Classement thématique série 1848–1945:
I. LES RELATIONS INTERGOUVERNEMENTALES ET LA VIE DES ÉTATS
I.12 FRANCE
Abgedruckt in
Diplomatische Dokumente der Schweiz, Bd. 2, Dok. 410
volume linkBern 1985
Mehr… |▼▶Aufbewahrungsort
Archiv | Schweizerisches Bundesarchiv, Bern | |
▼ ▶ Signatur | CH-BAR#E27#1000/721#13384* | |
Alte Signatur | CH-BAR E 27(-)1000/721 2727 | |
Dossiertitel | Verpflegungs- und Rechnungswesen für die Internierten der französischen Ostarmee, Bd 1 (1871–1873) | |
Aktenzeichen Archiv | 06.H.2.g.1.b |
dodis.ch/41943
Ainsi que j’ai eu l’honneur de Vous l’annoncer hier2, j’avais deux motifs pour me rendre à Versailles: la question des passeports, et les attaques de la Liberté au sujet des frais d'internement de l’armée française de l’Est.
I. J’aborde d’abord la question des passeports.
M. de Rémusat m’avait déclaré qu’il attendait une réponse de M. Lefranc, Ministre de l’Intérieur, avant de me faire connaître les intentions définitives du Gouvernement (voir mon rapport du 4 Mai3).M. Victor Lefranc, que j’ai vu hier matin, m’a assuré n’avoir reçu à ce sujet aucune communication du Ministre des Affaires étrangères; il n’a pas eu connaissance de ma note détaillée. Il a ajouté que ces communications étaient probablement dans ses Bureaux. J’ai profité de l’occasion pour dire à M. Lefranc que le Préfet de Police m’avait, dans une conversation récente, déclaré qu’au point de vue de la sûreté, il n’avait pas d’objection à faire contre le remplacement des passeports et des visas par une pièce de légitimation quelconque, émanant même de l’autorité municipale. M. Lefranc m’a paru disposé à adopter cette manière de voir, et a promis de faire son possible pour accélérer une solution.
Sur ces entrefaites, je me suis rendu chez M. de Rémusat, que j’ai trouvé au sortir de son déjeuner, et avant la séance du Conseil des Ministres. Je lui ai fait part de la réponse de M. Lefranc, et je l’ai prié de donner des ordres pour que M. le Ministre de l’Intérieur fût nanti sans retard des demandes de la Suisse. La saison d’été et le grand nombre de voyageurs qui se rendent en Suisse à cette époque de l’année, rendent nécessaire une prompte décision. – Tout en répétant qu’il était certain de la transmission de l’affaire à son collègue de l’Intérieur, M. de Rémusat m’a de nouveau assuré qu’il ferait tout son possible pour me donner très prochainement une réponse satisfaisante.
J’ai alors abordé avec M. le Ministre des Affaires étrangères le principal objet de ma visite.
II. Les attaques de la «Liberté» contre la Suisse au sujet des frais d’internement de l’armée de l’Est.
1°. J’ai demandé à M. de Rémusat s’il avait reçu de M. Lanfrey la lettre annoncée par M. Cérésole, et dans laquelle le Ministre de France à Berne devait faire part à M. de Rémusat de son indignation au sujet de ces attaques, et demander que le Journal officiel se fît l’organe de ce sentiment.
M. de Rémusat m’a répondu négativement.
Je l’ai alors rendu attentif au dernier article publié Dimanche dernier 5 Mai, par la Liberté. «Je ne parle pas des critiques de ce journal, j’y ai répondu très officieusement dans le journal Le Temps. Je peux donc passer outre sur ce point. Mais il est de mon devoir de Vous signaler les procédés de cette feuille. Elle ose dire que le GowvmzemertfFrançaisademandéuneréductionde 1182 010 francs 20 c. Elle ose dire qu’elle «tient à la disposition de son contradicteur les Documents officiels». Elle termine en déclarant qu’elle est en mesure de prouver ses assertions «pièces en mains». Je pense que le Gouvernement lui-même appréciera comme il convient cette conduite, et fera le nécessaire en présence d’un semblable procédé. N’est-il pas contre tous les usages, je Vous le demande, qu’un journal publie des attaques aussi odieuses contre un Gouvernement étranger, ou se donnant des airs officieux, et en prétendant se baser sur des documents officiels, alors que ce Gouvernement étranger ne sait absolument rien? Quant à moi personnellement, je crois le fait assez important pour que l’idée de M. Lanfrey, d’insérer une rectification dans le Journal officiel, soit prise en sérieuse considération.»
M. de Rémusat qui allait se rendre au Conseil des Ministres, m’a dit qu’il en parlerait sur le champ à MM. Thiers et de Cissey. Il m’a paru personnellement assez disposé à accorder l’insertion d’un désaveu dans le Journal officiel, sans cependant s’exprimer formellement dans ce sens.
2°. En quittant M. le Ministre des Affaires étrangères, je me suis rendu chez M. Barthélémy St-Hilaire. Je lui ai fait exactement les mêmes déclarations qu’à M. de Rémusat, et je puis dire que je l’ai trouvé également bien disposé. Il m’a annoncé son intention d’en parler à M. de Rémusat et de se mettre d’accord avec
3°. Après la séance du Conseil des Ministres, j’ai été voir M. de Goulard, Ministre des Finances. J’avais du reste déjà eu l’occasion de l’entretenir Dimanche dernier de la question, m’étant trouvé à côté de lui dans le Pavillon réservé à Mad[ame Thiers, aux courses de Longchamps. M. de Goulard a fortement blâmé les articles de la Liberté. Il a exprimé sa conviction que ce journal avait dû, par suite d’une indiscrétion, recevoir des communications d’un employé ministériel. Il fera une enquête au Ministère des Finances. Il considère la Liberté comme une feuille détestable.
4°. La Liberté ayant déclaré que les frais de surveillance des internés s’élèvent à 1901000 francs, tandis que d’après la notice du Commissariat Central des guerres, ces frais sont seulement de 1571947 francs 40 c., j’ai été aux renseignements chez le Ministrede la Guerre et chez son chef de cabinet. – M. le Général de Cissey m’a dit que les comptes étaient actuellement à Paris entre les mains de l’Intendant général Guillot, Directeur général du Contrôle et de la Comptabilité générale, 86, rue St-Dominique. M. de Cissey a exprimé de son côté «l’indignation» que lui font éprouver les attaques de la Liberté. Il fera des recherches pour savoir quel peut être l’auteur des communications faites à la Liberté, en violation de tous les usages admis de Gouvernement à Gouvernement. «Si le coupable peut être découvert, m’a dit le Ministre, je le chasserai de mes bureaux. Pour le passé, le mal est fait; pour l’avenir, j’ai un trop grand intérêt à ce que des pièces officielles ne soient pas enlevées et communiquées à des journaux pour ne pas réprimer un abus de cette gravité.»
5°. Ce matin, le Ministre des Finances ayant cru, par une erreur de son chef de cabinet, que je lui avais fait demander une audience à Paris, m’a annoncé qu’il me recevrait de 9 à 11 heures. Je me suis de nouveau rendu, aujourd’hui Mardi, chez M. de Goulard. Je l’ai prié de dire nettement au Président de la République que mes déclarations n’avaient en aucune manière pour but d’obtenir un paiement plus prompt du solde, dû à la Suisse. «Je n’ai aucune instruction de réclamer ce paiement. J’ai simplement reçu communication des comptes. Le Conseil fédéral est prêt, au contraire, à donner toutes les explications que la France pourrait demander, si celles des officiers qu’il a délégués à Berne n’étaient pas jugées suffisantes. Mais je dois ajouter que ni le Conseil fédéral ni la Légation suisse à Paris ne peuvent rester indifférents à des attaques contre la loyauté de la Suisse, surtout lorsque le journal qui les publie vient affirmer qu’il a en mains des documents officiels à l’appui de ses insinuations.» J’ai insisté de nouveau auprès de M. de Goulard sur l’irrégularité de ce procédé, et j’ai rappelé, comme je l’avais fait la veille vis-à-vis de M. de Rémusat, que le Gouvernement Français était intéressé, au même titre que le Conseil fédéral, à ce que le public ne crût pas à l’origine officieuse des articles de la Liberté. Le premier article dirigé par ce journal contre la Suisse a paru le 28 Avril au soir, et le Journal officiel, pas plus que les journaux officieux, n’ont élevé la voix pour désavouer cette conduite.
M. de Goulard m’a répondu que le Gouvernement évitait autant que possible de s’engager dans des polémiques avec les journaux. J’ai répliqué immédiatement que dans un cas analogue, et il y a peu de semaines, le Journal officiel avait cependant ouvert ses colonnes à une rectification. Seulement, la position était inverse. Des journaux français et suisses avaient signalé la raideur des officiers français, délégués à Berne pour examiner les comptes de l’internement, et avaient soutenu que l’esprit de critique n’était pas de mise après ce que la Suisse avait fait en faveur des soldats français. Là-dessus, le Journal officiels’était empressé de déclarer mal fondées les assertions de la presse, et d’ajouter qu’il n’existait aucun différend entre le Département Militaire fédéral et les officiers français délégués à Berne.
M. de Goulard s’est alors rappelé avoir lu dans le Journal officiel la rectification à laquelle je faisais allusion. Il m’a annoncé qu’il en parlerait de nouveau aujourd’hui à M. Thiers, au Conseil des Ministres. «Il serait bien possible, a-t-il dit, en terminant, qu’une rectification formelle fut jugée nécessaire, à cause de l’affirmation de la Liberté, qu’elle a en mains des documents officiels, alors que ces documents n’ont jamais dû sortir des bureaux des Ministères».
6°. Je me suis enfin rendu aujourd’hui chez l'Intendant général Guillot, ensuite de l’avis du Ministre de la Guerre que les comptes de l’internement se trouvaient entre les mains de ce fonctionnaire. Je désirais en particulier savoir si les frais de surveillance s’élevaient à 1901000 francs et non pas, comme me l’indiquait M. le Colonel Denzler, à 1501947 francs 40 c. M. Guillot m’a répondu qu’il venait d’envoyer ces comptes au Ministre de la Guerre à Versailles, en raison de leur portée internationale, et dans la pensée qu’ils devraient être soumis au Conseil des Ministres. Il a ajouté:
a) qu’il en avait proposé l’approbation complète;
b) que les officiers français délégués à Berne, aussitôt après avoir eu connaissance des articles de la Liberté, étaient venus lui déclarer qu’ils y étaient absolument étrangers;
c) qu’il est indigné des attaques de ce journal contre la Suisse et surtout du fait que des communications ont pu être faites par un employé du Ministère à ce journal;
d) qu’il fait une enquête pour découvrir l’auteur de ces communications;
e) enfin qu’il proposera aujourd’hui au Général de Cissey de déférer les articles de la Liberté au Procureur de la République.
Il est inadmissible, a terminé M. Guillot, qu’un journal prétende avoir eu en mains des actes officiels, alors que ces documents n’ont pas dû sortir du Ministère de la Guerre.
Je n’ai pas l’intention d’insérer, pour le moment, une nouvelle réfutation dans le journal Le Temps. Elle ne pourrait consister qu’en une affirmation nouvelle des faits que j’ai avancés dans mes deux précédentes lettres à ce journal. Il me paraît qu’il faut attendre ce que fera le Gouvernement.
En ce qui concerne la Liberté, je dois dire que tous les Ministres ont exprimé leur mépris au sujet de ce journal. M. Nefftzer, rédacteur en chef du Temps m’a dit textuellement: «Quelle sale presse! quelle gale!»
En résumé, ma conviction est que tout dépend dans cette question de M. Thiers lui-même, auquel tous les Ministres croient devoir en référer.
Quoiqu’il en soit, il me paraît que le Gouvernement Français eût pu et dû, depuis le 29 Avril, faire quelque chose pour montrer au public que ce mépris du journal la Liberté n’est pas de l’eau bénite de cour. Quoiqu’on fasse du reste, il restera toujours, dans l’esprit des Français, une impression préjudiciable à la Suisse.
Ces attaques ont été d’autant plus pénibles pour moi, qu’elles portaient atteinte à la loyauté même de la Suisse et de son administration militaire. Lorsqu’on sait les efforts surhumains que le Département Militaire fédéral a dû faire l’année dernière pour faire face à tant de besoins, on ne peut que difficilement réprimer son indignation.
Il me paraîtrait en tout cas extrêmement utile que, soit Vous, Monsieur le Président, soit M. le Chef du Département Militaire, exprimiez en toute franchise Votre manière de penser à M. Lanfrey, en le priant d’écrire à M. de Rémusat et M. Thiers combien l’opinion publique de la Suisse a été péniblement affectée de ces attaques injurieuses, et combien l’attitude passive du cabinet de Versailles exercerait une fâcheuse influence sur les bons rapports entre les deux pays.
Entièrement confidentiel pour éviter des désagréments à M. Nefftzer.
P.S. Si j’ai dit, dans mon rapport du 4 Mai, no 1130: «J’ai du reste terminé ma réplique par quelques mots dont je l’espère, M. Lanfrey ne sera pas mécontent», c’est que dans mon manuscrit, j’avais ajouté à peu près ce qui suit, à la fin: «La Suisse sera reconnaissante à M. Lanfrey de l’attitude qu’il a prise et qui fait honneur à son impartialité.» Le Temps a supprimé cette phrase.
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