dodis.ch/42548
Le Ministre de Suisse à Paris, Ch.
Lardy, au Chef du Département des Affaires étrangères,
A. Lachenal1
‹L’Ambassadeur dAngleterre, Lord Dufferin› m’a dit cet après-midi qu’il n’avait pas eu d’entretien récent avec M. Hanotaux sur les affaires de l’Afrique centrale, mais que le danger résidait dans le désir que pourrait avoir le commandant Monteil, chef de l’expédition française, d’agir à sa guise, convaincu qu’on lui demandait seulement de réussir. Si le commandant Monteil gagne le nord, passe en les laissant de côté, entre les postes belges et le Tchad, pour gagner le bassin du haut-Nil, alors que des négociations sont pendantes entre l’Angleterre et la France, la situation pourra devenir sérieuse. L’Angleterre a obtenu de l’Allemagne et de l’Italie la reconnaissance que ce bassin rentre dans la sphère d’influence britannique; elle ne pourrait s’empêcher de considérer comme une «offense» l’envoi de troupes françaises dans ce territoire. On estime à ‹Londres› que la France sera toujours plus faible dans cette région que l’Angleterre, puisque les Français doivent traverser tout le continent africain, tandis que les officiers anglais ont organisé sans bruit dans l’Ouganda une force de 14.000 hommes, composée en partie de Nègres et en partie de Sindhs de l’Inde.
Si au contraire le Commandant Monteil a un conflit armé avec les postes belges de l’Oubangui, la chose sera moins grave, mais l’impression d’abus de la force contre l’Etat du Congo subsistera quand même; on s’était contenté jusqu’ici d’user du poids spécifique respectif des parties en cause, de pressions diplomatiques et financières, en profitant des embarras d’argent du Roi Léopold. Une action militaire est évidemment quelque chose de plus grave, mais je persiste dans l’impression ‹que les Anglais ne sont pas résolus à soutenir à tout prix le roi Léopold dans l’ouest afin de pouvoir concentrer tout leur effort sur le haut-Nib.2