Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 7-I, doc. 465
volume linkBern 1979
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2300#1000/716#758* | |
Old classification | CH-BAR E 2300(-)1000/716 340 | |
Dossier title | Paris, Politische Berichte und Briefe, Militärberichte, Band 72 (1919–1919) |
dodis.ch/44210
Donc aujourd’hui, cinquième anniversaire de l’assassinat à Sarajevo de l’archiduc héritier, la Paix se signe à Versailles dans cette Galerie des glaces que, dès le mois de septembre dernier, je vous avais indiquée comme lieu de la conclusion du Traité.
Je m’abstiens de tout commentaire de politique générale ou de philosophie sur les conséquences futures que l’observation ou la non observation de ce Traité va avoir. Une chose est certaine, c’est qu’il contente au fond bien peu de gens car, je vous l’ai déjà écrit, les uns le trouvent trop dur tandis que d’autres le qualifient de trop clément. L’avenir seul nous dira ce que le vaincu pourra faire après avoir subi la loi du vainqueur.
Un mot que je tiens de Mme Pichon elle-même; son mari a relu attentivement ces derniers jours tous les articles du Traité et, arrivé à la fin de cette lecture, il s’est tourné vers sa femme et a prononcé ces simples mots: «C’est tout de même dur».
Je n’étais naturellement pas invité à Versailles en tant que représentant neutre et il n’y avait que l’Ambassadeur d’Espagne qui ait fait une exception à cette règle; je ne sais trop pourquoi; différents Collègues que j’ai vus à leur retour de la ville du grand roi, m’ont dit que, dans sa simplicité voulue et contrastant d’une façon singulière avec la beauté du Palais, la cérémonie avait été d’autant plus impressionnante que les Délégués allemands ne manquaient pas de grandeur; tout seuls, vis-à-vis du reste de l’univers, ils étaient une image parlante de la situation dans laquelle se trouvait l’Allemagne après que grand nombre d’Etats des cinq parties du monde lui eurent déclaré la guerre.
Il paraît que si l’arrogance, probablement voulue, de Brockdorff-Rantzau avait péniblement surpris ses ennemis, ceux-ci n’ont pas de parole désobligeante à l’égard de MM. Hermann Müller et Bell dont l’attitude fut d’une correction presque émouvante.
M. Pichon, que je viens de voir, s’attend à ce que l’Allemagne ratifie très rapidement et presque sans discussions parlementaires de manière à pouvoir être normalement ravitaillée. Par contre il croit que, au sein du Parlement français, la discussion sera fort longue parce que les élections générales auront lieu cet automne et que chaque député voudra sans doute placer un discours lui servant de réclame et de tremplin électoral. M. Pichon m’a dit qu’il était extrêmement fatigué et qu’il n’avait qu’une idée, c’était de se retirer aussitôt que le Parlement français aura ratifié. Cela correspondrait avec les intentions de M. Clemenceau dont plusieurs familiers assurent que, lui aussi, désire rentrer dans la vie privée après la ratification du Traité de Paix par la France et sans attendre les élections; d’autres amis du «Tigre» annoncent, par contre, que ce dernier voudrait encore présider au renouvellement de la Chambre des Députés. Vous voyez que les avis sont partagés.
La guerre est finie mais le bouleversement social n’est guère terminé. Nous allons au-devant d’une époque extrêmement difficile à cause de toutes les revendications ouvrières et parce que pendant les hostilités la mentalité de tout le monde a considérablement changé: on ne travaille plus comme autrefois, parce qu’on est énervé et las; on a d’autres besoins et l’argent n’a plus la même valeur et n’est plus entre les mêmes mains que naguère, en sorte qu’il y a toute une éducation à faire quant au maniement utilitaire de l’argent. A Paris, on voit à ce sujet des choses extraordinaires. L’autre jour, dans un grand magasin de chaussures, une dame, fort bien mise, essayait une paire de bottines et quand elle en apprit le prix, elle se refusa à l’acheter trouvant la somme exagérée; à côté d’elle, une femme du peuple, sans chapeau, essaya les bottines, les trouva à sa convenance, les garda aux pieds et, se tournant vers la dame, se borne à lui dire ces trois mots: «Chacun son tour». C’est typique et je crois que cette histoire se renouvellera bien souvent et non pas seulement pour des chaussures.
En ce qui concerne la Société des Nations, M. Pichon m’a de nouveau fait une allusion non déguisée dans laquelle perçait son étonnement de voir l’opposition continuer à régner en Suisse contre ce pacte. Je me suis empressé de lui répliquer que je ne pouvais pas laisser croire en France que la Suisse n’y adhérera pas. J’ai ajouté qu’il était bien naturel que dans un pays où l’opinion publique a été habituée depuis plus de six cents ans à s’exprimer très franchement, le droit de critiquer un traité subsistât et cela d’autant plus que beaucoup de gens en France, en Angleterre, en Amérique et en Italie trouvent ce traité peu satisfaisant; il faut laisser à notre peuple le temps de réfléchir mûrement sur la Société des Nations qui est une chose si complètement nouvelle pour lui et peu à peu l’opinion se précisera.
J’ai terminé en rappelant que nous n’avons pas de presse officielle et que les journaux ne reflètent par conséquent pas l’idée gouvernementale comme c’est le cas dans d’autres pays. D’aprés ces paroles échangées avec M. Pichon, j’ai l’impression qu’il faudrait tout de même se hâter chez nous de prendre position d’une façon plus positive.
P.S. Au cours d’un entretien avec M. Ador, M. Poincaré2 avait fait allusion à un traité par lequel la Grande-Bretagne et les Etats-Unis s’engageraient à venir au secours de la France si celle-ci devait être attaquée à nouveau par l’Allemagne. Ce traité a été signé aujourd’hui, avant celui de Versailles. Je ne vous ai pas télégraphié à ce sujet n’ayant pas l’espoir de devancer les informations des agences. D’ailleurs le texte précis du Traité est encore tenu discret.