Imprimé dans
Documents Diplomatiques Suisses, vol. 7-I, doc. 46
volume linkBern 1979
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Archives | Archives fédérales suisses, Berne | |
▼ ▶ Cote d'archives | CH-BAR#E2001B#1000/1501#3075* | |
Ancienne cote | CH-BAR E 2001(B)1000/1501 81 | |
Titre du dossier | Friedenskonferenz (1918–1919) | |
Référence archives | B.56.221.05 |
dodis.ch/43791
Le Journal des Débats du 3 décembre a publié un article de M. Auguste Gauvain, contenant des considérations fort désobligeantes à l’endroit des neutres qui ayant eu «peur» au temps où l’Allemagne paraissait redoutable, ne doivent pas prétendre à partager avec les Alliés les fruits de la victoire et venir à la Conférence de la Paix.
M. Gauvain, vous ne l’ignorez pas, a longtemps vécu en Suisse. Je le connais depuis nombre d’années et toutes les conversations que j’ai eues avec lui m’ont donné l’impression qu’il était un ami sincère de notre pays. Bien que ses attaques contre les neutres ne semblent pas viser spécialement la Suisse neutre, j’en ai été péniblement surpris. M. Gauvain passe, en effet, pour un des meilleurs spécialistes des questions internationales dans toute la presse française. Violemment attaqué depuis quelques mois par M. Léon Daudet - ce qui constitue un brevet de modérantisme au moins relatif -, le chroniqueur des Débats est regardé comme une autorité par la plupart des esprits pondérés. Il a toujours apprécié avec une complète indépendance la politique du Gouvernement français et des Gouvernements alliés. Ses critiques acerbes lui ont souvent valu et lui valent aujourd’hui encore les rigueurs de la censure.
Les ciseaux d’Anastasie ont cependant respecté l’article que je vous signale et j’étais en droit de présumer que ce traitement de faveur, auquel M. Gauvain n’est pas accoutumé, indiquait en l’espèce une certaine communauté de vues entre l’auteur et les hautes sphères officielles.
J’ai donc cru devoir interroger à ce sujet M. Berthelot, dont vous savez qu’il est, depuis des années, l’Eminence grise de tous les ministres qui se sont succédé au Quai d’Orsay.
- Je ne lis jamais les journaux, - répliqua tout d’abord mon interlocuteur. C’est le seul moyen de conserver un jugement clair et de voir les choses avec la liberté d’esprit et la largeur de vues indispensables.
Je le priai alors de vouloir bien lire devant moi la prose de M. Gauvain.
Quand il l’eut fait, M. Berthelot déclara simplement: «Il divague».
Puis il me confirma ce que M. Pichon m’avait déjà dit au sujet de la Conférence de la Paix (voir mon rapport du 2 courant).2 Il y ajouta ensuite les quelques précisions que voici:
«Le mémoire que nous avons soumis à nos alliés préconise une conférence en deux actes simultanés. Le premier acte, consacré à liquider les questions de guerre proprement dites, se passerait entre belligérants. Le second comporterait l’étude de toutes les questions d’organisation générale, de reconstruction, de réajustement que la guerre a posées. A ce second acte, nous sommes d’avis que des plénipotentiaires neutres doivent être appelés à collaborer avec nous.»
J’ai cependant le sentiment qu’on a l’intention de maintenir des distances entre alliés et neutres. Voici un petit fait, dénué en lui-même de toute importance, mais qui peut être regardé comme un indice de l’état d’esprit qui règne:
Les chefs des missions diplomatiques neutres ont été conviés au dîner offert à l’Elysée, jeudi dernier, en l’honneur du roi Georges V. Mais seuls les diplomates alliés sont invités au dîner qui aura lieu demain en l’honneur des souverains belges. Et il paraît qu’il en sera de même pour les visites d’autres Chefs d’Etat attendus à Paris dans le courant de ce mois.
J’ai eu hier soir un entretien avec M. J. Loudon, ancien ministre des Affaires Etrangères des Pays-Bas. Il ne me paraît pas impossible que M. Loudon brigue la succession, comme ministre à Paris, du chevalier de Stuers, très veilli et très affecté du fait que les Allemands aient choisi son gendre Oberndorff, ancien Ambassadeur, pour faire partie de la délégation envoyée par eux pour recevoir communication des conditions de l’armistice.
M. Loudon me dit que son Gouvernement désirerait beaucoup faire comprendre à l’ex-Kaiser qu’il est un hôte des plus indésirables. Il pense cependant que, si les Alliés réclament l’extradition de Guillaume II, la Hollande se drapera dans sa dignité et refusera.
Le chevalier de Stuers, que je viens de rencontrer, affirme avoir toujours conseillé au Gouvernement de la Reine de se débarrasser de l’ex-Kaiser avant qu’on le lui réclame. Mais il craint qu’il ne soit trop tard et s’attend à voir arriver d’un instant à l’autre la demande d’extradition, que les Anglais sont, de tous les Alliés, les plus décidés à formuler sans délai.
Inutile de vous dire que la Hollande a, en ce moment, en France, la plus mauvaise presse qui se puisse imaginer, non seulement à cause de Guillaume II et de son fils, mais encore pour avoir consenti au passage de troupes allemandes à travers le Limbourg. [...]
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Conférences de paix de Paris (1919)