Classement thématique série 1848–1945:
VII. LA NAVIGATION FLUVIALE ET LES TRANSPORTS INTERNATIONAUX
Imprimé dans
Documents Diplomatiques Suisses, vol. 7-II, doc. 315
volume linkBern 1984
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Archives | Archives fédérales suisses, Berne | |
▼ ▶ Cote d'archives | CH-BAR#E8170D#1000/1977#225* | |
Ancienne cote | CH-BAR E 8170(D)1000/1977 30 | |
Titre du dossier | Berichte, Protokolle, Exposés, Korrespondenzen Januar-März 1920 (14 g) (1920–1920) | |
Référence archives | 520-1 |
dodis.ch/44526
Voici quelques-uns des motifs pour lesquels je suis d’avis d’entrer en conversation avec les Alliés.
La Suisse peut choisir actuellement entre deux tactiques: celle de l’attente passive des événements ou celle de l’initiative diplomatique; ou pour mieux dire, elle pourrait peut-être garder le silence jusqu’au jour où la Commission centrale du Rhin sera convoquée conformément à l’art. 354 du Traité de Versailles, pour établir le statut juridique du Rhin; ou au contraire elle peut agir et agir de manière à ce que la bataille – car c’en est une – s’engage entr’elle et les adversaires de sa navigation, au moment et sur le terrain choisis par elle. Or nous pouvons espérer, par ce qui se passe actuellement entre les Puissances de l’Entente, que l’entente (avec un petit e) ne se maintiendra pas entr’elles et qu’elles ne soutiendront pas en tous points les prétentions de la France, basées sur ce Traité de Versailles. Toutefois, la Grande-Bretagne et la Belgique, par exemple, éprouveront quelque embarras à nous soutenir dans les séances officielles de la Commission centrale, auxquelles prendront part les Allemands, s’il arrive que les Allemands nous soutiennent contre les Français, par exemple, lorsque nous critiquerons et battrons en brèche certains articles du Traité de Versailles2. A plus forte raison encore les Français, par souci de leur prestige, tant vis-à-vis des Allemands que vis-à-vis des Alsaciens, se montreront-ils plus intransigeants dans la Commission du Rhin, en présence des Allemands et des Hollandais, que dans une négociations confidentielle à laquelle ne prendraient part que leurs alliés et eux-mêmes, d’une part, et les Suisses d’autre part.
Toute notre tactique doit avoir, je le crois, les buts suivants:
1. Retarder indéfiniment la réalisation du projet de canalisation, accumuler les objections de toutes natures, diviser si possible les Alliés et même les Français entre eux sur ce sujet3, tout en aidant à la reconstitution de la France par d’autres moyens; (aide financière, fourniture de force électrique pendant x ans, etc.)
2. Pousser au contraire de toutes nos forces au développement de la navigation sur le Rhin libre, aménagé, débarrassé de tout obstacle, de et pour Bâle et en amont de Bâle.4
3. Réserver expressément, à l’encontre du Traité même, notre liberté d’action en amont de Bâle, mais
4. Exiger de l’Allemagne, dans une négociation séparée, sa collaboration effective, sincère, à l’utilisation du Rhin entre Bâle et Constance.5
La pétition de l’Association de Navigation de Bâle au Conseil fédéral tendant à ce que la Suisse s’entende immédiatement avec les autres Etats pour faire à ses frais le dragage du Rhin dès Strasbourg me paraît fournir le prétexte pour entamer la conversation avec la France et ses alliés, le Conseil fédéral pouvant laisser entendre que cette question la plus urgente n’est cependant pas la seule au sujet de laquelle une conversation amicale devrait avoir lieu sans attendre la conclusion des négociations avec les Pays-Bas ni la discussion juridique du futur acte de navigation du Rhin.
Le Conseil fédéral affirmerait en même temps les droits acquis de la Suisse antérieurs au Traité de Versailles, droits qui, bien que précédemment litigieux avec l’Allemagne, ne sont plus contestables aujourd’hui.
Le seul point délicat est celui de savoir quelle attitude il convient de prendre vis-à-vis des Pays-Bas.6 Il me semble que, de même que ceux-ci ne nous ont pas demandé notre avis au sujet de leurs revendications7, nous pourrions, sans blesser les Pays-Bas, leur faire part de nos démarches, – qu’ils ont intérêt à soutenir8 – et leur expliquer que nous poursuivons le but de les aider, etc., mais traiter en leur absence.
Une conversation préalable, confidentielle, avec les Alliés, aurait l’avantage de nous permettre de leur exposer ouvertement, en l’absence des Allemands, nos craintes de dangers militaires du côté allemand, nos craintes de conflits économiques et politiques avec la France, tous arguments qui, présentés en Commission centrale du Rhin, pourraient engager au contraire les Allemands à voter en faveur du projet de canalisation, contre nous. Si les Alliés ne donnent pas suite à nos ouvertures amicales et discrètes, ou si, après discussion, ils ne parvenaient pas à décider les Français à s’entendre avec nous dès maintenant9, nous pourrons, sans arrière-pensée, abandonner au besoin tous ménagements contraires à notre intérêt, dans les occasions fréquentes peut-être, où les Alliés et surtout les Français, auraient besoin de nous sur le Rhin et ailleurs.
Nous pourrions entre autres nous livrer au jeu facile d’une opposition à certaines dispositions du Traité de Paix, réclamer des modifications à celui-ci10, faire porter à l’avenir tout notre effort du côté du Pô11, faire obstacle au projet d’élévation du niveau du Lac Léman, etc., refuser toute aide financière, jusqu’à ce que la France modifie son attitude; tout cela, on peut le faire sentir et d’ailleurs les Français éclairés s’en rendront compte.
Ce n’est ici qu’une esquisse des nombreux motifs qui m’engagent à conseiller une conversation préalable, confidentielle, avec les principaux délégués alliés au moins, MM. Claveille et Charguéraud (France), Général Mance (Grande-Bretagne), Hostie (Belgique), un délégué italien (M. Ferraris ou le Commandant Po) pour arriver à une entente préalable sur la question des travaux urgents, tels que dragage, enlèvement des obstacles, étude et exécution d’un plan d’aménagement (Regulierung).
Il faudrait me permettre aujourd’hui d’aviser le Général Mance que je l’entretiendrai à nouveau de questions relatives au Rhin lorsque nous nous rencontrerons à Paris le 10 mai12. Si je parviens à lui faire partager nos vues sur la question de fond, la délégation française sera probablement amenée à donner une suite à cette conversation. Quant à l’utilité d’une conversation préalable, le général Mance paraissait partager mes vues, lorsque je le vis à Paris.
En résumé nous avons, vis-à-vis de la France même, quelque chose à offrir: notre appui financier13 et nos forces hydrauliques du Léman et de l’Aar. Réclamons sans crainte ce dont nous avons besoin: l’amélioration de nos transports, et avant tout le dragage et l’aménagement du cours naturel du Rhin.
A quoi servirait d’aider financièrement des Etats qui, volontairement ou par leur négligence, ne feraient rien pour nous faciliter l’existence, à nous-mêmes14?
- 1
- Lettre: E 8170 (D) 7 5/30.↩
- 2
- Remarque manuscrite, de Mutzner, en marge: combattre le canal latéral ne veut pas dire battre une brèche au Traité de Paix.↩
- 5
- Ici, P. Mutzner a ajouté de sa main: (cela leur conviendra sans que la Suisse l’exige).↩
- 6
- Remarque manuscrite de Mutzner: dans des conversations avec la France, les Pays-Bas ne jouiraient pas d’autre rôle que la Belgique etc.↩
- 9
- Note marginale de Mutzner: ici M. Val. [lotton]parle des négociations avec toute l’Entente, tandis qu’oralement il ne parlait que de la France. Des négociations avec l’Entente entière me semblent nuisibles; on donnerait à ces puissances seulement l’occasion de s’entendre.↩
- 11
- Remarque manuscrite de Mutzner: le Pô ne vaut pas beaucoup du point de vue politique parce qu’il est en même temps utilisable ou non utilisable que les chemins de fer italiens.↩
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