avoué. Ce mouvement sécessionniste présente, en dépit de toutes les divergences, un caractère commun à toutes ses manifestations à droite comme à gauche: il est le fait d’éléments jeunes partisans d’une forme autoritaire de la conduite de l’Etat. De part et d’autre on incline à reconnaître le «Führer» de la nation dans la personne du Maréchal Smigly-Rydz.
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Ce qui caractérise la session parlementaire actuelle, c’est la place extraordinaire qu’y occupe la question juive. Il ne se passe pas de séance où elle ne revienne sur le tapis. Tout le reste passe en somme à l’arrière-plan. Les esprits sont trop excités sur cette question pour qu’elle ne fournisse pas l’occasion d’incessantes critiques à l’adresse du Gouvernement, auquel on reproche, entre autres, de laisser envahir par les Israélites la presse officieuse et la diplomatie. J’ai déjà signalé l’évolution à laquelle les passions antisémites ont contraint le Gouvernement. Une loi prohibant l’abattage rituel est entrée en vigueur le 1er janvier. La «clause aryenne» figure déjà dans les statuts de plus d’une association professionnelle, ou d’étudiants, bénéficiant du patronage officiel. Le Général Skladkowski a lui-même déclaré que le Gouvernement salue avec sympathie «l’exode naturel des paysans du village vers la ville»; c’est prendre nettement position contre la monopolisation du petit commerce par les Juifs. Le Gouvernement se déclare cependant résolu à ne pas tolérer la pratique, en Pologne, des pogromes à la russe. Neuf nationalistes sont présentement internés dans le camp de concentration de Bereza comme instigateurs de pogromes auxquels ils n’ont point personnellement participé.
Par ailleurs, le Gouvernement cherche la solution du problème sur le plan international, par Immigration. Il n’y a en effet pas d’autre solution. Les Juifs sont 3 000 000 en Pologne, 350 000 rien qu’à Varsovie, et ils prolifèrent énormément. Le petit commerce et les petits métiers auxquels ils se livrent essentiellement n’ont pas plus d’avenir en Pologne qu’ailleurs; les rôles d’intermédiaire sont menacés par le progrès des coopératives dont on n’entend pas sacrifier le développement, ici, à l’intérêt de la population juive. «On ne saurait oublier, disait l’autre jour M. Miedzynski, Vice-Maréchal de la Diète, - que le problème du peuplement en Pologne est, dans une grande mesure, artificiel, créé au cours de l’asservissement politique du pays, ce qui fait qu’il n’impose aucune obligation morale à la nation polonaise. Le grand nombre des Juifs habitant la Pologne s’explique par le fait que la ligne de délimitation de l’habitat juif, tracée par la Russie, les a artificiellement agglomérés sur notre territoire. C’est là une agglomération absolument anormale. Il va sans dire que, de même que chaque nation, nous avons le droit de remettre au point les irrégularités surgies dans notre vie nationale par l’effet des forces étrangères et hostiles qui ont agi contre nous.»
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