Lingua: francese
5.8.1872 (lunedì)
Notice du Secrétaire du Département politique, E. Secretan
Appunto (No)
Entretien de Secretan avec le Chargé d'Affaires du Saint-Siège, Mgr Agnozzi: éventualité d’un évêché tessinois et d’un diocèse de Genève. Position des catholiques genevois.

Classement thématique série 1848–1945:
II. AFFAIRES ECCLÉSIASTIQUES
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Pubblicato in

Roland Ruffieux (ed.)

Documenti Diplomatici Svizzeri, vol. 2, doc. 422

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Bern 1985

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Collocazione

dodis.ch/41955
Notice du Secrétaire du Département politique, E. Secretan1

Me trouvant à Lucerne, le Vendredi 2 Août 1872, je me rendis dans l’aprèsmidi (472 h.) auprès de Monseigneur Agnozzi, Chargé d’Affaires du Saint-Siège auprès de la Confédération. Après avoir échangé quelques phrases de politesse, Msgr Agnozzi me dit qu’il se proposait d’aller à Berne sous peu, pour conférer avec M. le Président de la Confédération sur la question de l’organisation épiscopale du Canton du Tessin. «Je suis muni des pleins pouvoirs nécessaires pour traiter cette question, me dit-il; je serais déjà venu à Berne plus tôt, mais la présence de l’Assemblée fédérale m’en a retenu; j’ai pensé que M. le Président devait avoir beaucoup à faire et puis je préférais ne pas m’y rencontrer avec MM. les Députés du Canton du Tessin. Avec M. le Président, nous tomberons d’accord plus facilement, si du moins de bonne foi nous désirons tous les deux le règlement de cette question. Lorsqu’une fois nous serons d’accord sur la base des négociations, il sera plus facile d’arriver à un résultat avec le Gouvernement du Tessin; sinon à quoi bon commencer à travailler si l’on est certain de ne pas aboutir.»

Je lui demandai alors quelle était son idée et si le Saint-Siège avait une préférence pour l’un ou l’autre des systèmes possibles: l’érection d’un Evêché spécial pour le Tessin, l’annexion de ce Canton à l’Evêché de Bâle ou à celui de Coire, ou bien la nomination d’un Administrateur apostolique.

Msgr Agnozzi exposa alors les arguments qui à son avis militent en faveur de l’érection d’un Evêché tessinois: l’étendue du pays et le nombre considérable de ses habitants, la différence de langue d’avec les autres Cantons suisses, l’espèce d’humiliation qu’éprouverait le Canton du Tessin si on l’annexait à un diocèse déjà existant, la configuration topographique du pays, etc.

«Si au lieu d’un Evêque on établissait au Tessin un Administrateur apostolique, le Canton aurait bien moins de garanties quant à la personne de ce dignitaire. Si le Saint-Siège nomme un Evêque, celui-ci sera Suisse et sera beaucoup plus indépendant de la Curie romaine qu’un Administrateur apostolique que le Saint-Père peut changer et rappeler suivant son bon plaisir. Un Evêque, une fois investi de son diocèse, ne peut plus être éloigné que s’il se rend coupable de fautes graves contre la discipline de l’Eglise. Et puis il faut rallier le Tessin à la Suisse. Jusqu’à présent, son intérêt est de ce côté, parce que l’Italie marche vers l’abîme; mais si un jour cela venait à changer, il serait utile d’avoir su à temps séparer entièrement les destinées du Tessin de celles du reste de la Péninsule.»

«L’annexion aux Evêchés de Coire ou de Bâle est impossible à cause de la différence de langues et de la trop grande étendue de ces diocèses. Déjà maintenant, ces deux Evêques ne peuvent pas suffire à la tâche.»

Je demandai alors à Msgr Agnozzi si les Evêchés du Valais et de Lausanne donnaient autant de travail et d’occupation que les deux dont il venait de parler. Mon interlocuteur, sans répondre directement à ma question, me dit tout à coup: «A propos, puisque vous parlez de l’Evêché de Lausanne, j’ai été très content de la décision discrète que le Conseil fédéral a prise hier2 au sujet de la nouvelle, publiée par la Gazette de Lausanne, de la séparation du Canton de Genève du diocèse de Lausanne et de son érection en Evêché spécial.»

Il va sans dire, lui répliquai-je, que le Conseil fédéral ne pouvait pas faire des démarches officielles auprès de vous sur la foi d’un seul article de journal, mais puisque vous entamez ce sujet, que croyez-vous qu’il y ait de fondé dans cette nouvelle et d’où peut-elle provenir?

«Je n’ai aucune instruction sur cette affaire, me dit Msgr Agnozzi; Msgr Marilley est Evêque de Lausanne et de Genève; je lui ai encore écrit en cette qualité ce matin. Je ne crois pas que la nouvelle de la Gazette de Lausanne soit vraie, à moins qu’une décision n’ait été prise par le St-Siège, ces derniers jours.»

Dans ce cas, lui dis-je, vous ne seriez pas le dernier à en être informé; mais croyez-vous qu’il soit dans l’intention du Saint-Père ou dans ses désirs de prendre une mesure de ce genre? Rome doit attacher une certaine importance à l’érection d’un Evêché à Genève, cette ville si importante en Suisse: la Cité de Calvin.

«Il n’est pas nécessaire d’ériger un Evêché à Genève puisqu’il subsiste déjà, répliqua Msgr Agnozzi; Msgr Marilley n’est-il pas Evêque de Lausanne et Evêque de Genève depuis 1819. Comme il lui était impossible de suffire à la tâche, on lui a donné un auxiliaire en 1864 dans la personne de Msgr Mermillod. Celui-ci a toujours rempli à Genève toutes les fonctions épiscopales; le Gouvernement genevois, du temps de M. Camperio, a correspondu directement avec lui en cette qualité. Il y a bien un Evêque de Genève; le titulaire est le même que celui de Lausanne, mais cela n’a point d’importance quant au fait.»

Il y a pourtant une certaine différence, lui dis-je, entre l’existence de deux Evêchés distincts et l’état de choses actuel. Msgr Marilley est Evêque du diocèse de Lausanne et Genève, mais non pas des diocèses de Lausanne et de Genève. Neuchâtel et Fribourg seraient alors aussi des Evêchés, car en réalité le titre ne fait rien à la chose.

Msgr Agnozzi ne voulut pas admettre cela et s’en tint au titre d’Evêque de Lausanne et d’Evêque de Genève. Une discussion sur ce point me paraissant inutile, je le laissai parler.

«Depuis que M. Carteret est au Gouvernement, la position a changé; elle est devenue intolérable pour les Catholiques qui sont pourtant en majorité dans le Canton. On ne veut plus correspondre avec Msgr Mermillod, mais seulement avec Fribourg. Vous comprenez que ceci met Msgr Marilley dans une position désagréable vis-à-vis du St-Siège lui-même et peut-être, comme il est âgé, demandera-t-il au St-Siège de lui accorder sa démission d’Evêque de Genève. Alors, que voulez-vous que fasse le Saint-Père? Il ne peut pas laisser le Canton de Genève sans direction épiscopale et il séparera sur deux personnes deux dignités réunies jusqu’à présent en une seule. C’est une question de personnes, rien d’autre, puisque la chose existe.»

Msgr Agnozzi parlant d’abondance, je le laissai continuer sans l’interrompre.

«Si cela arrive, ce sera la faute du Gouvernement de Genève. Pourquoi nous persécute-t-il? Pourquoi expulse-t-il les Frères et les Sœurs de la Doctrine chrétienne? J’ai reçu des instructions de Rome m’ordonnant de protester auprès du Conseil fédéral contre cette mesure. C’est désagréable toutes ces choses-là, quand on pourrait vivre en bons voisins, mais le Saint-Père ne peut pas laisser ses fidèles sans protection.»

«C’est comme le disait M. Pictet, dans le Grand Conseil de Genève, à M. Carteret et ses amis, [ce sont] &ux qui frayent la route à la nomination d’un Evêque de Genève. Moi, je ne suis pas là pour dormir, j’ai dû raconter toutes ces choses-là à Rome et Msgr Mermillod qui est très zélé raconte aussi de son côté.»

Vous pensez donc que la nouvelle de la Gazette de Lausanne est plutôt prématurée qu’entièrement fausse, lui dis-je?

«Je n’ai point d’instructions, je ne sais rien; mais ce que je vous ai dit peut arriver par la faute de M. Carteret avec ses amis.»

Qui croyez-vous qui ait fait cette communication à la presse? Croyez-vous que ce soit un personnage bien informé, haut placé?

Msgr Agnozzi ne répondit pas directement à cette question que je lui répétai à plusieurs reprises.

«C’est un bruit, rien d’autre, me dit-il; je ne sais d’où il peut venir, du moins je ne suis pas informé. A moins d’une décision prise dernier[ement à Rome, Msgr Marilley est à présent Evêque de Genève, je ne connais que lui en cette qualité.»

Si M. le Président me demandait quelle est votre opinion sur ce point, que pourrais-je lui répondre?

«Dites-lui que je ne sais rien, que je n’ai pas d’instructions sur cette affaire, que je ne connais qu’un seul Evêque de Genève, c’est Msgr Marilley

Il me semble résulter de mon entretien avec Msgr Agnozzi que le plan de séparer Genève du diocèse de Lausanne n’est pas perdu de vue par la Curie romaine, qu’au contraire, celle-ci ne cherche qu’une occasion pour en venir à ses fins. La nouvelle de la Gazette de Lausanne me semble prématurée en tous cas. C’est le fait d’un ennemi qui avertit, ou peut-être un ballon d’essai destiné à tâter l’opinion publique.

1
E22/1669.
2
Cf. no 421.