Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 6, doc. 69
volume linkBern 1981
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2200.40-05#1000/1624#2* | |
Old classification | CH-BAR E 2200.40-05(-)1000/1624 1 | |
Dossier title | Rapports politiques: Sorties (1914–1914) | |
File reference archive | I.B • Additional component: Grossbritannien und Nordirland |
dodis.ch/43344
Ayant une occasion de vous envoyer par une personne de confiance quelques appréciations de portée politique, j’en profite pour former ces lignes, quoiqu’il soit déjà tard dans la nuit et que toute la journée ait été vouée au travail.
Ce que depuis longtemps je tenais à vous dire, mais je n’en avais jamais trouvé le temps au bon moment, c’est que rien ne serait plus faux que de croire, ainsi que le répandent des sources allemandes, que c’est la Grande-Bretagne qui a préparé et voulu la présente guerre. J’ai vu les choses de près et je puis vous assurer que, tout au contraire, Sir E. Grey et tout le Cabinet Britannique ont fait, jusqu’au dernier moment, tous leurs efforts pour le maintien de la paix. Jusqu’au tout dernier moment et alors que presque personne n’espérait plus qu’une solution pacifique pût intervenir, on pensait toujours encore, au Foreign Office, pouvoir éviter la catastrophe. C’était à ce point que la France et la Russie n’osaient plus du tout compter sur la coopération de la Grande-Bretagne en cas de conflit armé.
Les ambassadeurs de ces pays à Londres ne cachaient pas leurs graves appréhensions à ce sujet et se demandaient si la Grande-Bretagne allait répéter la faute commise en 1871 et laisser écraser la France une deuxième fois. Certains hommes d’Etat anglais disaient bien que si on laissait faire, le tour de la Grande-Bretagne viendrait dans quelques années et qu’alors elle aurait à affronter toute seule l’Allemagne. Cependant on hésitait et ce n’est que la violation de la neutralité belge par l’Allemagne qui a précipité la décision de l’Angleterre. Non pas que la Grande-Bretagne ait cru devoir tirer l’épée pour défendre un traité, mais l’existence de la Belgique comme pays indépendant est une question vitale pour la Grande-Bretagne et il fallut toute la pitoyable imprévoyance de la diplomatie allemande pour ne pas se rendre et tenir compte de ce fait. Je suis tellement persuadé du mobile qui a fait enfin sortir l’Angleterre de sa réserve et de son indécision, que je n’hésite pas à dire qu’elle ne serait pas intervenue effectivement si c’est notre neutralité qui eût été violée et cependant un traité vaut l’autre. La Grande-Bretagne a-t-elle jamais sérieusement parlé de la violation de la neutralité du Luxembourg? C’est que le Luxembourg est loin du canal de la Manche et la Suisse encore plus. Un des derniers jours de juillet j’eus d’ailleurs l’occasion de parler de la neutralité suisse, tout à fait accidentellement, à Sir A.Nicolson, Sous-Secrétaire d’Etat aux Affaires Etrangères, et j’ai nettement rapporté de cette conversation l’impression que, selon mon interlocuteur, la violation de la neutralité suisse n’eût pas été un «casus belli» pour la Grande-Bretagne.
Voilà pour ce qui s’est passé avant la guerre et ce que je n’ai jamais trouvé le temps de vous dire jusqu’ici, tant nous sommes occupés.
En ce qui concerne la situation actuelle, il est à remarquer que le peuple anglais commence maintenant seulement à se rendre approximativement compte du sérieux de la lutte et du fait qu’il pourrait en être directement touché. Cependant, le recrutement, qui n’allait pas mal pendant un certain temps, se ralentit considérablement, malgré tous les pressants appels. Aussi la rumeur court-elle que le Parlement, qui se réunit le 11 courant et dont la session sera ouverte personnellement par le Roi, serait saisi d’une loi introduisant le service militaire obligatoire, au moins dans une certaine mesure. Décidée comme elle l’est à pousser la guerre à fond, la Grande-Bretagne devra bien, semble-t-il, en venir là, car les volontaires disposés à se faire enrôler dans l’armée se sont présentés déjà et ceux qui ne sont pas venus jusqu’ici ne changeront guère d’attitude. C’est que les guerres modernes et continentales se font maintenant avec une masse d’hommes si considérable que les contingents britanniques ordinaires ne suffisent plus. Nous verrons bientôt si cette rumeur, qui m’est revenue de différents côtés, est fondée.
- 1
- Rapport politique (Copie): E 2200 London 24,1. B.↩