Très confidentiel Paris, 6 juillet 1871
Le 27 Juin2 (Rapport no 1277), j’ai eu l’honneur de Vous rendre compte d’un entretien que j’avais eu la veille avec M. Jules Favre, Ministre des Affaires Etrangères, au sujet du remplacement du Marquis de Châteaurenard, Ministre de France en Suisse.
A l’occasion d’une entrevue que j’avais hier avec M. Favre pour la tractation de diverses autres affaires, j’ai demandé à celui-ci s’il avait entretenu M. Thiers de la question du remplacement de M. de Châteaurenard, en rappelant que le Conseil fédéral tenait à ce qu’une résolution pût être prise dès que les circonstances le permettront.
M. Favre me répondit qu’il n’avait point oublié notre conversation à ce sujet, et qu’il espérait pouvoir pleinement rassurer le Conseil fédéral. M. Thiers lui a tout récemment proposé M. Guizot fils pour un poste diplomatique, mais ce poste n’est pas celui de Ministre en Suisse.
M. le Ministre des Affaires Etrangères m’a annoncé, de la manière la plus confidentielle, que M. Thiers aurait, pour le poste de Berne, une autre personnalité en vue. Il a prononcé le nom de M. Lanfrey.
M. Favre croit que la Suisse n’aurait qu’à se féliciter de ce choix. M. Lanfrey est membre de l’Assemblée Nationale; il appartient, au dire de M. Favre, au parti républicain modéré, et serait un homme de beaucoup de talent. En tout cas, il est connu dans le monde politique français par un livre remarquable sur la «Vie de Napoléon Ier», dans lequel il attaque assez vivement l’Empereur et qui a fait sensation sous le régime déchu.
Il me paraît résulter des termes dans lesquels M. Favre s’est exprimé, qu’il serait d’accord avec M. Thiers sur le nom de ce candidat.
J’ai donc lieu de croire que le remplacement demandé par le Conseil fédéral est assez prochain, et qu’il portera sur le nom de M. Lanfrey.
La communication de M. Favre étant faite à titre absolument confidentiel, je compte que le même caractère lui sera conservé de la part de Votre Département et du Conseil fédéral.