Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 7-I, doc. 104
volume linkBern 1979
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2200.41-02#1000/1671#9322* |
Old classification | CH-BAR E 2200 Paris 1 1561 |
Dossier title | Porteurs suisses de tires de la dette ottomane (1919–1919) |
File reference archive | 1175 |
dodis.ch/43849
Parmi les graves problèmes qui vont être soumis d’ici peu aux diverses conférences de la paix et qui déjà préoccupent très vivement l’opinion des milieux intéressés, figure la réorganisation des finances de l’Empire ottoman.
Un de nos compatriotes, établi à Paris depuis fort longtemps et qui occupe à la Banque ottomane une situation éminente,2 vient d’attirer mon attention sur l’intérêt tout spécial que cette question peut présenter pour la Suisse.
Vous n’ignorez pas que le service de la dette publique consolidée de l’Empire ottoman était, avant la guerre, réglé par le décret impérial rendu le 28 Mouharrem 1299 (soit le 8/20 Décembre 1881). Ce décret instituait une commission de contrôle de la dette ottomane dont faisaient partie des délégués désignés par les porteurs de titres de cette dette appartenant à chacun des principaux pays intéressés. Etaient officiellement représentés les porteurs anglais, français, austrohongrois, allemands et italiens. En outre, les porteurs néerlandais avaient confié leurs intérêts au représentant des porteurs britanniques et se trouvaient ainsi avoir dans le Conseil une représentation officielle. Il n’en était pas de même de la Suisse.
J’ignore quelle peut être l’importance exacte des titres d’emprunts ottomans placés en Suisse mais elle est probablement assez considérable. Comme plusieurs de nos grands établissements financiers, par exemple la «Kreditanstalt», avaient des relations très étroites avec les banques allemandes, il est probable que les intérêts d’un grand nombre de porteurs suisses étaient représentés avant la guerre, à titre officieux bien entendu, par le délégué allemand.
Or, un projet de réorganisation du service de la dette ottomane va être incessament soumis aux divers Gouvernements de l’Entente. Ce projet qui rencontre un accueil favorable dans les milieux financiers français et alliés tend à évincer du Conseil de la dette les représentants des porteurs allemands, austro-hongrois et turcs.
Il y a donc pour la Suisse un intérêt de premier ordre à obtenir une représentation dans ce Conseil.
Deux solutions pourraient être envisagées. Ou bien nous imiterions l’attitude adoptée en 1881 par les porteurs néerlandais et nous confierions nos intérêts au représentant officiel d’une des grandes puissances intéressées. Si nous suivions cette voie c’est, me semble-t-il, à la France que nous devrions nous adresser, d’abord parce que c’est à Paris que sont nées toutes les institutions qui, jusqu’à la guerre, ont régi la vie financière de l’Empire ottoman, ensuite parce que, la réorganisation des finances turques étant intimement liée au problème général de la paix, il serait avantageux d’amalgamer nos intérêts à ceux d’un pays qui sera le siège de la Conférence de la paix et qui a toujours joué un rôle de premier rang dans l’histoire des finances turques.
Mais cette solution pourrait présenter des inconvénients pour l’indépendance des intéressés suisses. Ceux-ci auraient peut-être de bons motifs de préférer avoir dans le Conseil de la dette leur propre représentant. Dans ce cas, on ne pourrait, à mon avis, faire un choix meilleur que celui de notre compatriote M. Pyrame Naville qui est l’un des fondateurs de la Banque ottomane et qui connait à fond toute la question. Je crois pouvoir assurer que M. Naville serait heureux de rendre service à notre pays en défendant partout où il le pourra les droits et les intérêts des porteurs suisses de titres turcs.
Mais que le choix des intéressés se porte sur l’une ou sur l’autre des deux solutions formulées ci-dessus, rien ne pourrait être fait sans un accord préalable avec les Gouvernements alliés et en tout premier lieu avec le Gouvernement français. Je vous serais donc très obligé de vouloir bien me faire savoir si vous estimez utile que je sonde dès à présent les dispositions du Cabinet de Paris.
Il y aurait lieu, sans doute, de consulter les directeurs de nos principaux établissements de crédit et, une fois qu’on les aurait mis d’accord sur la ligne de conduite à tenir, d’adresser à toutes les Légations de Suisse dans les capitales de l’Entente des instructions précises.
Je crois devoir insister sur le fait que l’opinion unanime des milieux compétents à Paris est que le Conseil de la dette ne comprendra plus, à l’avenir, de délégués allemand, austro-hongrois et turc.
Je sais, d’autre part, et je vous confie à titre confidentiel que la Banque ottomane prépare actuellement un projet qui sera soumis prochainement aux principales banques françaises et qui prévoit l’installation à Paris, par ladite Banque, d’un bureau spécial chargé d’étudier toutes les questions en suspens relatives à la dette ottomane. Ce projet, aux dires de M. Naville, a les plus grandes chances d’être adopté. Il va sans dire que je m’efforcerai d’être tenu au courant de ces travaux dont l’intérêt pour nous peut devenir considérable.
La besogne ne sera certainement pas facile car les Turcs ont émis, au cours de la guerre, du papier-monnaie pour la somme énorme de 160 millions de livres turques. Cette émission, dont la couverture métallique est pour ainsi dire nulle, était garantie en partie par des bons du Trésor allemand dont la valeur actuelle est fort hypothétique. Il y aura donc à faire une besogne énorme pour assainir la situation monétaire de la Turquie. La question se compliquera encore par le fait des remaniements territoriaux qui pourront modifier la structure de l’Empire ottoman. Le phénomène s’est déjà passé quelquefois et en particulier à la fin de la dernière guerre balkanique. Il y aura lieu sans doute, comme alors, de fixer les parts contributives des états auxquels pourront revenir des régions actuellement turques.
J’adresse, à toutes fins utiles, une copie du présent rapport au Département politique, division des affaires étrangères.