Classement thématique série 1848–1945:
II. RELATIONS BILATÉRALES
11. France
11.4. Questions politiques générales
Pubblicato in
Documenti Diplomatici Svizzeri, vol. 11, doc. 245
volume linkBern 1989
Dettagli… |▼▶Collocazione
Archivio | Archivio federale svizzero, Berna | |
▼ ▶ Segnatura | CH-BAR#E2300#1000/716#775* | |
Vecchia segnatura | CH-BAR E 2300(-)1000/716 344 | |
Titolo dossier | Paris, Politische Berichte und Briefe, Militärberichte, Band 89 (1936–1936) |
dodis.ch/46166
[...]2
Sans méconnaître le bien-fondé d’un certain nombre de revendications ouvrières sur lesquelles je reviendrai, ces questions, dans leur ensemble, dépassent singulièrement le cadre d’un simple programme ministériel. Elles tendent, dans une certaine mesure, à instituer un ordre social nouveau. Les projets concernant la classe ouvrière ne signifieront pas seulement le dénouement d’un conflit, mais, dans l’idée de leurs promoteurs, le commencement d’une relation nouvelle entre le capital et le travail. En effet, suivant l’application que l’on veut en faire sous l’égide d’un Gouvernement socialiste, les délégations d’usines prévues dans les contrats collectifs pourraient bien signifier «un droit de regard et de contrôle des salariés dans les entreprises».
Indépendamment de ce problème d’ordre général, le relèvement des salaires et surtout l’introduction de la semaine de 40 heures dans des industries déjà fortement anémiées par la crise, peuvent avoir des conséquences dont il ne faut pas se dissimuler la gravité. Ces mesures peuvent handicaper assez lourdement la production française à l’égard des industries étrangères. La hausse des prix de revient qui en résultera – les estimations varient entre 10 et 20% – nécessitera peut-être le relèvement de la protection douanière et de nouvelles réductions des importations (ce qui ne serait pas sans provoquer de dangereuses perturbations dans les relations commerciales entre la France et l’étranger), tandis que les produits français eux-mêmes perdraient certains de leurs débouchés sur les marchés internationaux.
Combiné avec le maintien du franc à sa parité présente, le relèvement des prix menacerait encore le tourisme; ainsi, de nouveaux ouvriers viendraient remplacer, sur la liste des chômeurs, ceux que l’industrie aurait réembauchés par suite de la diminution des heures de travail.
En aggravant ainsi les charges de la production nationale, l’Etat sera appelé à intervenir automatiquement, non seulement pour la protection du marché intérieur par le réaménagement des tarifs douaniers et des contingentements, mais par la création ou la sauvegarde des débouchés. A un relèvement du coût de production devra donc correspondre tout un système de subventions.
Mais outre ces éléments certains du programme de solidarité sociale, le Ministère présentera un projet de loi comportant l’entreprise de «grands travaux», «c’est-à-dire d’outillage économique, d’équipement sanitaire, scientifique, sportif et touristique».
Or, pour ces grands travaux, comme pour le subventionnement des industries, il faut de l’argent et du crédit. C’est ici que se placent ces paroles sibyllines du Président du Conseil dans sa réponse aux interpellateurs de l’opposition: Rejetant tout projet de dévaluation du franc, M. Léon Blum a déclaré: «le fond de notre politique financière, ce sera d’essayer, par le large crédit que le pays s’ouvrirait à lui-même, d’obtenir, par des moyens plus sains et peut-être avec des résultats plus stables, des effets que la dévaluation monétaire a produits dans d’autres pays». [...]
Certes, il serait prématuré de porter un jugement sur l’ensemble des mesures envisagées par le Président du Conseil, puisque lui-même ne s’est pas étendu sur les modalités d’exécution de son programme, ni à l’égard du Parlement, ni à l’égard de son propre parti. Mais on peut souligner dès maintenant une contradiction entre deux éléments de ce programme, qui, d’une part, requiert des moyens de «financement» immédiat (grands travaux, suppression partielle des économies provenant des décrets-lois de 1935)3 et qui proclame, d’autre part, l’intangibilité du franc.
Il y aurait eu théoriquement un moyen de supprimer cette contradiction sans altérer le programme du front populaire, c’était de faire appel à une fiscalité impitoyable; mais, ni M. Blum, ni son Grand Argentier M. Vincent Auriol, n’ignorent que rien n’est plus incertain que le produit d’une fiscalité nouvelle dans un pays qui n’est pas loin de l’état de saturation fiscale. Aussi ce moyen théorique a-t-il été écarté. Le Président du Conseil a précisé, dans sa déclaration ministérielle, qu’il envisageait «un large système de simplification et de détente soulageant la production et le commerce». La contradiction reste donc entière et ce serait à l’inflation monétaire que risque d’aboutir la mise en œuvre des projets du Gouvernement. [...]
Dans le domaine de la politique extérieure, le Président du Conseil n’a apporté aucune des précisions attendues par l’opposition. La déclaration ministérielle est des plus vagues sur ce point: volonté de paix, respect de la loi internationale, sécurité collective, désarmement. M. Blum n’a pas cru devoir répondre aux demandes directes et précises des interpellateurs sur la question essentielle de la suppression des sanctions4. Il s’est contenté d’annoncer un large débat sur la politique extérieure avant la prochaine réunion de Genève.
En matière de politique intérieure, M. Blum, tout en soulignant que le pays n’avait pas donné «la majorité au parti socialiste, mais à l’ensemble des partis prolétaires», a affirmé qu’il avait l’espoir que son œuvre «contribuerait à préparer le régime social qui reste la mission de son parti».
En revanche, il n’y a pas identité de buts avec le parti radical-socialiste – ce qui n’est pour les socialistes qu’une étape, est, pour les radicaux-socialistes, un terme. Cela n’empêche pas, a ajouté le Président du Conseil, que les uns et les autres ont «un bout de chemin et, peut-être, un long bout de chemin à parcourir ensemble». Le Chef du parti communiste a souligné, de son côté, que, pour son parti, le but que se proposaient les socialistes ne constituait aussi qu’une étape.
Ainsi, l’équivoque n’est pas possible: en se lançant dans «l’expérience Blum», la France marche vers la réalisation des doctrines socialistes avec, à l’horizon, celle de la République Française des Soviets. C’est le parti radical-socialiste, lié, à l’extrême gauche de la Chambre par la fiction du front populaire, qui reste l’arbitre de la situation. Permettra-t-il que cette expérience dépasse les limites qu’il s’est lui-même fixées?
Enfin, ultime sauvegarde, le Sénat, composé d’éléments moins actifs et plus modérés, pourrait aussi y mettre un terme! Mais il n’est pas impossible qu’il recule devant les conséquences d’une opposition qui ne ferait peut-être qu’aggraver le malaise qui règne dans le pays.
- 1
- Rapport politique: E 2300 Paris, Archiv-Nr. 89.↩
- 3
- En juillet 1935, usant des pleins pouvoirs financiers qu’il a obtenus, le gouvernement Laval procède à une baisse autoritaire de 10% sur les traitements, les rentes, les loyers et les pensions. Cf. no 251, n. 2.↩
- 4
- Cf. rubrique I. 4: Société des Nations, conflit italo-éthiopien.↩
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