J’ai l’honneur de vous remettre sous ce pli, dans Y Homme Libre du 21 courant, un éditorial intitulé «l’Espagne nouvelle» et consacré au voyage à Paris du Comte de Romanones. Le journal, dont vous n’ignorez pas les attaches avec M. Clemenceau, s’exprime en termes particulièrement aimables sur le compte de l’homme d’Etat espagnol. Toute la presse qui suit les consignes de la Présidence du Conseil - et, à l’heure actuelle, cela veut dire presque tous les journaux de France - tient un langage analogue et souligne l’importance que revêt à ses yeux la visite de M. de Romanones.
A une heure où Paris devient une sorte de capitale du monde, au moment où les personnages les plus éminents de tous les pays s’y donnent rendez-vous, à la veille de Conférences où va s’élaborer la Société future, ne serait-il pas hautement désirable qu’un membre du Conseil fédéral puisse rencontrer ici quelques-uns des hommes qui tiennent entre leurs mains une partie de nos destinées?
A l’époque où nous vivons, il ne faut pas s’attacher trop étroitement aux traditions et aux précédents, si respectables soient-ils. Quelles que soient les objections que pourrait soulever une visite à Paris d’un membre du Conseil Fédéral, elles ne me paraissent pas devoir entrer en ligne de compte contre les avantages que sa présence ici, pour quelques jours seulement, vaudrait sans doute à notre pays.
Votre Ministre s’efforce de son mieux de vous renseigner exactement sur tout ce qui se passe et de plaider en toute occasion la cause de la Suisse. Mais il ne peut ni tout voir ni tout prévoir. Il est votre représentant, votre intermédiaire. Mais, dans une foule de questions qui vous préoccupent à juste titre, rien ne vaut une vue directe des choses, une prise de contact immédiate avec les hommes.
C’est pourquoi je crois devoir vous recommander de soumettre à la très sérieuse attention du Conseil fédéral la question de savoir s’il n’y aurait pas lieu, pour le Chef du Département des Affaires Etrangères, ou l’un de ses collègues, de venir, dans le courant du mois de janvier prochain, prendre langue avec quelquesunes des personnalités dont la bonne volonté peut nous être si utile.