Imprimé dans
Documents Diplomatiques Suisses, vol. 4, doc. 196
volume linkBern 1994
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Archives | Archives fédérales suisses, Berne | |
▼ ▶ Cote d'archives | CH-BAR#E2300#1000/716#454* | |
Ancienne cote | CH-BAR E 2300(-)1000/716 219 | |
Titre du dossier | London, Politische Berichte und Briefe, Militärberichte, Band 2 (1895–1897) |
dodis.ch/42606 Le Chargé d'affaires de Suisse à Londres, Ch. D. Bourcart, au Président de la Confédération et Chef du Département politique, A. Lachenal1
«Avec de la fermeté et du calme», disait encore Lord Salisbury à un de mes collègues il y a seulement deux ou trois jours «je crois que nous pourrons sortir sans complications plus graves de la crise que nous traversons». Vous voyez donc que le Premier Ministre maintient son point de vue plutôt optimiste qu’il avait déjà manifesté précédemment vis-à-vis de moi et que je vous avais signalé en son temps. Mais tous les jours semblent apporter quelqu’incident nouveau et lorsqu’il parlait à mon collègue le télégramme de l’Empereur d’Allemagne au Président Krüger n’était pas encore connu. Je n’ai pas besoin de vous dire que dans le public comme dans la presse on s’est montré fort irrité de ce que l’on considère comme une insulte gratuite de l’Empereur; le peuple anglais est généralement calme et froid mais ses nerfs ont été mis à une rude épreuve ces derniers temps et il ne faut pas se dissimuler que le jour où une guerre paraîtrait inévitable l’enthousiasme serait très grand ici et chacun serait prêt à faire tous les sacrifices que demanderait la défense de la patrie. Les Anglais ont beaucoup à perdre dans une guerre avec n’importe quelle puissance européenne ou américaine et pour cela ils sont prudents et prêts même à «avaler toutes sortes de couleuvres», comme ils l’ont prouvé déjà; mais certainement cette faculté a aussi ses limites et on n’est pas loin de les avoir atteintes; l’opinion publique devient nerveuse et il faut espérer qu’aucun incident nouveau ne viendra aggraver la situation.
Dans l’entretien auquel je faisais allusion plus haut Lord Salisbury a du reste dit à mon collègue que la question qui lui paraissait encore la plus dangereuse était la question d’Orient parce que ces derniers temps on avait surtout cherché à maintenir le concert européen, mais sans arriver à trouver une solution pour l’amélioration du sort des Arméniens ou la réorganisation de l’Empireottoman en général.
C’est naturellement la Russie qui inquiète principalement Lord S.; d’après ce qu’il a dit à mon collègue l’avenir serait d’autant plus incertain de ce côté-là que le Czar aurait résolu de ne pas intervenir dans la direction de la politique extérieure jusqu’à son couronnement (en mai) mais qu’à partir de ce moment il entend donner une impulsion toute personnelle à sa politique étrangère; or personne ne sait, au dire de Lord S. dans quel sens sera dirigée cette politique.
Vous êtes tenu au courant des affaires du Transvaal par les journaux mais je crois devoir vous dire qu’au Foreign Office on ne se montrait pas du tout rassuré cet après-midi; d’après les dernières nouvelles l’effervescence serait grande du côté des «Uitlanders» aussi bien que du côté des «Boers» et on semblait appréhender de nouveaux conflits. Vis-à-vis d’un diplomate de mes amis, Lord S., en maintenant la parfaite bonne foi de son gouvernement n’a pas osé affirmer que M. Cecil Rhodes n’ait pas eu connaissance préalable des intentions du Dr Jameson. Du reste par les lettres privées d’avant les derniers événements qui commencent à arriver, il est clair que presque tout le monde savait qu’il se préparait quelque chose; dans ces circonstances, on n’ose guère croire aux assurances d’ignorance de M. Rhodes et en outre on peut se demander comment il a pu se faire que le gouverneur anglais du Cap n’ait rien su ou que, sachant ce qui se passait, il n’ait pas prévenu son gouvernement. L’ambassadeur d’une puissance non-intéressée directement me dit qu’on lui a assuré de divers côtés que le gouvernement aurait été plus ou moins au courant des préparatifs et n’aurait désavoué Jameson que lorsqu’il aurait vu qu’il n’avait pas de chance de réussir. Une semblable accusation est par trop grave pour l’accepter sans preuves.
J’ai vu hier un de nos compatriotes qui a été l’année dernière au Transvaal pour les affaires d’une compagnie sud-africaine dont il est un des principaux intéressés. Quoique ses sympathies soient en général très anglaises, il m’a assuré que les «Boers» sont les plus braves gens du monde et qu’au fond on se trouvait parfaitement bien sous leur gouvernement; toutefois ce dernier ne serait pas tout à fait sans reproches et laisserait à désirer surtout au point de vue de l’intégrité; pour obtenir des concessions, des facilités ou n’importe quoi, «il faut» me disait ce compatriote, et il avait l’air de parler par expérience, «graisser un grand nombre de pattes, à commencer par les plus grosses, sans en excepter même celle du Président Krüger; dans ces derniers temps toutefois ce dernier n’aurait plus rien accepté, sa fortune faite principalement de cette manière lui paraissant sans doute suffisante; mais ses gendres et le reste de sa famille et de ses acolytes suit son exemple et ils paraissent apprécier ce moyen aisé de faire fortune».
[...]2
- 1
- Lettre: E 2300 London 2.↩
- 2
- Suivent des considérations sur un litige entre la Grande-Bretagne et le Brésil concernant l’île de Trinidad. Lord Salisbury aurait suggéré un arbitrage suisse.↩