dodis.ch/42789 Le Ministre de Suisse à Paris, Ch. Lardy, au Chef du Département des Finances et des Douanes, W. Hauser1
Avant-hier, samedi, après un dîner à la Présidence du Sénat, le Gouverneur de la Banque de France, M. Pallain, m’a pris à part et m’a dit: «J’ai été consulté sur Votre demande de nationalisation des monnaies divisionnaires; venez m’en parler, je désirerais Vous aider; je reconnais complètement que Votre situation ne peut durer, que Vous avez besoin d’une plus grande quantité de monnaies divisionnaires et que Vous avez fait preuve d’une très longue patience. Seulement avec Votre demande de libre frappe, Vous faites tout sauter. C’est la Banque de France qui a obtenu en 1897 que tout le monde fût obligé, sauf la Suisse, à refondre des écus; les Régents de la Banque sont trop intelligents et trop hommes d’affaires pour ignorer que l’étalon d’or est la seule politique monétaire possible; ils savent aussi ce que valent, hélas, les Parlements de France et d’Italie; le libre monnayage c’est la fin des fontes d’écus et c’est la monnaie divisionnaire livrée aux fantaisies des équilibristes du budget; c’est aussi le refoulement des écus français, italiens et belges sur les caves de la Banque de France. Il peut être égal à la Suisse de détruire l’Union latine; la Banque de France ne pleurerait pas de cette dissolution qui la délivrerait des écus italiens et belges, mais la question a une autre face parce que le traité d’Union met un frein aux fantaisies parlementaires, au bimétallisme des agraires etc. En outre, la Banque de France est mariée avec l’Etat; or l’Etat ne veut pas, pour des raisons politiques, une rupture de l’Union en ce moment et la Banque ne doit pas faire une autre politique que celle de l’Etat. Demandez un fort contingent de pièces divisionnaires à frapper en barres par la Suisse; cela est équitable et je Vous soutiendrai. Seulement 15 millions c’est trop. Tâchez aussi que Votre Gouvernement consente à refondre quelques millions d’écus; je Vous les donnerai, je les ai dans mes caves; enfin, et surtout, tâchez d’éviter une conférence; les Affaires étrangères en ont peur et Vous obtiendrez davantage si Vous pouvez Vous entendre avec nous sans conférence.»
J’attendrai pour aller voir M. Pallain une réponse de Vous à mon rapport du 4 mars2 et à la présente lettre.