Classement thématique série 1848–1945:
I. LES RELATIONS INTERGOUVERNEMENTALES ET LA VIE DES ÉTATS
I.12 FRANCE
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 2, doc. 390
volume linkBern 1985
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| Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2300#1000/716#710* | |
| Old classification | CH-BAR E 2300(-)1000/716 330 | |
| Dossier title | Paris, Politische Berichte und Briefe, Militärberichte, Band 24 (1871–1871) |
dodis.ch/41923
Le Message du Président de la République était attendu avec impatience. Il a été lu, hier soir, par M. Thiers à l’Assemblée de Versailles; je ne Vous en donne pas le résumé que le télégraphe Vous aura déjà communiqué. Je crois néanmoins devoir dès aujourd’hui Vous faire part de l’impression qu’il a produite sur l’opinion à Paris et à Versailles.
De prime abord, je crois pouvoir déclarer que l’opinion du correspondant des Débats dans le numéro de ce matin, n’est pas conforme aux sentiments du public. Elle est évidemment trop optimiste et contient plus d’une contradiction.
M. Thiers a été très bref sur le terrain de la politique extérieure. Il a rappelé les négociations avec l’Allemagne pour l’évacuation de six départements, et avec l’Angleterre pour chercher à résoudre la question du traité de commerce. Quelques mots destinés à ménager l’Italie et le St-Siège. La Suisse est comprise sous la rubrique: «pour toutes les autres puissances», et M. Thiers déclare qu’avec elles, les relations de la France sont celles du bon voisinage. Le Président ne parle ni de l’entrée de l’armée de l’Est sur notre territoire, l’Assemblée Nationale ayant du reste voté à l’unanimité des remerciements à la Suisse, ni des négociations pour le remboursement partiel des frais occasionnés par l’internement.
Le Message est par contre très long et très détaillé sur la politique intérieure.
C’est cette partie du discours de M. Thiers qui a provoqué à différentes reprises le mécontentement de l’Assemblée, et qui n’a satisfait ni la gauche ni le parti monarchique.
Le parti républicain a été froissé, en ce qui le concerne, de ce que le mot de République n’ait été prononcé nulle part, et de ce qu’on n’ait point insisté sur cette forme constitutionnelle qui devrait cependant être le but principal des efforts du pouvoir.
Il a également vu avec peine l’affirmation des sentiments protectionnistes de M. Thiers, qui propose, comme base des nouvelles négociations commerciales, une augmentation de 3 et 5 % sur les filés et tissus de coton, et de 12 à 18 % sur les tissus laine et coton. M. Thiers qualifie ces augmentations de «simples» et de «modestes»! Il interprète les intentions des négociateurs des traités de commerce dans ce sens qu’à l’expiration de la durée du traité, les tarifs devraient être tout naturellement augmentés, tandis que la plupart d’entre eux avaient plutôt en vue leur réduction.
Enfin, ce qui a surtout provoqué le mécontentement de la gauche, c’est le retour à la conscription proposé par M. Thiers sous le nom de «substitution», et son opposition ouverte contre le service militaire obligatoire. Lorsque M. Thiers déclara que le service obligatoire était «la désorganisation de la société civile et la ruine absolue des finances», une grande partie de la droite se joignit aux protestations du parti républicain.
M. Thiers a fait du reste un certain nombre de concessions à la droite royaliste. La première a été de confirmer, par une déclaration solennelle et plus explicite que cela n’avait eu lieu jusqu’à ce jour, le pouvoir constituant de l’Assemblée. En second lieu, il n’a pas dit un mot du projet de retour du gouvernement à Paris, bien que tous les Ministres, dans leurs entretiens particuliers, fussent unanimes pour le réclamer. En dernier lieu, il n’a pas fait la moindre allusion à l’instruction obligatoire ou gratuite, tandis que chacun s’attendait à le voir insister pour l’adoption de ce principal remède aux maux de la France.
Malgré toutes ces concessions formelles ou tacites, la droite n’a pas dissimulé son mécontentement, lorsque M. Thiers s’est félicité des heureux choix du gouvernement pour le renouvellement du personnel préfectoral puis, lorsqu’il a parlé de rétablir la garde nationale sous le nom de garde des cités.
Le bruit des conversations particulières et les murmures sur la plupart des bancs de la Chambre ont couvert la voix de l’orateur, qui a, par un de ces mouvements d’impatience que ses amis lui ont souvent reproché, déclaré alors: «Si la majorité me donne tort, je sais ce qui me reste à faire.»
Vous remarquerez sans doute avec regret que le discours de M. Thiers ne fait aucun appel à la clémence ni aucune allusion à l’amnistie de tout ou partie des 18000 individus encore détenus.
Je ne crois pas me tromper en affirmant que le message primitif de M. Thiers a dû subir quelques modifications, et en particulier quelques retranchements, sans doute à la suite de conversations avec des membres de la majorité à leur retour à Versailles. D’après tout ce que j’ai entendu, ils y seraient revenus plus antirépublicains qu’au début des vacances de l’Assemblée. C’est sans doute pour sonder leurs dispositions que M. Thiers, contrairement aux usages des autres pays, n’a pas présenté son message au début de la Session, mais seulement à la quatrième séance.
Pour me résumer, je crois pouvoir dire que le Journal des Débats se trompe en assurant que l’Assemblée a eu hier «une séance d’affaires inaugurant une session d’affaires, une séance qui fait prévoir des débats, mais non des différends.» Je crains malheureusement que le discours de M. Thiers, par ce qu’il contient et par ce qu’il ne contient pas, porte au contraire le germe de différends qui promettent une session très orageuse.
- 1
- E 2300 Paris 24.↩
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