Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 6, doc. 82
volume linkBern 1981
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E27#1000/721#14044-1* | |
Old classification | CH-BAR E 27(-)1000/721 2925 | |
Dossier title | Durchtransporte, Austausch von Militär- und Zivilpersonen durch die Schweiz, v.a. Verhandlungen des EPD mit den beteiligten Staaten betr. die Organisation und Durchführung (1915–1920) | |
File reference archive | 06.H.3.h.2.c |
dodis.ch/43357
C’est avec le plus vif intérêt que je me suis mis en campagne pour tâcher de faire aboutir votre projet de renvoi dans leur pays des prisonniers de guerre reconnus définitivement incapables de servir2. Il y a là, non seulement une tâche humanitaire d’ordre général, mais il y a aussi un intérêt politique, pour notre pays, à essayer de frapper un peu l’opinion publique sous la forme d’un service rendu par la Suisse à une cause humanitaire pendant la guerre actuelle.
Le rapatriement des internés civils a déjà été une œuvre utile, mais il serait opportun de pouvoir ajouter autre chose.
J’ai sondé le terrain à la Direction Politique du Ministère des Affaires Etrangères et j’ai trouvé le Directeur Politique, M. de Margerie, assez hésitant pour ne pas dire plus. Il m’a dit qu’il croyait que l’affaire était déjà réglée négativement, que le Ministre de la Guerre, M. Millerand, n’était pas très sympathique, qu’un officier définitivement infirme physiquement pouvait encore rendre des services intellectuels et enfin qu’il y avait un courant très vif en France pour s’opposer à ce qu’aucun officier allemand rentre dans son pays avant la fin de la guerre, sous quelque prétexte que ce soit.
Vous voyez que la question touche des nerfs sensibles.
J’avais entretenu aussi le Chef de Cabinet de M. Delcassé, M. Piccioni, de votre projet; il m’avait promis d’en parler à son ministre; avant-hier matin, j’ai rencontré devant chez moi M. Delcassé se rendant au Conseil et nous avons pris rendez-vous pour hier soir.
M. Delcassé m’a dit que la question ne dépendait pas de lui, mais qu’il promet-, tait de l’étudier de très près et de la recommander à M. Millerand, attendu aujourd’hui de Bordeaux à Paris.
Au cours de la conversation, M. Delcassé, qui est généralement très maître de lui, quoique très vif tempérament, est subitement «parti» en me disant: Je n’ai jamais menti et je vous déclare que, si les Allemands continuent à maltraiter nos prisonniers chez eux comme ils le font, rien ne nous empêchera d’annoncer au monde entier que, malgré notre répugnance à user de représailles envers ces malheureux, nous traiterons les prisonniers allemands en France comme on traite les nôtres en Allemagne. Nos prisonniers en Allemagne meurent de faim. En France, nous donnons aux prisonniers la nourriture du soldat français: 700 grammes de pain et 200 grammes de viande chaque jour; en Allemagne, on donne aux Français 500 grammes de pain au plus, viande zéro. En France, nous permettons aux prisonniers de recevoir deux lettres par semaine et des cartes postales sans limitation de nombre; en Allemagne, nos prisonniers peuvent recevoir une lettre par mois et une carte postale par semaine les trois autres semaines du mois. J’ai un fils prisonnier en Allemagne. Je ne demande aucune faveur pour lui et je refuserais qu’il fût mieux traité que les autres. Mais ces procédés doivent cesser, ou bien nous les appliquerons chez nous bien que cela répugne à nos tempéraments français.
Ici encore, vous voyez avec quelle prudence il faut aborder les questions d’humanité et combien il est difficile à un belligérant de comprendre l’état d’âme d’un neutre ou vice versa.
J’ai fait aussi une démarche chez le Chef du Cabinet de M. le Président de la République pour intéresser ce dernier à cette tentative. Je vous écrirai dès que je l’aurai revu ou que M. Poincaré m’aura fait appeler.
Puisque M. Millerand doit être arrivé à Paris ce matin, je ne manquerai pas d’aller le voir.
Il semble difficile, pour le moment, d’aboutir pour les officiers mais je n’abandonnerai, à aucun prix, la tâche en essayant tout au moins de réussir pour les soldats.
Il semble que, puisqu’il appartiendra au médecin militaire de l’énnemi de décider qui peut être rapatrié, on devrait finir par s’entendre.
Si, d’autre part, vous pouviez vous renseigner sur le traitement des prisonniers de guerre français en Allemagne et me mettre en mesure d’éclairer M. Delcassé à leur sujet ou obtenir une amélioration de leur sort, cela contribuerait à la réussite de votre noble idée du rapatriement des invalides.
Vous avez eu la bonté de faciliter le retour en France du Docteur Ribot, fils du Ministre des Finances, retenu pendant six semaines à Halle. Ce jeune médecin est venu me voir à Bordeaux; je l’ai connu enfant et l’ai fait sauter jadis sur mes genoux dans le petit jardin de ses parents aux environs de Paris.
Le Docteur Ribot m’a raconté qu’ils étaient trente-cinq officiers, dont quelques médecins réunis dans une baraque, et qu’ils avaient du pain en suffisance mais une viande presque immangeable et composée de déchets graisseux; pendant trois semaines, ils ont couché sur la terre, sur de la paille ou des paillasses; pendant les trois autres semaines, ils ont eu des lits avec paillasses mais pas de couvertures. Quant aux soldats ils avaient littéralement faim et recevaient une nourriture manifestement insuffisante.
Je n’ai aucun motif de suspecter la véracité du jeune Ribot (qui avait d’ailleurs fort bonne mine). J’ignore également si ce qui se passait d’après lui à Halle se passe partout ailleurs dans les dépôts de prisonniers français en Allemagne.
J’ai cru comprendre que M. Delcassé avait écrit hier à M. Beau pour l’entretenir de cette question de nourriture des Français prisonniers en Allemagne; il est donc possible que l’Ambassadeur de France vienne vous en entretenir prochainement.
En espérant pouvoir, à bref délai, vous transmettre d’autres indications et en répétant que je mettrai tous mes soins à faire aboutir totalement ou partiellement votre projet, j’ai l’honneur de vous renouveler, Monsieur le Président, l’hommage de ma très haute considération.
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