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Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 7-I, doc. 438
volume linkBern 1979
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2300#1000/716#758* | |
Old classification | CH-BAR E 2300(-)1000/716 340 | |
Dossier title | Paris, Politische Berichte und Briefe, Militärberichte, Band 72 (1919–1919) |
dodis.ch/44183
Tandis que dans la plupart des pays neutres l’opinion publique considère comme très dures les conditions de paix offertes par les Alliés aux Allemands, il est curieux, ainsi que je vous l’ai déjà écrit, d’entendre les réflexions et les commentaires que ces mêmes conditions suscitent dans les milieux politiques français. Si surprenant que cela puisse vous paraître, j’entends tous les jours des hommes, qui passent pour des esprits pondérés, déclarer que l’Allemagne vaincue dicte aujourd’hui la paix aux Alliés victorieux. Je sais que plusieurs parlementaires, dont je pourrais vous citer les noms et qui ne sont pas des nationalistes, sont résolus à voter contre la ratification du Traité, estimant que la France n’est pas suffisamment protégée par les clauses de ce Traité.
On agite toujours la question de savoir si oui ou non les Allemands signeront. On continue, en général, à la résoudre par l’affirmative. Mais la plupart de mes informateurs semblent aujourd’hui croire que les délégués ennemis, actuellement à Versailles, laisseront à d’autres la responsabilité d’apposer leur griffe sur le document. On prononce, à ce propos, le nom de M. Erzberger. Cela paraît d’ailleurs assez étrange étant donné les sentiments exprimés dans un texte récemment publié par la presse française et dont celle-ci attribue la paternité à cet homme politique. Il va sans dire que je ne suis pas en mesure de me prononcer sur l’authenticité du document dont il s’agit, ni de vous indiquer à quelle arrière-pensée il faut en attribuer la publication.
M. Dutasta, que je viens de voir, estime, lui aussi, que la Délégation présidée par Brockdorff-Rantzau sera probablement modifiée à l’instant de la signature. Mais il ne m’a pas dit quelles personnalités allemandes se retireraient ni par qui elles seraient remplacées. Le Secrétaire Général de la Conférence ajoute que les Gouvernements de l’Entente sont décidés à ne pas laisser traîner les choses en longueur. Ils remettront très prochainement aux Délégués allemands leur réponse aux contrepropositions de ces derniers à qui un délai assez bref sera imparti pour accepter ou rejeter le Traité. M. Dutasta semble croire que tout sera terminé dans une quinzaine de jours.
Il semble certain que les Alliés ne consentiront que des modifications de détail et ne permettront pas que l’on touche aux grandes lignes du Traité qu’ils ont élaboré.
Je vous signale, à ce propos, l’article paru dans le «Temps» qui porte la date de samedi, 31 mai. On m’assure, de bonne source, que cet article n’a pas été écrit par le chroniqueur habituel du «Temps», mais par M. André Tardieu et que les épreuves en auraient été corrigées par M. Clemenceau lui-même.
La proclamation de la République rhénane n’a guère surpris l’opinion française. Celle-ci y avait été préparée par des articles de journaux visiblement inspirés. On assure que le Général Mangin n’est pas étranger aux événements qui viennent de se dérouler sur la rive gauche du Rhin. Mangin passe pour nourrir l’ambition de devenir le Lyautey des Provinces rhénanes. On prétend que malgré les instructions du Gouvernement qui s’opposait à l’établissement d’un courant d’affaires intense entre la France et les régions rhénanes, le Général Mangin a pris sur lui d’ouvrir à l’industrie et au commerce français la région qu’il occupe. Industriels et commerçants auraient réalisé déjà un chiffre d’affaires considérable et obtenu de très importantes commandes. Il est en tout cas indéniable que l’ancien lieutenant du commandant Marchand jouit actuellement, dans les milieux industriels, d’une grande popularité.
Vous savez qu’une partie seulement du Traité de Paix, élaboré en vue de mettre fin aux hostilités avec l’Autriche, a pu être soumise aux Délégués autrichiens arrivés à Saint-Germain. Malgré les nombreuses lacunes qu’il contient, ce texte exprime clairement la fin de l’ancienne Autriche. La Délégation autrichienne, par la modération de son langage et la modestie de son attitude, a produit sur les Délégués alliés une impression nettement favorable. Il n’est pas rare d’entendre des Français appeler les Autrichiens «nos amis». La plupart de mes interlocuteurs se plaisent à opposer la bonhomie autrichienne à la raideur et la morgue allemandes. Reste à savoir si, pour avoir choisi la manière douce, les Autrichiens obtiendront, en fin de compte, plus de concessions que les Allemands.
L’opinion publique en France paraît assez fâcheusement impressionnée par le fait que plusieurs des plus graves problèmes, soulevés par la liquidation de l’Autriche, ne sont pas encore résolus. Ni la question de Fiume, ni celle du Tyrol méridional ne paraissent avoir avancé.
Quant à la question du Vorarlberg, je tiens à vous répéter que je me suis toujours strictement conformé à vos instructions. Je ne puis que me référer aux divers télégrammes que je vous ai adressés à ce sujet. A toutes occasions, j’ai exposé le point de vue du Gouvernement fédéral tel que le définissait en dernier lieu votre télégramme No 78 du 17 mai2 dernier. J’avoue ne pas comprendre comment il se fait que les représentants du Vorarlberg dans la Délégation autrichienne n’aient, jusqu’à présent, rien entrepris pour intéresser les Alliés à l’incorporation du Vorarlberg à notre pays.
Le récent entrefilet du «Temps» annonçant que les Alliés avaient décidé de considérer comme nul et non avenu le plébiscite du Vorarlberg, n’est pas d’inspiration officielle comme paraît le croire M. William Martin qui, dans son article d’hier au «Journal de Genève», s’en est montré très vivement ému. Au Quai d’Orsay on m’affirme qu’aucune décision ne pouvait être prise parce que, jusqu’ici, les Vorarlbergeois n’ont pas posé la question.
Bien que dans l’affaire de Fiume la majorité de la presse française ait semblé prendre le parti d’Orlando contre Wilson, on m’assure, de tous côtés, que les relations franco-italiennes sont actuellement très tendues. Monseigneur Baudrillart, recteur de l’Institut catholique de Paris et Membre de l’Académie française, qui rentre d’un voyage en Italie, affirme que ses compatriotes y sont, actuellement, exécrés et que lui-même doit à son habit ecclésiastique de n’avoir pas été trop rudoyé dans la péninsule. On me dit, d’autre part, que récemment, à Milan, des chevaux français, engagés dans une épreuve sportive, auraient dû être retirés par leurs propriétaires, la foule milanaise menaçant de leur faire un mauvais parti. Ce sont là de petits faits mais qui ont leur signification.Postscriptum
Un homme politique français que je viens de rencontrer exprime l’opinion que l’occupation des régions rhénanes devrait être prolongée aussi longtemps que possible car elle maintiendrait entre les Alliés une solidarité qui risque de s’effriter peu à peu et aussi parce qu’elle serait, pour la France, un allégement considérable de ses charges militaires. En effet, les Français peuvent occuper avec 100.000 hommes seulement leur secteur rhénan tandis que lorsque leurs Alliés britanniques et américains se retireront et lorsqu’eux-mêmes reviendront à leurs frontières, il leur faudra, pour en assurer la garde, des forces beaucoup plus considérables.
- 1
- Rapport politique: E 2300 Paris, Archiv-Nr. 72.↩
- 2
- Ce télégramme disait: l.../ Nous n’avons même pas connaissance officiellement du résultat du vote du Vorarlberg de sorte que le Conseil fédéral n’a pas encore pris position. Notre point de vue ne peut donc être que le suivant: Nous espérons que le droit de libre disposition exprimé par le peuple du Vorarlberg sera respecté sans réserve si le Conseil fédéral, l’Assemblée et le peuple suisse se prononcent pour l’acceptation d’une proposition dans ce sens. Comme actuellement le Gouvernement du Vorarlberg est à Paris, il nous paraît indiqué que ce soit lui qui éclaircisse toute la question. (E 2200 Paris 1/1514).↩
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The Vorarlberg question (1919)