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Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 7-I, doc. 376
volume linkBern 1979
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2001B#1000/1501#3086* | |
Old classification | CH-BAR E 2001(B)1000/1501 83 | |
Dossier title | Reise des Bundespräsidenten Ador nach Paris (1919–1919) | |
File reference archive | B.56.221.07 |
dodis.ch/44121
Les Comités de défense zonienne au Président de la Conférence de la Paix, G. Clemenceau1
REQUÊTE, .DRESSÉE PAR LES DÉLÉGUÉS DES COMITÉS DE DÉFENSE ZONIENNE DE LA HAUTE-SAVOIE ET DU PAYS DE G EX À MONSIEUR GEORGES CLEMENCEAU PRÉSIDENT DU CONSEIL
Monsieur le Président du Conseil et très honoré Compatriote,
Les populations des zones franches de la Haute-Savoie et du Pays de Gex émues par les communiqués des journaux annonçant que la commission interministérielle avait adopté un projet en faveur de l’installation d’un cordon douanier à la frontière franco-suisse de ces zones franches, nous ont confié la mission de venir respectueusement vous exposer, M. le Président du Conseil, les revendications qui leur tiennent à cœur et dont le succès est aussi indispensable à leur paix morale qu’à leur prospérité future.
Le régime économique spécial dont bénéficient les zones Franches est justifié par la situation géographique exceptionnelle des territoires qu’elles représentent. Séparés de la France par le Jura et les Alpes ces territoires sont le bassin naturel d’alimentation du canton et de la ville de Genève. Toutes ces vallées des Zones Franches ont pour aboutissant géographique cette grande cité; l’on conçoit donc aisément qu’avec elle leur population a le plus grand intérêt à conserver les facilités de relations dont elle a joui jusqu’à ce jour avec la région suisse avoisinante.
Or il est incontestable qu’un cordon douanier français placé à la frontière franco-suisse entraverait ces relations et cela sans profit réel pour le fisc français, car l’enchevêtrement des territoires français et suisse à cette frontière est si accentué que pour empêcher le trafic de contrebande il faudrait utiliser un personnel douanier si nombreux que les recettes obtenues par la perception des droits n’en couvriraient certainement pas les frais.
Autre vérité indéniable: les franchises économiques ont été accordées aux populations des zones, non à titre temporaire ou à bien plaire; mais à titre définitif. Pour les populations de la zone franche de la Haute-Savoie, elles furent notamment la condition expresse de leur consentement à devenir françaises. Le pacte conclu en 1860 entre le Gouvernement français et le peuple zonien doit être considéré comme un contrat synallagmatique auquel il ne peut être apporté aucun changement sans le consentement mutuel des deux parties contractantes. Personne, il est vrai ne mettra en doute que le patriotisme dont les zoniens ont donné maintes fois la preuve, sans arrière pensée ni hésitation, les conduirait à accepter le sacrifice de leurs droits, sous réserve de compensations à envisager d’un commun accord, s’ils avaient la conviction que l’intérêt supérieur de la Patrie exige impérieusement d’eux un tel sacrifice. Or un examen impartial et attentif des raisons fournies par les adversaires du regime zonien établit au contraire que la suppression des zones franches ne s’impose aucunement, pas plus dans l’intérêt national que dans l’intérêt des populations au nom desquelles nous nous exprimons. En effet l’argument principal opposé au maintien des zones, la possibilité d’introduction dans ces mêmes zones de produits allemands, autrichiens, turcs ou bulgares ne se poserait plus si l’on demandait à la Suisse d’interdire sur son territoire le transit de ces produits à destination des zones. Or de nombreux articles de la presse suisse, ainsi que les opinions émises par des autorités suisses éminentes nous autorisent à dire que ce concours précieux serait entièrement acquis à la France si elle songeait à se l’assurer. D’autres moyens, non moins efficaces, ont été préconisés pour interdire aux produits de nos ennemis l’accès des zones franches sans recourir à la suppression de celles-ci. Nous ne pouvons les envisager dans ce mémoire; mais nous demandons instamment à ce qu’ils soient étudiés et mis à l’essai avant d’en venir à l’installation d’un cordon douanier dont la seule présence indisposerait fortement les populations. Les autres arguments connus contre le maintien des zones soit l’impossibilité du développement industriel de nos régions, le danger de la mainmise de la Suisse, sur des territoires qu’elle n’aurait jamais cessé, paraît-il, de revendiquer, et les formalités rendues nécessaires pour l’entrée en France des produits zoniens, sont tous aisément réfutables. Nous ne pouvons les étudier ici; mais nous demandons instamment qu’ils ne soient pas considérés comme concluants avant que les populations aient été invitées à s’exprimer à leur égard par la voix de leurs délégués. Les Zones franches dépourvues de la plupart des matières premières, éloignées des gisements de fer et de charbon, insuffisamment desservies au point de vue ferroviaire, ne peuvent ambitionner un développement industriel important. Favorisées à d’autres égards, dotées d’un sol fertile, de beautés naturelles remarquables, elles ont tout intérêt, par contre, à rechercher l’amélioration de l’agriculture et des conditions du tourisme, source appréciable de revenus pour une population hospitalière et avenante. Quant au danger de l’hégémonie helvétique, il est certes moins à redouter qu’on pourrait le croire de prime abord. Genève, la ville suisse la plus proche possède un caractère cosmopolite qui va en s’accentuant de plus en plus. Elle renferme d’ailleurs 40.000 Français environ soit près d’un tiers de sa population et ces 40.000 Français, la plupart nés dans les Zones, sont intéressés à leur maintien aussi bien que les Zoniens eux-mêmes. Il serait injuste enfin d’oublier les preuves manifestes de loyalisme et d’attachement à la mère Patrie que Savoyards et Gessiens ont fourni, sans compter, depuis leur réunion à la France.
Le sang qu’ils ont versé en Alsace, sur la Marne, à Verdun ou à Salonique répond d’eux. Les morts au besoin se lèveraient pour l’affirmer, et nul n’a le droit de suspecter un patriotisme dont le désintéressement égale la vaillance.
Le grief des obstacles opposés à l’entrée des produits zoniens en France, peut également être aplani si la loi Raoul Péret, Reynaud et Renoult, votée par la Chambre en 1914, était mise en application. Elle favoriserait, en effet, la création de nouvelles industries zoniennes sans attenter aux franchises.
Enfin quelle que puisse être la valeur des raisons qui ont dicté à la Commission interministérielle son projet d’installation d’un cordon douanier, les populations des Zones revendiquent énergiquement le droit de disposer elles-mêmes de leur sort économique; elles ne peuvent admettre qu’une décision aussi importante que celle de la suppression de leurs franchises, et cela quelles que puissent être les atténuations apportées, soit prise sans qu’un plébiscite organisé officiellement ait fait connaître leurs véritables sentiments à cet égard.
En 1860, lorsque la Savoie du Nord fut menacée d’un démembrement au profit de la Suisse, une délégation de quarante notables savoyards, ayant à sa tête, Monsieur Greyfié, de Bellecombe, se rendit auprès de Napoléon III, pour protester contre ce morcellement éventuel.
Emu par ce patriotique appel le monarque reconnaissant que les engagements oraux qu’il avait pris par gratitude envers la Suisse étaient pour le moins téméraires, renonça à contraindre le sentiment des populations et leur fit la solennelle promesse d’où naquit le Sénatus-Consulte «OUI et ZONE».
Conscientes de leurs devoirs, mais aussi de leurs droits, résolues à revendiquer fermement le maintien de leurs libertés économiques, les populations dont nous sommes les mandataires, nous ont chargés, Monsieur le Président du Conseil, de vous transmettre le vœu suivant:Confiantes dans l’équité du gouvernement de la République et persuadés qu’il ne sera pas moins respectueux de la parole donnée à leurs pères que le représentant d’un gouvernement monarchique se montra respectueux de leurs droits, les populations des zones franches de la Haute-Savoie et du Pays de Gex, forment le vœu:
1° - Que les zones franches soient maintenues dans leur intégrité;
2° - Qu’aucun cordon douanier français ne soit installé à la frontière francosuisse.
3° - Que le Gouvernement français dans ses négociations avec la Suisse demande à celle-ci la réciprocité complète de franchises pour les produits des zones franches.
4° - Que des mesures soient prises, éventuellement, de concert avec la Suisse, pour interdire l’accès des zones franches aux produits allemands, autrichiens, turcs et bulgares.
5° - Que des facilités plus grandes soient accordées par le gouvernement français pour l’entrée des produits zoniens dans l’intérieur de la France.
Tels sont, Monsieur le Président du Conseil, les vœux que les populations des zones franches, unanimes à les exprimer, nous ont chargés de vous apporter.
Nous avons le ferme espoir que vous les accueillerez avec la bienveillance connue, la haute équité et le bon sens judicieux qui ont fait de vous le premier et le plus aimé des Français.
Veuillez agréer,
Monsieur le Président du Conseil,
avec l’expression de notre profond respect, l’assurance de notre entier dévouement.
Les Délégués des Comités de défense zonienne de la Haute-Savoie et du Pays de Gex
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Free zones of Haute-Savoie and Pays de Gex