Abgedruckt in
Diplomatische Dokumente der Schweiz, Bd. 11, Dok. 282
volume linkBern 1989
Mehr… |▼▶Aufbewahrungsort
Archiv | Schweizerisches Bundesarchiv, Bern | |
▼ ▶ Signatur | CH-BAR#J1.5#1000/1347#30* | |
Alte Signatur | CH-BAR J 1.5(-)1000/1347 13 | |
Dossiertitel | Eingegangene Korrespondenzen (1890–1953) | |
Aktenzeichen Archiv | 5 |
dodis.ch/46203 Le Chef du Département des Postes et Chemins defer, M. Pilet-Golaz, au Président de la Confédération, A. Meyer1
Depuis longtemps je renvoie cette lettre. Il y a des mois que je remets de vous écrire. J’espérais toujours que l’occasion se présenterait de vous exposer de vive voix ce que je désire vous soumettre. Puis je ne voulais pas que vous attribuiez à la fatigue – incontestable chez moi, je ne songe pas à le nier – par conséquent à la nervosité, encore moins aux circonstances douloureuses que j’ai traversées, la sévérité de certaines de mes considérations. Aussi ai-je attendu le repos des vacances pour m’exprimer.
Ne voyez pas d’ailleurs, Monsieur le Président, de critiques ou de reproches dans ce que vous allez lire. Loin de moi l’idée de porter un jugement qui serait une désapprobation; il m’atteindrait au surplus comme tous mes collègues et le premier je devrais faire mon peccavi. Non, il s’agit de constatations et de réflexions dont la seule excuse se trouverait dans les décisions qu’elles provoqueront, si elles en provoquent.
L’atmosphère devient lourde dans le pays, épaisse et orageuse. Les événements extérieurs n’en sont pas exclusivement cause. L’évolution intérieure n’est pas moins menaçante. Elle est d’autant plus inquiétante qu’elle s’accompagne d’une désaffection toujours plus complète à l’égard du Conseil fédéral. Lui, dont l’autorité, il y a quelques années encore, semblait intangible, tombe dans un discrédit, pis: dans une indifférence, chaque jour plus profonde et plus générale. Il n’arrive même plus à susciter une opposition ardente et directe. On le considère comme quantité négligeable; on ne lui fait même plus l’honneur de s’en occuper. On ne compte plus avec lui. C’est à l’administration, aux bureaux, au parlement, au régime que l’on s’en prend. Communiqués officiels mis à part, il n’apparaît pas. S’il l’a jamais été, il a cessé d’être un gouvernement dans le sens propre de ce terme. Pourquoi? C’est la question que je me pose depuis des mois avec une angoisse d’autant plus sincère que l’autorité réelle du Conseil fédéral me semble la pierre angulaire de notre édifice politique.
La réponse à laquelle je suis arrivé a trop d’importance pour que je puisse la taire. Il est fort possible que vous ne la jugiez point pertinente. Peut-être même la tiendrez-vous pour fausse. Nul ne serait plus heureux que moi si je me trompais. J’ai peur, cependant, que ce ne soit pas le cas.
Nous ne sommes pas un gouvernement, monsieur le Président, parce que nous n’avons pas de politique – je ne dis pas parce que nous ne faisons pas de politique. Telle est ma conclusion.
Certes, nous avons une politique étrangère, celle de la neutralité, la seule concevable. Et c’est précisément dans ce domaine que l’opinion publique nous reste dans sa très grande majorité fidèle, quelles que soient les attaques venimeuses et injustifiées à l’égard de notre vice-président, Monsieur Motta.
Nous avons aussi une politique de défense nationale vis-à-vis de l’extérieur et là encore nous sommes suivis, ce qui prouve que lorsque nous avons une volonté vraie, nous ne rencontrons pas d’obstacles insurmontables pour la faire admettre.
Mais c’est tout.
Pas de politique de défense nationale à l’intérieur. Or le danger peut surgir chez nous plus grave qu’à la frontière. Une Suisse bolchévisante est intolérable pour l’Allemagne naziste et l’Italie fasciste. L’intervention se produirait avec d’autant plus de certitude que la neutralité de la France moscoutaire serait sérieusement mise en doute.
Pas de politique financière, j’ose à peine l’écrire m’adressant à vous, Monsieur le Président, et je m’en excuse. Mais c’est la triste vérité. Comment envisageonsnous le rétablissement ou le maintien de l’équilibre budgétaire, les rapports fiscaux – essentiels – entre la Confédération et les cantons, le problème bancaire, chaque jour plus pressant, celui de la monnaie2?Nous n’en avons pas même discuté. Oh, je le sais, les bureaux travaillent, les services étudient; des propositions nous seront soumises. C’est précisément ce qui m’effraie: l’administration agit, en fait, sous le couvert du gouvernement. Il me semble que c’était à nous à fixer les principes de notre politique financière, puis que leur application devait être confiée à l’administration.
Pas de politique économique non plus. Nous avions, cependant, en juin 1935, après l’échec de l’initiative de crise3 une occasion unique d’exercer notre influence. Nous l’avons laissée passer. Dès lors nous proclamons avec plus de constance que de conviction notre volonté d’adaptation et chacune de nos décisions se meut en sens contraire. Une pareille contradiction à la longue ruine l’autorité la plus solide.
Encore moins de politique sociale. Ces termes n’ont même jamais été prononcés. C’est à croire que leur notion nous est étrangère. Cependant pour n’importe quel esprit capable de réflexion, il est indubitable que la société est en rapide évolution. Le surcapitalisme, l’industrialisation outrancière, le machinisme – pour ne mentionner que des éléments durables et non point propres à la crise – ont profondément modifié la structure sociale. Les rapports entre les individus, entre eux et la famille, entre eux et la profession, entre eux et l’Etat, ne sont plus et ne seront plus ce qu’ils étaient avant la guerre. Une adaptation s’impose, que nous le désirions ou non. Resterons-nous passifs, fatalistes en ce qui la concerne? Cela pourrait se défendre, mais ce ne serait pas l’attitude d’un gouvernement, dont la mission, comme son nom l’exprime, est de conduire.
Qui conduisons-nous et vers quoi? Nous serions bien empruntés de le dire. Jamais, à titre collectif, nous ne nous sommes posé la question. C’est pourtant sa réponse qui constitue la «politique» du gouvernement. Ne pas répondre, c’est avouer le défaut de politique. Il n’est, hélas, que trop évident. Nous n’avons pas de politique. Nous attendons... Nous attendons, semble-t-il parfois, le retour du passé pour nous sortir d’embarras. Ne savons-nous donc pas que le passé ne revient jamais?
Sans vouloir forcer l’avenir, avons-nous la moindre intention quant au proche avenir et la moindre idée des moyens de la réaliser? Entendons-nous laisser notre peuple se diviser en deux parts, dressées l’une contre l’autre, jusqu’à ce que l’une d’elles l’emporte? Si oui, avec quelle part serons-nous? Car il faudra bien choisir! A cette part, comment lui donnerons-nous la cohésion et la discipline indispensables au succès?
Ou bien, nous efforcerons-nous d’éviter cette division et de former un bloc solide des forces saines et moyennes du pays? Quels matériaux utiliserons- nous? Quel ciment? Quels maçons?
Je suis presque honteux de formuler toutes ces questions tant elles sont en dehors de celles que nous abordons en séance. Nous avons l’air de penser – l’air seulement, je veux le croire – que nous accomplissons notre tâche et remplissons notre devoir en expédiant la besogne courante comme une bonne municipalité de village. Nous savons pourtant que les peuples ont une âme et que cette âme doit être nourrie, si le peuple doit vivre. Le matériel ne vient qu’ensuite: voir Tchécoslovaquie, Pologne, Allemagne, Italie, etc. Or nous ne nous occupons que du matériel, en épiciers bien souvent.
J’exagère, Monsieur le Président? Alors comment agissons-nous, quelle influence exerçons-nous, quelle impulsion donnons-nous, quelle inspiration insufflons-nous? Quelle est notre presse, quelle est notre action sur l’opinion publique?
Néant. Je me suis permis de le relever déjà. Je le répète ici. Nous travaillons en cloche, sans contact avec l’extérieur, comme si un gouvernement pouvait se passer de ce contact. Y renoncer, c’est prononcer sa condamnation, d’ailleurs justifiée.
Où en voulez-vous venir, me répondrez-vous. A ceci que nous devons cesser au plus tôt de consacrer notre temps à des broutilles, sans importance presque toujours et parfois sans intérêt; que nous devons aborder franchement et courageusement la tâche rude qui nous attend; que les problèmes qui doivent retenir notre attention ne sont pas les mille petites questionnettes que l’administration doit résoudre chaque jour et qui sont sa vie, mais les problèmes fondamentaux, moraux autant que matériels qui relèvent d’un gouvernement digne de ce nom; qu’il ne faut pas attendre que ce soit trop tard, car les événements vont vite aujourd’hui et l’opinion publique galope lorsqu’elle reste sans guides; qu’il est indispensable à cet effet de changer de méthodes. Nous devons avoir le temps de fixer notre politique et d’en poursuivre la réalisation. Il faut le prendre, même si les habitudes administratives en étaient quelque peu touchées. A mon avis, une séance par semaine suffirait pour les affaires courantes. L’autre séance devrait être exclusivement réservée aux problèmes gouvernementaux. J’écris bien «exclusivement» parce que si nous tolérons qu’autre chose nous soit soumis, sous un prétexte ou sous un autre, c’en est fait: les innombrables dossiers urgents et confidentiels, qui ont attendu des semaines dans les bureaux et qui sont connus du dernier gratte-papier, accapareront de nouveau notre temps! Nous redeviendrons à bref délai une chambre d’enregistrement. Or il faut absolument cesser de l’être, sinon pour nous, du moins pour le pays.
Voilà les réflexions que je me sentais pressé de vous soumettre, plus exactement dont j’étais oppressé. J’ai peut-être eu tort de les laisser «jaillir». Si tel est le cas, veuillez me le pardonner: mes intentions étaient sincères et loyales.
Pour vous éviter la peine de lire la présente lettre en séance, je me permets d’en envoyer des copies à nos cinq collègues: c’est plus simple.
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