Classement thématique série 1848–1945:
I. LA SUISSE ET LA SOCIÉTÉ DES NATIONS
Imprimé dans
Documents Diplomatiques Suisses, vol. 7-II, doc. 348
volume linkBern 1984
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Archives | Archives fédérales suisses, Berne | |
Cote d'archives | CH-BAR#E2001B#1000/1508#59* | |
Titre du dossier | Installation du siège à Genève (1920–1920) | |
Référence archives | B.56.41.02.5 |
dodis.ch/44559 Déclaration du Directeur du Bureau International du Travail, A. Thomas, au Conseil d’Administration, lors de la séance du 8 juin 19201 TRANSFERT À GENÈVE
Sur un point grave encore, nous avons à solliciter un avis ferme du Conseil d’Administration.
Tous les Membres du Conseil se souviennent de la décision par laquelle, dans la session de mars, nous avons été autorisés à prendre une option pour la location de la propriété Thudichum à Genève. Munis de cette autorisation du Conseil, nous avons signé avec M. Thudichum le contrat en vertu duquel, le 10 juin prochain, nous devons ou prendre à bail pour trois ans la propriété de la Châtelaine ou payer 12,500 francs d’indemnité de dédit.
Le Conseil se souvient que nous avons tenu ainsi à ne pas nous laisser devancer par la Ligue des Croix-Rouges qui désirait faire cette location et que, d’autre part, nous avons dû nous ménager une possibilité de dédit, en particulier pour le cas où la Suisse n’aurait pas voté en faveur de son adhésion à la Société des Nations.
Le référendum populaire a eu lieu en Suisse le 16 mai. Le vote a été favorable à l’adhésion de la Confédération à la Société des Nations. Le Directeur aurait donc pu, en vertu même des pouvoirs qui lui étaient conférés par le Conseil, lever l’option dès le 17 mai.
Mais c’est ici que survient une complication grave.
Déjà, au lendemain de votre session de mars, dans une correspondance officieuse, le Secrétaire général de la Société des Nations, qui était cependant au jour le jour, au courant de nos négociations, s’était déclaré surpris que le Bureau International du Travail se fût engagé au point de signer un contrat de location, même avec faculté de dédit.
De cette correspondance, il résultait que le Secrétariat permanent et peut-être un certain nombre de Membres du Conseil exécutif de la Société des Nations, sans le proclamer publiquement, avaient l’intention de ne pas établir le siège de la Société des Nations à Genève, et de l’établir, semblait-il à Bruxelles.
Les entretiens que le Directeur a pu avoir à Rome avec M. Léon Bourgeois et avec M. Balfour sur ce sujet lui ont montré que cette intention existait bien en dépit des interviews solennelles données à la presse.
En outre, il a été déclaré au Directeur2 que la fixation à Bruxelles de l’Assemblée générale de la Société des Nations au mois de novembre préjugerait en faveur de cette ville du siège même de la Société des Nations.
Certes, c’est au Conseil exécutif de la Société qu’il appartient en dernier ressort de décider du grave problème politique soulevé par cette question du siège de la Société.
Le sort du Bureau dépend cependant de telle manière de la solution adoptée que nous ne croyons pas sortir de notre rôle en signalant les graves inconvénients que peut avoir le renoncement au choix de Genève.
Les raisons que font valoir ceux qui souhaitent l’établissement de la Société des Nations à Bruxelles ne sont pas les raisons sentimentales ou les raisons de justice si nobles et si fortes qu’on faisait valoir naguère en faveur de Bruxelles. On fait valoir aujourd’hui la nécessité d’être en contact avec les grands centres politiques de Paris et de Londres.3 On fait valoir les facilités plus grandes de communications, le meilleur agencement des lignes télégraphiques et téléphoniques, les services de presse plus complets, etc....Arguments à coup sûr discutables.
On peut se demander si la Société des Nations a raison de vouloir se confiner dans l’atmosphère du Conseil suprême et si, pour son avenir même, elle n’a pas à affirmer sa vie en dehors même et au-dessus des Gouvernements de l’Entente.
D’autre part, on peut se demander si ce changement du siège n’indisposera pas un certain nombre de Puissances qui avaient vu dans la fixation à Genève la preuve d’une entière volonté d’impartialité. On peut se demander encore si, après avoir commis sans doute une injustice à l’égard de la Belgique en donnant la préférence à la Suisse, on n’en commettra pas une nouvelle maintenant à l’égard de Genève et de toute cette Suisse romande qui a, par le référendum populaire du 16 mai, donné à la Société des Nations l’adhésion la plus solennelle et la plus complète qu’aucun autre peuple ne lui a jamais donné.
Enfin et surtout, en dépit de toutes les combinaisons nouvelles, à échéances incertaines, un seul point demeure fixe, une seule règle demeure pour ceux qui ont la charge d’accomplir sans délai la volonté des Etats contractants, c’est le texte du Traité. C’est en se conformant à ce texte que l’on peut éviter les incertitudes, sinon les aventures.
Avant même toutes considérations politiques, nous croyons devoir attirer l’attention du Conseil sur des questions matérielles qui sont essentielles pour l’avenir du Bureau.
C’est en novembre que l’Assemblée générale de la Société des Nations doit se réunir. En admettant que tout aille au mieux, il faudra encore plusieurs mois pour que le Secrétariat de la Société des Nations et le Bureau puissent s’installer à Bruxelles.
La Société des Nations, qui n’éprouve pas le besoin urgent de développer ses services comme nous avons besoin de développer les nôtres, qui sont prévus et dont la tâche est urgente, jouit en ce moment d’un immeuble où elle pourra rester aussi longtemps qu’elle siégera à Londres. Les locaux qui ont été mis à notre disposition par l’Administration des Travaux Publics anglais doivent être évacués à la fin du mois. Nous serons donc en toute hypothèse contraints déjà à un déménagement dans Londres.
Bien plus, nous sommes dans l’impossibilité de développer à l’heure actuelle nos services. Nos collaborateurs sont entassés les uns sur les autres dans des conditions déplorables pour le travail. Nous ne parlons même pas de la dispersion de notre monde en deux locaux séparés, ce qui a nui souvent au bon rendement.
Ajoutons que notre personnel, à qui nous avons pu dire, sur la foi du Traité, que nous irions un jour prochain à Genève et qui est venu à Londres en s’installant provisoirement avec l’espérance d’un établissement définitif quelques mois ou quelques semaines plus tard, se trouve à l’heure actuelle inquiet, préoccupé de cet avenir, bref plus ou moins démoralisé, et cela au moment même où nous devons lui demander un effort intense.
Nous comprenons mieux que quiconque l’intérêt qu’il y a, en dehors même des textes du Traité qui nous en fait une obligation, à ce que le Bureau et la Société des Nations soient dans une même ville et participent à la même vie. C’est par leur association qu’ils peuvent être forts. Une séparation définitive des deux organisations serait proprement néfaste.
Mais nous déclarons tout net ne pouvoir sacrifier l’avenir même du Bureau et sa vie aux hésitations ou aux combinaisons du Secrétariat de la Société des Nations ou du Conseil exécutif.
Au pis aller même, si d’ici un an la Société des Nations, décidant dans la plénitude de son pouvoir, devait fixer le siège commun à Bruxelles, nous croyons de l’intérêt du Bureau qu’il s’établisse actuellement à Genève au moins pour la durée du bail Thudichum. C’est pour lui le seul moyen de se développer, de créer l’homogénéité de son personnel, de réduire les petites rivalités qui peuvent naître entre personnel d’origine différente et d’assurer enfin le fonctionnement de tous ses services.
Rappelons encore que nous avions prévu que le transfert pourrait s’accomplir pendant que la plus grande partie du personnel serait à Gênes, – qu’ainsi serait évité pour l’ensemble du Bureau beaucoup de perte de temps, – que toutes les dispositions matérielles ont été prises, que nous ne sommes assurés de rien dans l’éventualité contraire, naguère encore imprévue.
Enfin et surtout une majorité en faveur du changement du siège n’est pleinement assurée ni au Conseil exécutif de la Société des Nations, ni surtout à l’Assemblée générale.
Dans quelle position ridicule se trouverait le Bureau si, après avoir abandonné son option, privé par la Ligue des Croix-Rouges ou par une autre Société des locaux qu’il croyait avoir à disposition, il était obligé d’attendre la création, la location ou même la construction d’un bâtiment certainement moins avantageux?
Notre option expire le 10 juin. Loin de pouvoir obtenir une prolongation du délai, nous avons été au contraire pressés tous les jours de télégrammes insistants de M. Thudichum.
Nous avons tenus à être couverts dans cette décision, dont nous ne nous dissimulons pas l’importance, par un vote du Conseil d’Administration. Nous lui proposons d’adopter la Résolution suivante:
«Le Conseil d’Administration du Bureau International du Travail,
considérant qu’il serait grave pour l’avenir du Bureau International de continuer à vivre dans des conditions provisoires et précaires qui ne lui permettraient pas de satisfaire d’urgence à toutes les tâches qui lui ont été tracées par le Traité de Versailles et la Conférence de Washington,
décide, en attendant une décision définitive de la Société des Nations, d’établir le siège du Bureau à Genève comme il est inscrit au Traité de Paix, et de lever l’option prévue dans le contrat passé avec M. Thudichum.»
Nous avons soumis au Comité du Budget les dispositions de détail que nous avons prises à l’occasion du départ en Suisse: indemnités de déplacement pour le personnel, frais de déménagement, etc.
Notre transfert à Genève, s’il est approuvé par vous, nous obligera à prendre avant la Société des Nations, un certain nombre d’initiatives, au lieu d’être couverts, comme nous l’avons été souvent, par les décisions antérieures de la Société.
La plus importante est celle qui touche les salaires.
Il nous paraît impossible de procéder immédiatement à une révision de tous les salaires. La seule méthode équitable nous semble d’établir les salaires du Bureau en francs suisses à raison de 25 francs par livre sterling, en dehors même des fluctuations du change.
Si, comme il paraît, la vie est à Genève plus chère qu’en Angleterre, peut-être faudra-t-il prévoir en outre une indemnité de cherté de vie, en attendant une révision d’ensemble des salaires.
C’est, en tout cas, sur le principe de la transformation des livres sterling en francs au pair que nous vous demandons de prononcer. Ce sera le point de départ de nos calculs ultérieurs.
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