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Documents Diplomatiques Suisses, vol. 7-I, doc. 356
volume linkBern 1979
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Archives | Archives fédérales suisses, Berne | |
▼ ▶ Cote d'archives | CH-BAR#E2300#1000/716#895* | |
Ancienne cote | CH-BAR E 2300(-)1000/716 395 | |
Titre du dossier | Rom, Politische Berichte und Briefe, Militärberichte, Band 19 (1919–1919) |
dodis.ch/44101
Nous vivons dans des temps extraordinaires. Il y a quelques mois tout le peuple de Rome acclamait le président des Etats-Unis avec un enthousiasme délirant. Aucun homme, aucun souverain, depuis les César n’avait été l’objet d’un pareil triomphe dans la ville éternelle. Les Américains étaient les plus populaires parmi les Alliés. Des manifestations chaleureuses se renouvelaient sans cesse sous les fenêtres de l’Ambassade des Etats-Unis. L’Ambassadeur Page était appelé à la fenêtre et haranguait la foule; une amitié éternelle paraissait unir les deux peuples.
Maintenant changement à vue. Hier soir, des forces imposantes d’infanterie et de cavalerie gardaient tous les abords de l’Ambassade d’Amérique sur la place San Bernardo, et la demeure privée de l’Ambassadeur à l’angle de la Via Quattro Fontane. La circulation était entièrement interrompue tout autour de ces deux maisons. Une foule de manifestants sur la place du Quirinal, sur la place Colonna et dans les principales rues de la ville poussaient des cris hostiles contre l’Amérique. Des soldats américains hués par le peuple qui menaçait de les assaillir ont dû être protégés par des soldats italiens qui les ont fait entrer dans un magasin dont on a fermé immédiatement les portes.
La presse tient un langage des plus violents. La «Tribuna» abreuve d’injures le président américain. Le «Messaggero» le traite d’idole brisée. Le «Giornale d’Italia» en appelle au peuple américain contre son président.
Tout le monde approuve l’attitude de la délégation italienne. Son brusque départ de Paris a, pour le moment, sauvé le Gouvernement qui, autrement, aurait été renversé par la fureur populaire.
L’erreur du Gouvernement fut de laisser l’opinion publique s’égarer. J’en ai toujours eu l’impression depuis le début de la Conférence. La censure ne laissait passer que les nouvelles les plus favorables: il semblait que tout marchait pour le mieux, que l’entente était parfaite et aboutirait à cette Société des Nations qui me paraît maintenant plus que jamais dans les nuages. D’autre part on s’est imaginé que les manifestations de l’opinion publique italienne pèseraient sur les décisions de la Conférence: on a multiplié les assemblées, les discours, les affiches en excitant ainsi toujours plus les ambitions populaires. Maintenant la déception est grande et l’on s’en prend non seulement à l’Amérique, mais à tous les Alliés. Des manifestes distribués au public disent que l’Italie «abandonnée par ses alliés» ne doit plus compter que sur elle-même. Evidemment les germanophiles doivent triompher et souffler sur le feu.
J’ai tâché de connaître les intentions de la Consulta. Mais avant le retour de MM. Orlando et Sonnino aucune décision ne paraît possible. Les troupes italiennes occupent déjà la partie de la Dalmatie promise par le Traité de Londres et je pense qu’elles ne repartiront pas quelles que soient les décisions de Paris. Fiume est occupé par des troupes françaises. Les Américains viennent naguère de quitter cette ville.
M. Wilson, non seulement s’oppose à ce que l’Italie occupe Fiume et même la partie de la Dalmatie qui lui fut promise par le Traité de Londres, mais il voudrait partager lTstrie en deux, dans le sens de la longueur, et laisser aux Croates toute la partie orientale de cette presqu’île.
N’oublions pas que l’Italie est engagée vis-à-vis de l’Amérique au point de vue économique et alimentaire. D’autre part, malgré l’effervescence populaire, le Gouvernement aurait bien de la peine en ce moment-ci à mobiliser l’armée pour une nouvelle guerre. On va donc, très probablement, après ces premières effervescences chercher d’autres solutions.
M. Wilson a voulu faire de la politique avec de la morale et de la logique et il aboutit à un échec complet.
P.S. L’«Epoca», journal que l’on dit inspiré par M. Orlando, termine ainsi un article éditorial d’aujourd’hui:
«L’Italie s’est retrouvée elle-même; elle a retrouvé sa dignité de grande nation, de maîtresse du droit, patrie des héros qui n’ont jamais faibli devant aucun événement. Rome a fait l’histoire du monde pendant des dizaines de siècles et elle ne supportera pas des leçons ni des impolitesses d’un président trans-atlantique.»
Ces lignes vous résument l’opinion du jour dans les milieux officiels.
Les soldats américains quittent Rom e.
- 1
- E 2300 Rom, Archiv-Nr. 19.↩
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