Classement thématique série 1848–1945:
II. RELATIONS BILATÉRALES
11. France
11.2. Questions de travail
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 11, doc. 101
volume linkBern 1989
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2001C#1000/1534#961* | |
Old classification | CH-BAR E 2001(C)1000/1534 56 | |
Dossier title | Reglement betr. Ein- und Auswanderung, III (1934–1935) | |
File reference archive | B.31.01.05 • Additional component: Frankreich |
dodis.ch/46022
I.
Statistique: Depuis quelques mois le nombre des Suisses contraints du fait de leur nationalité à revenir au pays accuse une progression constante. Il est difficile de se faire une idée exacte de ce mouvement d’immigration qui n’est régulièrement contrôlé que pour nos compatriotes soumis aux obligations militaires. Le tableau ci-dessous (voir également annexes 1 et 2)2 donne une idée du mouvement migratoire pour les Suisses appartenant à cette catégorie.[...]3
Le service de placement mis à la disposition des Suisses à l’étranger par notre Office a enregistré pour l’année 1934 approximativement 150 demandes provenant de la France et plus de 250 provenant de l’Allemagne qui, pour la plupart, lui ont été adressées par l’intermédiaire de nos Légations et de nos Consulats dans ces pays.
On ne saurait tirer de conclusion rigoureuse des données ci-dessus; beaucoup de nos compatriotes reviennent de l’étranger de leur propre gré sans solliciter l’appui de nos représentations consulaires ou même de leur canton ou commune d’origine. Au cours des derniers mois les entreprises avec qui nous sommes entrés en relation ont eu souvent l’occasion de nous faire remarquer qu’elles recevaient toujours plus fréquemment des offres de services de Suisses de l’étranger ou récemment rentrés au pays.
II.
Dès le moment où un certain équilibre entre les mouvements d’émigration et d’immigration se trouve compromis, il apparaît urgent de prendre des mesures pour la protection du marché du travail. Il est à craindre en effet que bon nombre de nos compatriotes obligés de rentrer au pays, n’y trouvent pas d’emploi; et lorsqu’après bien des recherches quelques-uns d’entre eux auront trouvé du travail, ce sera le plus souvent au détriment des chômeurs du pays qui auraient pu bénéficier de ces possibilités de travail. La situation générale n’en serait donc pas améliorée pour autant et nous ne croyons pas qu’il soit exagéré de considérer le fort excédent de l’immigration qu’accusent les récentes statistiques comme un poids mort de plus en plus onéreux pour notre économie. De plus, directement ou indirectement, qu’ils obtiennent un emploi ou ne trouvent point de travail, le retour massif de nos compatriotes contribuera à aggraver les charges des finances et de l’assistance publique. La plupart des Suisses qui nous occupent sont en effet de condition fort modeste et se trouvent en général à bout de ressources en arrivant au pays. S’ils ne parviennent à se procurer à bref délai une occupation rémunératrice, privés des appuis et de la plupart des secours assurés aux chômeurs ordinaires, sans relations professionnelles, ils sont obligés de recourir à l’assistance d’une commune d’origine, pauvre peut-être, où, dans certains cas, ils n’ont eux-mêmes jamais été et dont parfois ils ne connaissent même pas la langue. La dépression morale, dont ces compatriotes témoignent trop souvent, est bien compréhensible; cependant cet état d’esprit qui risque de se propager n’est pas regrettable seulement pour ceux qui en souffrent, mais également pour les répercussions dont il est susceptible dans ngtre pays et dans les colonies suisses à l’étranger. Beaucoup de nos compatriotes revenus en Suisse dans ces tristes conditions, ainsi que les personnes de leur entourage ne comprennent pas, comme nous avons eu l’occasion de nous en rendre compte dans plus d’un cas, que les travailleurs étrangers ne soient pas l’objet en Suisse de mesures aussi sévères que celles qui les ont frappés directement ou indirectement. Certains d’entre eux ont perdu leur emploi ou n’ont pu retrouver du travail du seul fait de leur nationalité alors qu’ils avaient séjourné pendant de nombreuses années à l’étranger. Jusqu’ici l’opinion publique dans notre pays n’a pas encore été sérieusement alertée, mais elle ne tarderait pas à être promptement énervée pensons-nous, si le problème qui nous occupe devait gagner en acuité. La situation de nos compatriotes à l’étranger, inférieure au dehors, précaire dans le pays, réclame une sollicitude particulière des pouvoirs publics. Mais leur attention ne doit pas être détournée de l’aspect moral et même politique à certains égards de ce problème considéré dans son ensemble, par le traitement des cas particuliers si urgents qu’ils soient. Nous nous sommes laissé dire à plus d’une reprise qu’un nombre important de nos compatriotes se sont déjà décidés à demander la nationalité du pays où ils résident, présumant à tort ou à raison que toutes les démarches qui pourraient être entreprises pour conserver le bénéfice de leur situation ou simplement le droit au travail, demeureraient stériles.
III.
Puisqu’il ne paraît guère possible de développer le mouvement d’émigration, on doit se demander si les deux seuls moyens de parer aux conséquences de l’état de choses actuel ne consisteraient pas à resserrer le contrôle de la main-d’œuvre étrangère en Suisse, pour ménager plus de possibilités de travail aux travailleurs du pays qui ne peuvent partir, comme à ceux qui sont obligés de rentrer, d’autre part à contenir dans toute la mesure du possible le mouvement d’immigration. C’est le second de ces moyens qui doit retenir pour l’instant notre attention. En suivant les événements d’aussi près que cela nous fut possible, nous eûmes souvent déjà l’occasion, en traitant des cas particuliers, d’insister auprès de nos compatriotes pour qu’ils consentent à demeurer aussi longtemps que possible à l’étranger. Nous avons vu plus haut que le retour massif de compatriotes comporterait nécessairement de nouvelles charges pour les finances et l’assistance publique. Nous ne pensons pas qu’il soit possible d’autre part de demander à nos compatriotes dans la gêne mais qui ont quelque chance de conserver ou de reconquérir leur position, de rester à l’étranger au lieu de revenir au pays, sans leur apporter l’aide matérielle dont ils pourraient avoir absolument besoin. Dès lors on peut se demander, indépendamment de l’intérêt qu’a notre pays, pour l’avenir, à ne pas laisser nos colonies perdre trop de terrain, s’il ne serait pas profitable de mettre à la disposition du Département fédéral de Justice et Police un crédit dont le montant reste à déterminer (un montant de 100 000 francs pour l’année courante nous semble devoir être suffisant), qui serait prélevé sur le fonds de chômage. Par l’intermédiaire de nos représentations consulaires, ce crédit servirait à secourir sur place nos compatriotes dont le rapatriement pourrait être évité par une aide matérielle temporaire, soit par exemple pendant qu’ils recherchent du travail, soit pour combler les lacunes de l’assistance.
Nous avons tout lieu de penser que le mouvement d’immigration pourrait être, dans une certaine mesure, efficacement contenu par ce moyen. Les avantages qui paraissent devoir en résulter peuvent se résumer de la manière suivante:
1. allégement du marché national du travail,
2. possibilité de laisser les marchés du travail suisse et étranger ouverts à nos compatriotes,
3. possibilité de décharger l’assistance au pays souvent coûteuse et de longue durée par une aide sur place limitée au strict nécessaire quant à l’importance et à la durée,
4. fléchissement de nos colonies réduit au minimum,
5. possibilité de connaître plus exactement les intentions véritables des autorités étrangères compétentes et de provoquer le cas échéant, en bonne connaissance de cause, l’intervention de nos représentations consulaires ou de nos légations,
6. nouvelles possibilités données aux consulats de mieux défendre les intérêts de leurs administrés,
7. avantage de ne pas laisser les autorités étrangères sous l’impression que nos compatriotes doivent abandonner leur situation et le pays pour des difficultés matérielles passagères,
8. avantages moraux et politiques cités ci-dessus.
IV.
France: La situation de nos compatriotes en France doit retenir tout particulièrement notre attention. Si elle n’a pas été alarmante jusqu’ici, elle pourrait le devenir très rapidement si le mouvement xénophobe déclenché dans ce pays devait se poursuivre et pousser le gouvernement à exercer rigoureusement le contrôle de la main-d’œuvre étrangère déjà entrepris, et à renforcer encore les nombreuses mesures prohibitives visant à éliminer les travailleurs étrangers. A ce sujet, la Légation de Suisse en France a fait parvenir en date du 22 février, au Département politique fédéral un rapport significatif, (voir annexe 3)4, et des informations de presse nous donnent lieu de penser que les opérations de contrôle s’étendront immédiatement dans toute la Province. La mobilité de l’opinion publique en France et la vivacité des réactions dont elle est susceptible sont assez connues pour que nous n’ayons pas à insister sur ce point. Parmi les cas qui nous ont été signalés, plusieurs concernent des Suisses établis en France depuis de nombreuses années et si nous sommes bien informés, beaucoup de nos compatriotes, dans le Midi notamment, ne voyant pas d’autre issue s’ouvrir à eux, ont demandé à se faire naturaliser Français. Dans ces conditions, notre Légation en France, ainsi que les consulats auront sans doute dans un avenir rapproché, à faire face à une situation pénible et instable; de nombreux cas particuliers solliciteront leur attention qui mériteraient un examen approfondi, indépendamment des dispositions ou démarches de portée générale qui pourraient devenir nécessaires. Il est à présumer que les relations entre la Légation, les consulats et les colonies suisses gagneraient à se resserrer encore de manière à tirer le meilleur parti de l’entraide mutuelle que nos compatriotes n’hésiteraient certainement pas à se prêter. Nous devons nous demander si, en dépit de tout le dévouement dont la Légation et nos consulats en France ne manqueront pas de faire preuve, les moyens aussi bien que le temps dont ils disposent pour la tâche lourde et délicate que leur réservent les contingences actuelles, seront suffisants.
Ces considérations nous amènent à penser qu’il serait certainement utile si ce n’est indispensable, de mettre à la disposition de notre Légation un service spécial dont la tâche serait de coordonner sur place tous les efforts susceptibles d’être faits en France comme en Suisse pour venir en aide à nos compatriotes. Ce service aurait à recueillir toutes informations utiles en vue de faciliter le placement de nos compatriotes en Suisse ou de les assister momentanément en France ou encore d’orienter et de faciliter leurs démarches en France visant à conserver le bénéfice de leur situation ou à se procurer une nouvelle occupation. Les circonstances actuelles et l’importance de la colonie suisse en France qui groupe à elle seule, plus de Suisses que n’en comptent tous les autres pays européens (130000 contre 108 154) justifieraient amplement la création d’un tel service.
V.
Avant de prendre une détermination il serait expédient, nous semble-t-il, de procéder le plus rapidement possible, à une enquête auprès de tous les consulats pour s’y documenter sur l’état d’esprit qui règne dans leurs circonscriptions au sujet de la main-d’œuvre étrangère et suisse en particulier et sur les effets qu’ont déjà développés les mesures restrictives en vigueur5. Il serait utile également de recueillir leur avis sur l’opportunité d’instituer un service spécial et leurs suggestions éventuelles quant à l’organisation rationnelle de ce dernier. Un contact direct avec les personnalités influentes des colonies les plus importantes pourrait s’établir à cette occasion déjà et le simple échange de vues qui en résulterait, pourrait déjà à lui seul, pensons-nous, apporter à nos compatriotes un encouragement moral appréciable.
Etant donné le caractère de cette action, il serait souhaitable qu’elle fût confiée à une personne de notre Office, connaissant bien le marché du travail en Suisse, capable de donner toutes indications utiles à nos représentants comme à nos compatriotes, en un mot, qui ne soit pas trop étrangère à la technique des problèmes dont la solution la plus rapide est recherchée.
Au surplus le rapport de l’enquêteur, tout en réunissant une documentation utile sur la situation exacte de nos compatriotes, constituerait une base solide pour les mesures de prévoyance qui se révéleraient nécessaires.
Enfin, nous pensons qu’il serait indiqué d’examiner au plus tôt cette question dans son ensemble au cours d’un entretien avec MM. Rothmund et Kappeler, étant donné que le Département fédéral de Justice et Police de même que le Département politique fédéral ont un intérêt immédiat à l’entreprise envisagée6.
- 1
- E 2001 (C) 4/56. En annexe à une lettre du Directeur de l’Office fédéral de l’industrie, des arts et métiers et du travail, P. Renggli, à la Division des Affaires étrangères du Département politique et à la Police des étrangers, du 18 mars 1935.↩
- 2
- Non reproduit.↩
- 3
- Für die Tabelle vgl. dodis.ch/46022. Pour le tableau, cf. dodis.ch/46022. For the table, cf. dodis.ch/46022. Per la tabella, cf. dodis.ch/46022.↩
- 4
- Non reproduit.↩
- 5
- Remarque marginale: C’est fait.↩
- 6
- Dans sa réponse, la Division des Affaires étrangères du Département politique se montre très réservée tant en ce qui concerne les secours que l’enquête proposée, par crainte notamment d’éveiller de vains espoirs et d’attirer l’attention des autorités françaises (lettre de M. de Stoutz du 20 mars, E 2001 (C) 4/56).↩
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