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Documents Diplomatiques Suisses, vol. 7-I, doc. 182
volume linkBern 1979
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Archives | Archives fédérales suisses, Berne | |
▼ ▶ Cote d'archives | CH-BAR#E21#1000/131#11839* | |
Ancienne cote | CH-BAR E 21(-)1000/131 373 | |
Titre du dossier | Kongresse der II. (reformistischen) Internationale in Bern, Amsterdam, Paris und Luzern, 1919. Proteste gegen den beabsichtigten Kongress in Lausanne (1918–1919) | |
Référence archives | 06.2.1.2 |
dodis.ch/43927
Rapport au Ministère public sur la Conférence socialiste internationale de Berne1
Ci-joint tous les exemplaires parus du «Bulletin Officiel» des discours prononcés à la Conférence Socialiste Internationale; nous compléterons cette collection dans le courant de la semaine. Ci-joint également des exemplaires de la propagande bolcheviste distribuée aux délégués, ainsi que des «tracts» des organisations russes, et d’autres papiers.2
Durant les séances préliminaires tenues soit à la Volkshaus, soit au Bellevue Palace, soit encore au Bernerhof (du 27 Janvier au 1er Février), les délégués Anglais, Allemands, Suédois et Hongrois avaient presque convenu de créer une «Internationale» sur une base insurrectionnelle et révolutionnaire. Seul parmi les Français, Jouhaux avait parlé de la question des responsabilités, et déclaré que la délégation française allait écraser les Allemands, et reconstituer l’Internationale avec centre en France (voulant dire par là qu’elle serait influencée par la thèse ententiste, ou impérialiste, plutôt que par celle du Président Wilson, laquelle avait l’assentiment de l’Allemagne). Jouhaux étant parti, Dumoulin, très extrémiste, avait semblé abonder dans le sens des programmes établis par les Anglais et les Allemands.
Il faut noter que Branting, Seitz, Kautsky, Eisner, les Hongrois, etc., etc. ne parlaient que du prestige des socialistes allemands, qui avaient renversé vingt couronnes, et qui pouvaient être considérés comme des vainqueurs, au point de vue de la thèse sociale.
Par suite, lorsque les Français, Albert Thomas en tête, ont manifesté leur intention de s’opposer à la discussion de l’ordre du jour jusqu’à ce que la question des responsabilités fût tranchée, la conférence manifesta une grande surprise et même une certaine indignation. Les Anglais tentèrent de ramener le débat à la question essentielle: la constitution de l’Internationale, mais Renaudel, et tous les anciens majoritaires Français protestèrent, essayant de faire traîner le débat en longueur. Alors qu’on craignait une obstruction de la part des extrémistes de gauche, il se trouva que ce furent les extrémistes de droite qui tentèrent cette manœuvre.
La question des responsabilités fut alors transmise à une commission chargée d’élaborer une motion d’union.
Mercredi, Edgar Milhaud, discutant de la Société des Nations, revint sur le débat des responsabilités, et fut positivement hué.
MacDonald (Anglais), chercha de nouveau à rétablir la discussion.
C’est à ce moment, mercredi, 4 heures 30, que la délégation minoritaire française, voyant que Longuet et ses acolytes soutenaient le point de vue allemand, prit la résolution de quitter la Conférence. Albert Thomas déclara qu’il s’en allait le lendemain matin, et qu’il n’avait plus qu’une seule chose à faire: prendre en France la tête du mouvement socialiste réformiste (ou modéré) et, au besoin, rompre avec les révolutionnaires.
Après le départ de la délégation française, la discussion n’était plus qu’une matière d’exposé des idées de l’Internationale sur la Société des Nations, les questions territoriales, la charte du travail.
Dans tous les cas, mercredi soir (5 février), trois réunions eurent lieu au Bernerhof, entre les membres de la commission des responsabilités (dont Renaudel et Longuet faisaient partie) à l’une desquelles on fit venir le Dr. Muehlen et le Dr. Förster (ministre de Bavière), dans l’espoir que leurs déclarations feraient pression sur les majoritaires allemands. Platten et Grimm attendaient le résultat des discussions, et dés qu’il fut connu, mercredi à minuit, une réunion spéciale fut convoquée par Platten, au Palais Fédéral pour jeudi matin.
A huit heures 30, jeudi matin, arrivaient Longuet, Verfeuil, Dunois, de la délégation majoritaire française; Ramsay MacDonald, l’extrémiste anglais; Kautsky, Adler, Buchinger, Haase, des Centraux; Grimm, Schneider et Platten. Là il fut décidé de créer une Ligue Communiste Internationale, comprenant les majoritaires Français, les minoritaires allemands et autrichiens, les indépendants allemands ainsi que les Spartaciens, le parti Socialiste Suisse reconstitué le dimanche précédent, et les bolchevistes. Invitation a été faite aux Italiens d’assister à une prochaine conférence communiste.
Cette ligue doit tenir une conférence plénière à Moscou, où Platten veut se rendre dans une quinzaine de jours, muni des rapports et des déclarations des majoritaires français, etc.
De ceci il faut conclure que: si la Conférence Socialiste aboutit à une motion d’Union, ce qui est probable, c’est elle qui deviendra en fait la Ligue Communiste, mais il sera quand même créé une association d’extrémistes-anarchistes qui se livrera à des attentats. D’autre part, si l’abstention des minoritaires français amène l’échec de la Conférence socialiste - et il sera possible d’en juger que d’après le vote de la conférence syndicaliste, car celle-ci ratifiera ou se déclarera en désaccord - dans ce cas, la Ligue Communiste se créera sous le titre de Socialiste-Communiste et fera scission avec les modérés ou réformistes.
Dans tous les cas, Longuet, Verfeuil et Dunois, accompagnés souvent de Dumoulin, Merrheim, Bidegarray ont été en fréquents rapports avec Platten, Grimm, et Schneider, les bolchevistes de Suisse.
Une réunion spéciale s’est tenue à Lausanne, dimanche le 10 Février, chez Paul Golay, où se recontrèrent des extrémistes de Genève, de Zurich, de Bâle et de Berne.
Rosa Bloch a déclaré ce qui suit à notre agent:
«Nous préparons la Révolution en Suisse, et il est très possible qu’elle éclatera le 1er mai. Nous nous organisons très sérieusement, et comme nous sommes en relations étroites avec Lénine, Trotsky et Radek, nous pouvons avoir tous les fonds nécessaires. Nous ne ferons pas de propagande inutile; nous profiterons du premier incident pour provoquer une grève générale, et s’il survenait un mouvement en France, où si les Spartaciens remportaient des succès en Allemagne, nous agirons nous-mêmes immédiatement ici.»
Dumoulin, de la Fédération des Métaux, à Paris, estime qu’une grève générale suivra les manifestations socialistes qui auront lieu le 1er mai, et qu’ensuite ce sera la guerre civile.
Longuet déclare, par contre, que la Révolution ne serait pas possible en France dans l’état actuel des esprits. Il faut d’abord que la paix soit signée et que les armées soient démobilisées. L’esprit des troupes est pourri au sujet du bolchevisme, et tant que les hommes du front ne tireront pas la langue, manquant surtout de travail, il n’y aura rien à faire. Il a avoué que les meetings socialistes auxquels il prenait part à Paris, de même que Jouhaux, Renaudel et d’autres, l’empêchent souvent de parler; ces assemblées ne consistent qu’en quelques anarchistes, toujours les mêmes (Péricat, etc.) et des métèques, ou des étrangers venus en France on ne sait dans quel but. Ces assemblées ne représentent pas le prolétariat français, et il n’en faut pas juger comme représentant l’opinion ouvrière[!] Au contraire, la mentalité des ouvriers en France a changé durant la guerre; les salaires ont été très élevés et par suite, les ouvriers ont changé d’avis sur la question des revendications sociales.
D’autre part, a-t-il ajouté, avec les restrictions et difficultés actuelles, on ne peut pas correspondre avec les Russes ni avec les Spartaciens. Il faut attendre que les relations postales et télégraphiques, les mouvements d’argent ne soient plus censurés.
Longuet compte que Lénine pourra se maintenir encore quelques mois; il ne compte que là-dessus. Il estime que si les bolchevistes peuvent tenir encore quelque temps, au moins six mois, la situation changera complètement, car les socialistes français vont pousser de toutes leurs forces à la démobilisation.
La question des armes n’est pas difficile à trancher. Depuis à peu près deux ans, tous les mobilisés français quelque peu militants ont réussi à se procurer des grenades, des fusils et des munitions. A mesure que s’effectue la démobilisation, on prend note des arsenaux, des endroits où les armes sont entreposées. Quand le mouvement sera décidé, on n’aura qu’à acheter des sentinelles, et au besoin, cinquante ou soixante hommes résolus, postés dans les endroits déjà connus, suffiraient pour s’emparer des armes nécessaires à la lutte. On aura du canon, des tanks, des autos-blindées, des mitrailleuses.
Au sujet du 1er mai, Longuet a dit que très probablement il y aurait vers cette date une nouvelle Conférence Internationale, dont il sortirait peut-être des décisions irrévocables.
Kautsky, interrogé, déclare que si l’on veut éviter le bolchevisme en France, il faut lever le blocus de l’Allemagne; sinon, la faim poussera les Allemands dans les bras des spartaciens et dès lors, le bolchevisme envahira la France. Il a même fortement appuyé sur la nécessité d’agir vite, sinon avant trois mois, le Rhin sera franchi par l’armée rouge.
Toutes ces déclarations paraissent concorder sur un point: qu’il se passera quelque chose avant six mois, et que le plus prochain mouvement organisé sera peut-être pour le 1er mai. Mais qu’en tout état de cause, on profitera du premier incident pour provoquer une grève générale, laquelle mènera on ne sait où.
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