Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 11, doc. 141
volume linkBern 1989
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2001C#1000/1534#1937* | |
Old classification | CH-BAR E 2001(C)1000/1534 102 | |
Dossier title | "Adula", "Squilla Italica", Emilio Colombi, II (1930–1935) | |
File reference archive | B.46.19.04 • Additional component: Italien |
dodis.ch/46062
Je crains que la lettre2 un peu sommaire et pressée que j’ai eu l’honneur de vous écrire samedi soir en rentrant de chez le Duce ne vous ait pas donné une idée suffisamment exacte et complète de notre entretien.
Une première constatation. En admettant, comme je l’admets, sa parfaite sincérité, il ne savait rien de ce dernier mouvement irrédentiste et des publications que je lui ai signalées, ce qui prouve l’insuffisance du Ministère «Sui Generi»3 pour le service de presse. M. Suvich était lui aussi dans la plus complète ignorance. Le Duce ne paraissait même pas au courant des poursuites contre Colombi malgré la correspondance du Giornale d’Italia que j’attribue à Mme Parini. Du moins il ne m’a présenté à ce sujet aucune observation et ne m’a fait aucune question. Il m’a écouté dans un silence parfois troublant.
Avec sa manie des chiffres il m’a interrogé sur les statistiques de la population au Tessin et dans les Grisons. Je lui ai remis un tableau complet que j’avais fait établir. Je lui ai dit avec insistance que dans nos quatre siècles de vie commune nous n’avions jamais eu de querelles de langue et de race et qu’aucun de nos gouvernements cantonaux n’avait jamais exercé une pression quelconque dans ce domaine, que des fluctuations peuvent se produire et faire naître certains problèmes qu’il appartient à nous seuls de régler. A propos du romanche je lui ai rappelé qu’on a parlé latin dans toute l’Helvétie mais que peu auparavant on parlait gaulois dans toute l’Italie septentrionale de Bologne aux Alpes. A quelles absurdités n’arriverait-on pas en mêlant à la politique ces questions de philologie!
Tout ce qu’il m’a dit au sujet de la question qui nous préoccupe était de nature à nous donner entière satisfaction. Sa seule objection fut de nature militaire: l’insuffisance de notre défense du côté de l’Allemagne. Cela menace de devenir le grand argument de l’irrédentisme italien4. Tout le livre de Drigo5 s’en inspire. Et Mussolini, avec plus de modération, est revenu fréquemment sur ce point. La Suisse est insuffisamment armée du côté de l’Allemagne, et ses sympathies alémaniques affaibliraient sa résistance à une invasion allemande contre l’Italie. Déjà Cadorna, au début de la guerre mondiale, a dépensé une centaine de millions à fortifier la frontière suisse. L’irrédentisme italien revendique le Tessin et les Grisons non seulement pour une question de langue mais pour la sécurité du royaume. Il est inadmissible que la Suisse possède le versant sud du Simplon, du Gothard et d’une partie des Grisons.
Pour le moment ces propos insensés sont le fait d’un petit nombre d’exaltés. La nation y demeure étrangère. Les gens cultivés admettent généralement que la Suisse telle qu’elle est, est un bienfait pour l’Italie. Reprenant la formule classique ils répètent que si la Suisse n’existait pas, il faudrait l’inventer.
Mais la folie nationaliste entretenue par l’éducation de la jeunesse, par la presse, par toute la littérature, les statues qu’on élève aux moindres acteurs des luttes passées contre l’Autriche et même à de simples assassins, tout cela peut faire naître d’autres Drigo et nous procurer d’autres soucis, malgré toute l’amitié que nous témoigne le Duce.
Et c’est pour moi une raison de souhaiter que ni les puissances ni la S.D.N. n’empêchent l’Italie de faire la guerre en Afrique6 et de se créer des préoccupations coloniales.
Soit le Duce soit Suvich nient absolument l’existence d’un foyer central d’irrédentisme.