Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 7-I, doc. 96
volume linkBern 1979
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2020#1000/130#91* | |
Old classification | CH-BAR E 2020(-)1000/130 8 | |
Dossier title | Dezember 1918 bis Mai 1919 (540/4) (1918–1919) | |
File reference archive | 111.0 |
dodis.ch/43841 Le Ministre de Suisse à Paris, A. Dunant, au Chef du Département politique, F. Calonder1
Par télégramme No 8 du 3 de ce mois2, votre Division des Affaires Etrangères a bien voulu me demander des renseignements sur les informations de presse à teneur desquelles de nombreux prisonniers allemands seraient prochainement envoyés dans les territoires dévastés du Nord-Est de la France et employés à différentes constructions.
J’ai l’honneur de vous rendre attentif au fait qu’il est extrêmement délicat d’aller demander à des personnalités compétentes ce qu’il y a d’exact dans ces nouvelles de journaux. Toutefois, je crois savoir que la Commission française chargée de préparer les conditions de paix serait en effet occupée à examiner si et de quel moyen on pourrait retenir pendant plusieurs années un nombre considérable de prisonniers allemands pour reconstruire ce que leurs propres compatriotes ont complètement anéanti. Il n’y a encore rien de décisif à cet égard, mais d’après tout ce que j’entends dire, je ne serais point surpris que, parmi les nombreux articles du traité de paix, il y en eût un qui stipulera la retenue en France de 150.000.-, voire même 200.000.- prisonniers.
Cette condition peut vous paraître dure, j’en conviens, mais si vous aviez traversé les contrées dévastées, vous pourriez peut-être, Monsieur le Conseiller fédéral, comprendre que jamais la seule main d’œuvre française ne suffira pour remettre en état des centaines de kilomètres carrés où il n’y a plus rien que le silence.
D’après les deux rapports que je vous ai adressés à mon retour de mes voyages à Bruxelles, vous aurez pu vous faire une idée des choses lamentables que j’ai vues, des paysages vraiment lunaires que j’ai eus sous les yeux. Impossible de recourir à des machines, tant ce chaos est immense; aussi faut-il que la main de l’homme commence par mettre un peu d’ordre au milieu de cette indescriptible confusion. Or, quoi de plus naturel pour le Gouvernement français de profiter des innombrables prisonniers allemands qu’il a à sa disposition pour faire une partie de ce travail? De cette manière, la main d’œuvre française pourra être utilisée ailleurs, dans beaucoup de champs cultivés pendant la guerre par des femmes, dans des établissements industriels etc. etc.
Nous arrivons à un moment où il est impossible à votre Légation chargée des intérêts allemands en France de faire savoir aux Allemands tout ce qui les attend; il y a là une question de tact à observer de notre part. Inutile de vous dire que je vous tiendrai au courant, mais il faudra, naturellement, que votre Département fasse très attention et opère un tri consciencieux entre les nouvelles qui peuvent être transmises aux Allemands et celles que je vous envoie, à vous, comme indicadons politiques. En effet, nous nous approchons du règlement de comptes. Il ne faut pas se faire d’illusions, ce sera dur pour le vaincu qui n’a pas seulement perdu la guerre actuelle, mais rétrospectivement aussi celle de 1870-71.
En vous priant de considérer comme confidentiel ce qui précède, je vous présente, Monsieur le Conseiller fédéral, l’hommage de mon respect.