Classement thématique série 1848–1945:
II. RELATIONS BILATÉRALES
23. Uruguay
23.2. Accréditation du Ministre de Suisse à Buenos Aires à Montevideo
Imprimé dans
Documents Diplomatiques Suisses, vol. 4, doc. 331
volume linkBern 1994
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Archives | Archives fédérales suisses, Berne | |
▼ ▶ Cote d'archives | CH-BAR#E2001A#1000/45#1045* | |
Ancienne cote | CH-BAR E 2001(A)1000/45 179 | |
Titre du dossier | Gesandte (1896–1917) | |
Référence archives | C.220.25 |
dodis.ch/42741
La Légation fonctionnant régulièrement dans son nouveau local et mon installation à peu près terminée me laissant quelque répit, je résolus d’aller sans plus tarder à Montevideo présenter mes lettres de créance à Monsieur le Président de la République Orientale de l’Uruguay.
Je m’embarquai le 15 novembre sur un des bateaux qui font le service entre les deux capitales et le lendemain dès l’aube, j’étais à Montevideo. M. le Consul Wettstein et quelques compatriotes vinrent me prendre à bord et m’accompagnèrent jusqu’à l’hôtel. Le jour-même, je rendis visite à M. Herrera y Espinosa, Ministre des Affaires étrangères et lui présentai ma demande d’être admis en audience par M. le Président Cuestas pour la remise de mes lettres de créance.
L’audience fut fixée au lundi 20 novembre. Elle eut lieu avec le cérémonial d’usage. J’adressai à M. le Président Cuestas les paroles suivantes:
«J’ai l’honneur de remettre sous ce pli à Votre Excellence les lettres par lesquelles le Conseil fédéral suisse m’accrédite en qualité de Ministre-Résident de la Confédération suisse auprès du Gouvernement de la République Orientale de l’Uruguay.
En me confiant cette honorable mission, mon Gouvernement m’a donné l’agréable tâche de rechercher tous les moyens qui pourraient servir à rendre de plus en plus intimes et fréquentes les excellentes relations existant si heureusement entre les deux pays.
La profonde sympathie que la Suisse nourrit pour sa noble sœur de l’Uruguay, le désir qu’elle a d’entretenir avec elle, dans l’intérêt commun, des rapports commerciaux toujours croissants, enfin le souvenir plein de gratitude qu’il m’a été donné de conserver de Votre beau pays, Vous sont de sûrs garants que je vouerai tous mes efforts à remplir efficacement ma mission et je me plais à espérer que Votre Excellence et les autorités de la République, par leur extrême bienveillance, voudront bien me la faciliter.»
Monsieur Cuestas me répondit2:
«M. le Ministre
Je reçois avec satisfaction les lettres de créance qui vous accréditent en qualité de Ministre-Résident de la Confédération suisse auprès de mon Gouvernement et vous remercie des appréciations bienveillantes que vous venez d’exprimer sur mon pays.
Je vous assure que je suis animé des meilleurs désirs de conserver et de resserrer encore plus, si possible, les excellentes relations que cultivent les deux Etats et qu’en même temps je suis disposé à développer nos échanges commerciaux.
Vous pouvez compter, Monsieur le Ministre, sur les plus grandes facilités de la part de mon Gouvernement pour l’accomplissement de votre mission diplomatique, à laquelle vous donnent droit vos qualités personnelles distinguées.
Vous êtes reconnu en qualité de Ministre-Résident de la Confédération suisse.»
Après un court entretien, je pris congé: d’après le protocole sud-américain, le chef de l’Etat n’indique pas que l’audience est terminée, mais c’est la personne reçue qui doit prendre congé.
J’employai les deux jours suivants à faire mes visites officielles aux autorités et au corps diplomatique. N’ayant aucune affaire en suspens auprès du Gouvernement, je n’eus guère qu’à échanger des politesses avec les différents Ministres. J’entretins toutefois M. le Ministre des Affaires étrangères de votre désir de voir conclure entre la Suisse et la République Orientale de l’Uruguay une convention commerciale sur les bases de la nation la plus favorisée, analogue à celles que feu M. Rodé avait conclues avec l’Argentine et le Paraguay3. M. Herrera y Espinosa me demanda de lui soumettre le texte de notre convention avec l’Argentine. Je crus pouvoir sans inconvénient me rendre à ce désir, et il me promit d’étudier la question et de me faire connaître ultérieurement ses intentions.
L’impression que j’ai recueillie de tous côtés à Montevideo est que le pays marche à son relèvement grâce surtout à la direction énergique de M. le Président Cuestas. Depuis son arrivée au pouvoir celui-ci s’efforce de ramener la moralité dans l’administration et de panser les plaies causées par la guerre civile. On rend unanimement hommage à son intégrité et à son courage et on regrette que cette âme d’élite soit mal servie par un physique infirme et débile. M. Cuestas est très âgé, maladif et le moindre effort l’oblige à un repos prolongé. D’autre part, les factions politiques n’ont pas désarmé. A chaque instant, il court des bruits de soulèvements soit politiques, soit militaires et le souvenir de l’assassinat de feu M. le Président Borda (voir les rapports de M. Rodé des 30 août 1897 et suivants4)n’est pas encourageant pour le chef de l’Etat. Il faut donc au Président actuel une grande force de caractère pour poursuivre la tâche qu’il s’est imposée. Nos concitoyens l’accompagnent de leurs vœux, car ils ne désirent rien tant qu’un régime tranquille et moralisateur.
Aucune allusion ne m’a été faite au sujet de l’incident Nin5 et de la Légation uruguayenne en Suisse; de mon côté je n’ai pas cru devoir soulever la question.
Il me revient toutefois qu’un journal d’opposition, à l’occasion de la remise de mes lettres de créance, aurait reproché au Gouvernement de recevoir le représentant d’une nation qui a «insulté» la République Orientale dans la personne du Ministre uruguayen. J’ai prié M. le Consul Wettstein de vérifier le fait et le cas échéant, de m’envoyer le journal dont il s’agit.
Etant à Montevideo, je ne pouvais manquer d’aller rendre visite à la colonie suisse de Nueva Helvecia, la colonie modèle de l’Uruguay et peut-être de tout le Rio de Plata. Je m’y rendis le jeudi 23 novembre en compagnie de M. le Consul Wettstein pour en revenir le samedi soir. Dans son rapport du 2 mai 18926, feu M. le Ministre Rodé vous a décrit de main de maître cette riante contrée et la situation prospère de nos concitoyens qui l’habitent: je serai donc bref pour éviter des redites. Comme mon prédécesseur, j'ai été accueilli avec la plus franche cordialité et le patriotisme le plus pur; comme lui, j’ai pu constater combien le souvenir de la patrie est vivant chez les Suisses de Nueva Helvecia et avec quelle reconnaissance ils acceptent toute marque d’intérêt que le Conseil fédéral leur envoie.
Actuellement, et depuis un an environ, le chemin de fer passe à Nueva Helvecia; le pénible trajet en voiture de San José à la colonie a donc passé à l’état de souvenir. Nos colons s’en félicitent avec raison; ils vont maintenant en sept heures à Montevideo et ont tous les avantages d’un trafic régulier et sûr. Cette sécurité n’est pas un élément à dédaigner: de San José à la colonie il y a plusieurs rivières à traverser qui, en temps de pluie, ont coûté la vie à bien des personnes et englouti bien des chargements de marchandises ou des sacs de correspondance. La ligne n’est construite que jusqu’à Rosario et on travaille au dernier tronçon Rosario-Colonia. Celui-ci terminé, on ira de Buenos Aires à Nueva Helvecia en cinq heures, soit deux pour la traversée Buenos Aires-Colonia et trois pour le trajet Colonia-NuevaHelvecia. La colonie ne pourra que gagner à l’augmentation de trafic qui en résultera. Il ne m’étonnerait pas qu’ainsi bien desservie, elle ne devînt dans une certaine mesure un lieu de plaisance, une espèce de «Kurort»: son air merveilleux, ses sites charmants lui ont déjà fait une réputation qui ne peut qu’aller croissant et il ne manque pas de familles de Montevideo qui vont y passer çà et là quelques semaines.
Ainsi que vous l’a exposé M. Rodé, il est vivement à regretter que la colonie de Nueva Helvecia ait été établie dans des proportions trop modestes: les terrains n’y suffisent plus et la pléthore relative d’habitants s’y fait sentir. 11 y a deux ans, une émigration de quelques familles s’est produite, et elle se renouvellera forcément. Mais précisément par cette sélection qui élimine les moins fortunés, tous nos compatriotes de Nueva Helvecia sont dans l’aisance et plusieurs sont réellement riches. Le grand revenu consiste toujours dans l’élevage et surtout dans l’industrie laitière. On m’a assuré qu’il part chaque jour de la colonie pour Montevideo un wagon de beurre et de fromage. Je ne m’en étonne aucunement et ce qu’il y a de certain, c’est que ces produits méritent leur réputation.
Dans ces conditions, il ne peut pas être question pour le moment d’émigration suisse dans la colonie de Nueva Helvecia, à l’exception toutefois de certains artisans et de quelques laitiers ou fromagers qui – me disait un colon – y seraient les bienvenus.
Le Vice-consul de la Confédération à Nueva Helvecia, M. le Dr Imhof, m’a entouré d’attentions. J’ai constaté avec plaisir qu’il jouit de l’estime générale et s’acquitte de ses fonctions à la satisfaction de nos compatriotes. A Montevideo, la colonie suisse est actuellement moins nombreuse que par le passé. Le «Club suisse» autrefois florissant a même dû se dissoudre par suite de la disparition de divers de ses membres. L’élément tessinois est en grande majorité. Nous avons en M. Germain Wettstein un excellent consul, qui connaît à fond le pays, s’acquitte de ses fonctions avec autant d’intelligence que de zèle et qui s’est conquis l’estime de ses concitoyens.
Dès le premier moment, M. Wettstein m’a assuré que personne ne rappellerait devant moi l’incident regrettable survenu entre feu M. Rodé et la colonie suisse.7 Je l’espérais bien et n’avais pas caché à notre consul que mon intention était de me lever de table si, au banquet que les Suisses avaient l’amabilité de m’offrir, le silence n’était pas imposé immédiatement au malencontreux orateur qui croirait devoir exhumer cette question. Il n’en a rien été et volentes nolentes, mais sans broncher, les assistants au banquet ont écouté l’hommage que, dans mon discours, je me suis senti le devoir d’adresser à mon regretté prédécesseur. J’ajoute que le Président et le secrétaire de la Société de secours mutuels, MM. Ceppi et Sennhauser, qui étaient parmi les adversaires les plus acharnés de M. Rodé, se sont montrés envers moi très corrects et prévenants. Quant à M. Rappaz, ancien consul, on n’en parle pour ainsi dire plus: il a quitté Montevideo pour aller s’établir au Salto et il y réussit, paraît-il, assez bien.
Je rentrai à Buenos Aires le 29 novembre.
- 1
- Lettre: E 2001 (A) 1051.↩
- 2
- Note marginale: (Traduction)↩
- 3
- Ces conventions ont été négociées en 1896, mais n’ont pas obtenu la ratification, cf. no 219.↩
- 4
- Cf. E 2001 (A) 140.↩
- 5
- Cf. nos 220, 226, 228, 230, 231, 235.↩
- 6
- Cf. E 2300Buenos Aires 2/ 1.↩
- 7
- Il s’agit d’un différend au sujet du consul suisse à Montevideo. (Cf. FF 1896, IV, pp. 1153– 1162.)↩
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