Imprimé dans
Documents Diplomatiques Suisses, vol. 7-I, doc. 249
volume linkBern 1979
Plus… |▼▶Emplacement
Archives | Archives fédérales suisses, Berne | |
▼ ▶ Cote d'archives | CH-BAR#E2300#1000/716#465* | |
Ancienne cote | CH-BAR E 2300(-)1000/716 223 | |
Titre du dossier | London, Politische Berichte und Briefe, Militärberichte, Band 13 (1919–1919) |
dodis.ch/43994
J’ai l’honneur de Vous remercier des intéressantes communications que Vous avez bien voulu me faire par Vos dépêches politiques des 3 et 6 du mois courant, lll.M y.2
Le même courrier arrivé ici mardi le 11 m’a apporté, selon mon désir, des exemplaires supplémentaires de l’Avant-Projet suisse d’une Ligue des Nations, ainsi que du Rapport explicatif et du Mémoire du Conseil Fédéral sur la neutralité suisse. J’ai ainsi été à même de communiquer ces documents à une série de personnages influents, ainsi, par exemple, à Lord Grey of Fallodon (anciennement Sir Edward Grey) à Lord Bryce, à Lord Shaw, à M. Garvin, éditeur de «The Observer», et à d’autres destinataires qui s’occupent de cette question et dont je Vous donne la liste dans une lettre à part.
Au courant de cette semaine a siégé, ici aussi, une Conférence non-officielle de la Ligue des Nations. Cette réunion était présidée par Lord Shaw et au déjeuner d’une quatre-vingtaine de convives que donna en son honneur, mardi le 11, Sir Arthur Crossfield, j’ai eu l’occasion de retrouver certains de mes anciens Collègues de la Deuxième Conférence de la Paix à La Haye en 1907, entre autres MM. Léon Bourgeois et Constant d’Estournelles. Au déjeuner j’étais assis à proximité de M. Venizelos. J’ai tâché de le faire causer des affaires de Grèce, mais préoccupé par le discours qu’il devait tenir, il fut plutôt taciturne et je n’en pus pas tirer grand’chose. Je lui parlai du projet suisse à lui, ainsi qu’à MM. Bourgeois et Constant d’Estournelles. Tous trois me dirent qu’ils en avaient connaissance, mais que c’était le projet élaboré à Paris qui servait de base à leurs discussions. Dans son toast, M. Venizelos accentua, à l’adresse de M. Bourgeois, l’idée qu’il ne serait pas prudent d’insister, dès à présent, sur l’élaboration d’un projet entrant dans tous les détails, car ce qu’il importait surtout aujourd’hui d’assurer, c’était l’acceptation du principe, lequel pourrait toujours trouver son développement plus tard. C’était la même remarque que M. Venizelos m’avait faite quelques minutes auparavant au sujet du projet suisse.
Au cours de la conversation que j’eus le lendemain, mercredi 12 courant, avec Lord Curzon, j’eus soin de lui rappeler la demande du Conseil Fédéral formulée dans ma note du 21 novembre 19183 concernant la participation de la Suisse à la Conférence de la Paix, note rappelée à sa mémoire par ma recharge du 7 mars 1919, conformément à Vos instructions télégraphiques. Lord Curzon me répéta que la décision dépendait de la Conférence et m’éclaira à cette occasion sur le passage à la page 4 de Votre dépêche du 6 mars relatif à la manière dont les Neutres seraient admis à énoncer leur opinions sur la constitution d’une Ligue des Nations. Lord RobertCecil aurait dit au Comte Wrangel, Ministre de Suède à Londres, que si des Représentants des Etats neutres désiraient le voir à Paris, lui personnellement, en sa qualité de délégué britannique pour la question de la Société des Nations, il serait heureux de les recevoir et de les entendre. Voilà tout ce que Lord RobertCecil aurait dit. Il ne s’agit donc nullement d’une réunion même non-officielle des Neutres. Lord RobertCecil n’aurait eu aucune compétence d’en provoquer une. Je Vous ai télégraphié ce renseignement en date d’hier.
J’ai fait à Lord Curzon une allusion toute générale sur le siège futur du Secrétariat de la Ligue. Il ne s’est prononcé dans aucun sens et, selon Vos instructions, je n’ai pas insisté. Dans trois intéressants articles que publie M. Herbert Samuel dans le «Times» des 12, 13 et 14 courant sur les conditions actuelles de la Belgique, articles que je Vous envoie en même temps que le présent rapport, il se fait le porte-voix des aspirations belges tendant à ce que Bruxelles soit choisi comme siège du Secrétariat. D’autre part et d’après la nouvelle de journaux américains reproduite dans la presse anglaise, les Etats-Unis d’Amérique penseraient à Genève.
Vu le contenu de Votre télégramme No. 5 du 74
courant, j’ai cru devoir saisir l’occasion pour signaler à Lord Curzon le grave danger qui menacerait la Suisse si, l’Autriche allemande se joignant à l’Allemagne, le Vorarlberg et le Tyroldevaient également devenir une partie intégrante de cette dernière Puissance. La Confédération aurait l’Allemagne non seulement au nord, mais aussi à l’est et serait prise ainsi comme dans une tenaille; que dans l’éventualité dont il s’agit, il était tout naturel que la Suisse préférerait que le Vorarlberg et le Tyrol pussent se constituer en un petit Etat intermédiaire. Lord Curzon comprit parfaitement la situation, mais répondit que la Conférence n’avait pas encore pris de décision sur le sort de l’Autriche allemande et m’a demandé si le Vorarlberg et le Tyrol allemand constitueraient un Etat viable et quel serait le nombre approximatif de ses habitants (cpr. mon télégramme d’hier No. 2). Enfin, j’attirai l’attention de Lord Curzon sur les regrettables interruptions qu’éprouve le ravitaillement si urgent et aussi politiquement si nécessaire de l'Autriche allemande par le fait des conflits armés entre Italiens et Jougo-Slaves le long de la ligne du Brenner. Lord Curzon me fit remarquer qu’il y avait plusieurs jours déjà, dès le retour de M. Lloyd George à Paris, que les Etats-Unis d’Amérique, la France et la Grande-Bretagne étaient intervenus pour assurer la reprise de ce ravitaillement. Une Commission militaire interalliée s’est déjà rendue à Laibach pour veiller à la régularité du service (voir mon télégramme d’hier No. 1).
Le mercredi étant le jour de réception de Lord Curzon, j’ai rencontré dans la salle d’attente l’Ambassadeur de France. Comme d’habitude, nous avons parlé bolchevisme et M. Cambon m’a dit qu’il était extraordinaire de constater de combien de millions et de millions de roubles les Bolchevistes russes disposaient; que, sous les noms personnels d’une série de leurs adhérents, ils avaient déposé des sommes très considérables dans des banques suédoises, à ce point que les Alliés avaient demandé à la Suède de séquestrer tout cet argent, mais que le Cabinet de Stockholm n’avait pas cru pouvoir donner suite à cette requête.[...]
D’après les déclarations faites récemment par M. Bonar Law à la Chambre des Communes, il paraît que le Gouvernement britannique s’est enfin décidé à laisser tomber son opposition contre la construction d’un tunnel sous la Manche. Les expériences de la guerre ont convaincu même les plus enracinés insulaires parmi les Anglais que les objections plus sentimentales que réelles qui avaient jusqu’ici empêché le Parlement britannique de donner son assentiment à ce projet étaient non seulement illusoires, mais directement dangereuses. Combien le transport de troupes et de matériel de guerre, ainsi que le ravitaillement eurent-ils été facilités, combien la marine marchande et la flotte de guerre eurent-elles été déchargées et soustraites aux dangers de la guerre sous-marine allemande si le tunnel avait déjà existé. Vu les rapports très détaillés que j’ai eu l’honneur de Vous adresser sur cette entreprise dès avant la guerre, je me borne ici à cette brève indication du revirement de l’opinion publique britannique et ne manquerai pas de Vous tenir au courant du développement de cette affaire. Si tout ne trompe pas, il semble qu’on peut la considérer maintenant comme enfin assurée.[...]
Le Traité d’Amitié, d'Etablissement et de Commerce conclu par le Conseil Fédéral avec la Reine Victoria le 6 septembre 1855 comprend non seulement le Royaume-Uni, mais aussi toutes ses Colonies et Possessions. Les dispositions des articles IX et X, qui statuent la clause de la nation la plus favorisée en matière commerciale, étaient ressenties, dés la fin du siècle dernier, par les Colonies britanniques autonomes («Dominions») comme une entrave apportée à leur liberté économique. C’est pourquoi, dans les années de 1899 à 1913, la Grande-Bretagne demanda pour ses Colonies, à toute une série d’Etats la faculté de dénoncer cette clause. Le tour de la Suisse vint aussi. Après de laborieuses négociations, qui commencèrent en 1911 déjà, la Confédération Suisse et la Grande-Bretagne signèrent à Londres le 30 mars 1914 la Convention Additionnelle au Traité d’Amitié, d’Etablissement et de Commerce Réciproque conclu entre la Confédération Suisse et la Grande-Bretagne le 6 septembre 1855, aux termes de laquelle chacune des Parties Contractantes aurait le droit, en tout temps et moyennant dénonciation préalable à douze mois d’échéance, de faire cesser les effets des articles IX et X du Traité de 1855 à l’égard du Dominion du Canada, de la Fédération Australienne, du Dominion de la Nouvelle-Zélande, de l’Union Sud-Africaine et de Terre-Neuve, soit en ce qui concerne la totalité de ces Possessions, soit pour chacune d’elles isolément. La première Colonie qui a fait usage de cette faculté est la Fédération Australienne, aux termes d’une note que Vous adressa la Légation de Grande-Bretagne à Berne en date du 9 janvier 1919. La Division du Commerce du Département Suisse de l’Economie Publique m’a demandé de la renseigner sur les motifs qui ont amené l’Australie à prendre cette décision, ainsi que sur ses intentions ultérieures relatives à l’avenir de ses échanges commerciaux avec la Confédération. J’ai pu me persuader que tant à l’Office des Affaires Etrangères qu’à celui des Colonies, ainsi qu’à la Représentation Australienne à Londres, on ignorait tout à ce sujet. On s’est évidemment limité à transmettre à Berne la dénonciation, sans s’enquérir de ses raisons et de l’attitude que comptait prendre la Fédération Australienne. J’ai insisté pour qu’on câblât à Sydney, afin d’obtenir les renseignements que Vous désirez avoir, à bon droit, le plus tôt possible, puisque, vu la grande distance topographique, douze mois est un terme fort court pour conduire et mener à bien de nouvelles négociations.
11 est à craindre que l’exemple de l’Australie ne soit suivi par d’autres Dominions.
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La question du Vorarlberg (1919)