Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 4, doc. 290
volume linkBern 1994
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2300#1000/716#738* | |
Old classification | CH-BAR E 2300(-)1000/716 336 | |
Dossier title | Paris, Politische Berichte und Briefe, Militärberichte, Band 52 (1899–1899) |
dodis.ch/42700
Il y a huit jours, l’Ambassadeur d’Autriche me disait que le jour même son collègue d’Angleterre, Sir Edm. Monson, lui avait déclaré qu’il avait en vain essayé la veille d’amener M. Delcassé à lui parler de l’une ou de l’autre des questions pendantes entre la France et l’Angleterre. La situation restait donc celle que je vous avais décrite dans mon rapport du 28 décembre.2 Monson avait aussi essayé de faire parler le Président de la République, auquel il avait été appelé à remettre une notification pour une naissance ou autre formalité de cérémoniel, sans parvenir à en tirer autre chose que des banalités; cependant alors que Monson était déjà sur le pas de la porte, M. Félix Faure lui aurait dit: «Il faut cependant, Monsieur l’Ambassadeur, que je vous fasse une observation; les journaux anglais représentent la France comme profondément divisée; je tiens à vous dire que j’ai fait une enquête personnelle au sujet de ces divisions et je puis vous assurer qu’elles sont apparentes et toutes de surface; il serait bon que l’on s’en rendît compte en Angleterre.»
Depuis lors, un surcroît d’affaires courantes m’a empêché d’aller aux informations, mais ce matin j’ai pu m’échapper de notre Chancellerie et ai appris de Monson qu’il y a huit jours il avait reçu de Lord Salisbury un billet personnel lui annonçant que le mercredi 11 le nouvel Ambassadeur de France, M. Cambon, avait enfin eu avec lui une conversation, très vague et très générale il est vrai, mais portant sur l’ensemble des relations entre les deux pays, aussi bien sur la question de Terre-Neuve que sur celle de Madagascar et sur celle du Bahr-el-Ghazal; sur les trois points Lord Salisbury ajoutait que M. Cambon avait fait part de l’intention du Gouvernement français de se montrer très conciliant et de chercher à arriver à un accord amiable, satisfaisant pour les deux parties. Une lettre officielle postérieure est venue confirmer cette correspondance privée, mais sans contenir plus de détails.
Monson m’a dit que les réceptions de Lord Salisbury ayant lieu à Londres, comme à Paris, le mercredi, il saurait seulement demain matin par la valise si un nouvel entretien avait eu lieu avant-hier entre Lord Salisbury et M. Cambon, mais il a ajouté qu’hier soir il avait eu, soit avec le Président de la République, soit avec M. Dupuy, le Président du Conseil, après un dîner à l’Elysée, des conversations sur un ton tout-à-fait conciliant et au cours desquelles ses interlocuteurs lui ont déclaré sans ambages que la France désirait arriver à un accord satisfaisant sur les trois questions. M. Dupuy s’est montré particulièrement affirmatif.
Sir Edm. Monson m’a paru fort heureux de cette tournure que prennent les choses; bien entendu c’est un commencement et non pas un milieu et encore moins une fin de l’ère des difficultés graves. Comme Lord Salisbury désire arriver à un accord, il n’est pas impossible que cet accord se produise, Lord Salisbury ayant le sentiment qu’un écrasement maritime de la France pourrait faire naître les susceptibilités d’autres Etats.
Il y a donc une détente, mais chacun des négociateurs a encore son revolver chargé dans la poche en sorte qu’il convient de rester sur ses gardes.
J’en vois la preuve dans le gros pétard qui a éclaté cette nuit à Paris et que la presse française n’a pas encore eu le temps de commenter et qui a consisté à faire signer hier au Caire entre l’agent anglais Lord Cromer et un Pacha égyptien quelconque une pseudo-convention qui signifie nettement, clairement et carrément que la Haute-Egypte, y compris le Bahr-El-Ghazal, ayant été conquise en commun par l’Angleterre et l’Egypte leur appartiennent en commun à l’exclusion de toute autre ingérence quelconque, européenne ou autre; ni les capitulations, ni les Tribunaux mixtes, ni tout l’appareil de contrôle européen institué pour la Basse-Egypte ne fonctionneront dans le Soudan; les drapeaux de l’Angleterre et de l’Egypte y flotteront seuls; bien plus aucun gouvernement ne pourra y ériger de consulat, vice-consulat ou agence consulaire sans l’assentiment du Gouvernement britannique, à l’exclusion du Gouvernement égyptien lui-même.
Monson me dit que depuis des semaines, il cherche l’occasion de déclarer ici qu'en aucun cas l’Angleterre n’admettra d’immixtion étrangère au Soudan, sans être arrivée à pouvoir le faire. Il se demande ce qu’on dira ce soir à Paris et il est de fait que comme procédé de négociation c’est un procédé d’une clarté «électrique». M. Delcassé, qui doit demain ou lundi à propos de la discussion du budget des Affaires étrangères à la Chambre, être appelé à faire des déclarations sur la politique extérieure, ne voit pas sa tâche précisément facilitée et il est à craindre qu’ici on ne se croie de nouveau en présence d’une nouvelle tentative britannique de mettre le feu à l’opinion pour avoir «l’explosion du Maine» arrivée si à propos il y a un an à La Havane pour favoriser les partisans américains de la guerre. Je crois qu’ici on acceptera tout ce qu’on pourra accepter.
De deux côtés qui me paraissent l’un et l’autre en situation d’être bien renseignés, j’apprends que la visite faite par l’Empereur d’Allemagne à M. de Noailles, Ambassadeur de France à Berlin, aurait été extrêmement amicale et courtoise, se serait réellement prolongée pendant une heure entière, mais n’aurait pas eu la portée politique qu’on a cherché à lui donner dans la presse française. Je n’en constate pas moins ce phénomène qu’on peut constamment lire dans une revue ou une autre, même dans de petites revues à l’usage des familles et des enfants, des articles polis, presque élogieux, ne contenant pas l’ombre d’une récrimination, sur l’Empereur d’Allemagne avec accompagnement de portraits de ce souverain, de sa famille et de ses résidences, toutes choses qui eussent paru monstrueuses à Paris, il y a deux ans. Mon ancien collaborateur, M. Duplan, me dit que le Commissaire allemand à l’Exposition a l’ordre de ne soulever aucune difficulté et accepte ou appuyé toutes les demandes du Commissariat français, même lorsque ces demandes coûtent cher et mettent dans l’embarras les Commissaires des autres pays. Il doit y avoir là quelque anguille sous roche. Peut-être Guillaume II, après avoir été en Palestine l’année dernière, veut-il simplement venir à Paris en 1900. S’il réussit, ce sera un coup très habile, mais pour le moment c’est encore une imprudence. Je dis «pour le moment», car je ne me charge pas de prophétiser à dix-huit mois d’échéance.
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