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Documenti Diplomatici Svizzeri, vol. 2, doc. 336
volume linkBern 1985
Dettagli… |▼▶Collocazione
Archivio | Archivio federale svizzero, Berna | |
▼ ▶ Segnatura | CH-BAR#E2#1000/44#475* | |
Vecchia segnatura | CH-BAR E 2(-)1000/44 88 | |
Titolo dossier | Frage betr. Grenzkorrekturen gegen Frankreich beim Übergang des Elsasses an Deutschland, v.a. Abtretung des südlichen Elsasses und Hochsavoyens an die Schweiz (1870–1871) | |
Riferimento archivio | B.266 |
dodis.ch/41869
Ainsi que j’avais l’honneur de Vous l’annoncer dans mon rapport du 22 Février / soir et 23 Février / matin2, je me suis rendu hier à Versailles en sortant de mon entrevue avec M. Thiers.
Je me suis rendu tout droit à l’habitation de M. de Bismark. Le comte de Hatzfeldt, Conseiller de Légation, [m’a dit que le Chancelier avait reçu toute la matinée des députations, que trois étaient encore inscrites et qu’une d’entre elles aurait sans doute une longue audience, celle de la ville de Mulhouse. Je priai alors M. de Hatzfeldt d’informer M. de Bismark de ma présence à Versailles et de lui demander de me fixer l’heure à laquelle il pourrait me recevoir le soir, ou le lendemain matin.
Une demi-heure après, je recevais à mon hôtel l’avis que mon audience était fixée pour 9 heures du soir.
A dîner, je fis la connaissance du Comte Bray, Ministre des Affaires Etrangères de Bavière, que je rencontrai par hasard et qui me parut, comme la plupart des chefs de gouvernements secondaires de l’Allemagne, éviter avec le plus grand soin d’exposer son opinion personnelle sur une question quelconque.
Le soir, je trouvai le Comte Bismark étendu sur une chaise longue et souffrant tellement de rhumatisme, que je crus devoir lui offrir de revenir le lendemain. Il me répondit préférer encore s’entretenir ce soir avec moi, ne sachant pas si demain il lui serait possible de recevoir qui que ce fût.
J’ai donc exposé au Chancelier allemand les deux questions principales soulevées par vos offices des 23,84 et 185 Février. Plutôt que de reproduire ici à peu près textuellement vos instructions, je crois devoir m’étendre surtout sur les réponses qui m’ont été faites par M. de Bismark, dans la pensée que là surtout résident l’intérêt et l’importance de cet entretien.
«Vous m’avez d’abord parlé des intérêts de la défense de Votre pays, me dit M.de Bismark, et du côté militaire de la question. Je puis difficilement Vous cacher mon étonnement de ce que le Conseil Fédéral ait jugé nécessaire de s’occuper de ce point, et de le faire déjà actuellement. Je ne vois pas qu’il y ait plus de danger pour Votre neutralité si nous sommes Vos voisins, que si c’est la France. Est-ce que nous aurions donné à Votre gouvernement des motifs de se défier de nous? J’ajouterai qu’on nous a laissés seuls pendant la guerre à lutter contre la France; et pour la paix aussi, nous tenons à rester seuls, et à ne pas admettre l’intervention d’autres puissances.»
J’ai répondu immédiatement que non seulement la Suisse n’avait pas de motifs de défiance, mais qu’autant que j’avais pu l’apprendre, les meilleures relations existaient entre le Conseil Fédéral et les divers Etats allemands.
«Mais qu’est-ce que demande donc Votre gouvernement, reprit M.de Bismark? Si Vous voulez une cession de territoires, dites-le moi. Je répondrai par écrit, car je ne voudrais pas accepter de propositions verbales sur des questions de cette importance.»
J’ai fait observer que ma démarche était entièrement confidentielle, que des intérêts majeurs pour la Suisse se trouvaient engagés et peut-être compromis, que je ne venais pas faire de demande officielle, mais que je tenais à avoir avec lui une conversation sur la manière dont les intérêts enjeu pourraient être sauvegardés. Le but de la Suisse ne peut pas être de chercher à étendre son territoire. Elle demande une rectification de frontière, destinée à faciliter la défense de sa neutralité; elle tient aussi à sauvegarder ses intérêts commerciaux, qui pourraient éventuellement se trouver compromis par l’interposition d’un troisième territoire entre la Suisse et la France. Une troisième ligne de douanes, une législation douanière nouvelle, une troisième souveraineté cherchant à faire prévaloir ses intérêts, tels sont les obstacles que la Suisse entrevoit au point de vue commercial, si l’Allemagne prend possession définitive d’une partie de la ligne entre Bâle et Paris.
M. de Bismark m’a répondu qu’il serait assez difficile, au point de vue militaire, de considérer comme une simple rectification de frontière, et non comme une cession de territoires, la partie indiquée sur votre carte6 par une ligne bleue, partant du Rhin à Kembs et suivant le canal du Rhône au Rhin jusque près de Montbéliard, puis suivant le cours du Doubs jusqu’à Brémoncourt. Je ne puis pas parler au nom de tous les Gouvernements intéressés, mais je crois qu’il ne pourra jamais être question de céder, sous le nom de rectification de frontière, des territoires aussi importants.
«En tout état de choses, continua-t-il, il me paraît prématuréde parler de pareilles transactions et de cessions territoriales, avant que nous ayons pu nous entendre avec la France. Je ne Vous cache pas que nous demandons toute l’Alsace, et sur ce point, M. Thiers peut actuellement savoir à quoi s’en tenir. J’ai été envers lui aussi net que possible dans notre dernière conférence.
Il y a déjà longtemps du reste, que le Conseil Fédéral sait que, suivant les circonstances, une partie de l’Alsace, plus grande que celle indiquée sur Votre carte, aurait pu revenir à la Suisse dans certaines éventualités. Le Conseil Fédéral ne peut pas ignorer que j’ai eu autrefois l’idée de faire de cette partie de pays, que je connais fort bien, un Canton Suisse avec Mulhouse pour chef-lieu. Mais à cette époque, on avait montré peu d’empressement à entrer dans mes vues, et aujourd’hui les circonstances ne sont plus les mêmes.»
J’ai répliqué que ces offres ne me paraissaient pas avoir eu un caractère officiel, puisque je n’en avais jamais entendu parler par personne en Suisse. J’ai ajouté que la Suisse étant obligée, au prix de grands sacrifices, de faire respecter sa neutralité pendant la guerre, avait aussi l’obligation, en cas de négociations qui modifient les conditions de cette neutralité, de ne pas rester indifférente. Son devoir est de s’exprimer ouvertement, et de chercher à se rendre compte, confidentiellement d’abord, des moyens de parer aux éventualités de l’avenir. On peut d’autant moins en vouloir à la Suisse de cette conduite, que sa neutralité est d’intérêt européen, et qu’elle n’admet et ne règle définitivement des questions de cette nature qu’avec le concours des puissances garantes.
M. de Bismark répliqua alors:
«Pour terminer mes observations relatives au point de vue militaire que Vous avez invoqué, je dois me réserver, une fois que nous serons en possession de l’Alsace, d’examiner si réellement cette rectification de frontière se justifie au point de vue de la défense de Votre neutralité. Je n’en suis pas convaincu pour le moment, mais ce qui est clair, c’est qu’il ne pourrait être distrait de l’Alsace un territoire de l’étendue indiquée par Votre Département militaire.»
M. de Bismark m’a paru surtout ne vouloir à aucun prix de l’immixtion d’une autre puissance dans les négociations. Il s’est exprimé sur ce point avec une vivacité significative (Gereiztheit). Il me semble donc qu’il y a lieu de ne pas donner suite à l’idée de M. Thiers, de s’adresser confidentiellement à la Russie. Aussi ai-je cru devoir vous télégraphier immédiatement de Versailles: «Renoncez préalablement à l’envoi d’experts et à toute autre démarche comme prématurée, etc.»
Passant ensuite au point de vue commercial, M. de Bismark a répondu que l’Allemagne n’étant pas encore en possession, il lui était impossible de savoir ce qu’elle déciderait plus tard. Il croyait donc que sur ce point aussi, des pourparlers étaient prématurés, et qu’il y avait lieu de réserver la question.
«Le Gouvernement Fédéral doit savoir, ajouta-t-il, que, en matière commerciale, les Allemands sont plus libéraux que les Français, et surtout en matière de transit.
Si la Confédération veut plus tard formuler des demandes, l’Allemagne les examinera, mais dans l’état actuel, elle n’est pas en mesure de se prononcer.»
J’ai opposé au Comte Bismark les vues développées dans vos divers offices. La France nous accorde actuellement de grandes facilités pour le transit, mais ce qu’il est surtout important de relever, c’est que les traités de commerce sont faits pour un temps déterminé et assez court, tandis qu’en fixant une ligne frontière, on a la prétention qu’elle sera définitive. La Suisse a un intérêt majeur à ce que sa principale communication par voie ferrée avec la France ne puisse pas être grevée de taxes douanières allemandes, sous un titre quelconque. La question est de savoir si l’on ne pourrait pas créer une ligne neutre qui ne serait pas soumise à la législation et aux tarifs de l’Allemagne et qui serait indépendante de la conclusion ou de la durée des traités de commerce. Il existe des exemples de conventions internationales analogues.
Restait l’idée d’une réserve conçue en termes généraux, et qui aurait pu être insérée soit comme appendice au traité de paix, soit faire l’objet de correspondances entre l’Allemagne et la Confédération. Cette réserve aurait eu pour but de garantir à la Suisse certains droits et aurait été rédigée sur la base de l’exposé de M.le Président de la Confédération, du 18 Février7.
J’ai soumis cette idée à M. de Bismark, et c’est celle qui m’a paru lui répugner le plus. Il m’a répondu nettement que les réserves générales étaient trop souvent une source de conflits.
C’était en prévision de cette réponse que je vous avais demandé l’envoi d’experts militaires ou commerciaux. Convaincu que M. de Bismark, s’il voulait nous faire une concession quelconque, préférerait une ligne déterminée et verrait de mauvais œil une réserve générale, j’avais désiré le concours d’hommes spéciaux qui auraient pu m’indiquer une seconde ligne frontière éventuelle, pour le cas probable où l’Allemagne nous aurait concédé une ligne beaucoup moindre que celle indiquée sur votre carte.
Mais comme j’ai pu me convaincre que, pour le moment et avant la conclusion de la paix, M. de Bismark était décidé à ne faire aucune concession ni générale ni précise, j’ai cru devoir vous télégraphier de Versailles, le matin, de ne pas donner suite à l’envoi d’experts8.
Bien que le Chancelier allemand laisse entrevoir la pensée que la question pourrait être soumise à un nouvel examen après la prise de possession de l’Alsace par l’Allemagne, et bien qu’il n’y ait pas de sa part de refus absolu d’entrer en matière, on se tromperait fort à mon avis en ajoutant trop de poids à ses assertions. Je crois qu’il y a là beaucoup d’eau bénite de cour, et qu’il importe de ne pas se faire d’illusions.
Dans mon dernier rapport du 23 Février9, j’exprimais l’opinion, partagée du reste par M. Thiers, que ma démarche présentait peu de chances de réussite. Mon entretien avec M. de Bismark a confirmé ces appréhensions, et je dois à la vérité de dire qu’aucune des missions dont j’ai été chargé jusqu’à ce jour ne m’a paru plus délicate et plus difficile.
En raison de la gravité et de l’importance de la question, il me sera permis d’exprimer en quelques mots mon opinion personnelle. Si, contre mon attente, la Suisse obtient une petite rectification de frontière, ce qui peut avoir une certaine valeur au point de vue militaire, il y a lieu pour elle de se demander si, les circonstances se modifiant, elle ne s’aliénerait pas les sympathies de la France pour toujours. La France, si elle cherche une fois à revendiquer ce qu’elle va être obligée de céder à l’Allemagne, voudra peut-être reprendre aussi ce qui aura été cédé à la Suisse. Nous risquons d’être compromis dans une lutte et d’être contraints de faire des sacrifices hors de toute proportion avec les avantages résultant d’une rectification de frontière. Il ne m’est pas possible d’apprécier le côté militaire de la question, mais il me paraîtrait que les intérêts militaires en jeu devraient avoir une importance bien grande pour devoir l’emporter sur le côté politique.
Avant de quitter M. de Bismark, j’ai cru devoir lui rappeler que dans un entretien récent, il m’avait déclaré vouloir faciliter le rapatriement de l’armée de Bourbaki, aussitôt que les circonstances le permettraient. Je lui ai demandé si le moment ne serait pas venu de faire avec la France une convention et d’arriver à une entente sur ce point. Le Chancelier m’a répondu qu’il ne savait pas encore si la paix serait conclue ou non; M. Thiers ne s’était pas encore prononcé de manière à le rassurer complètement. Il ne lui était donc pas possible de s’engager pour le moment.
Dimanche dernier, j’avais adressé au Cte Bismark une lettre pour lui demander de donner les ordres pour le rapatriement gratuit de nos compatriotes indigents par la ligne de l’Est. Un certain nombre m’avait demandé, pour motifs de santé ou autres, à pouvoir regagner leur Patrie, et comme le voyage est fort coûteux par Orléans et Lyon, j’avais cru devoir demander des facilités au Quartier général allemand, tant pour les Suisses que pour les Bavarois et Badois, placés sous ma protection. M. de Bismark m’a répondu que des difficultés spéciales résultaient du fait que cette ligne était employée aux transports militaires, et du fait aussi que l’administration manquait de wagons de voyageurs. M. de Bismark a renvoyé ma demande à la Commission chargée des questions de chemins de fer.
En rentrant à Paris ce matin à onze heures, je me suis immédiatement rendu chez M. Thiers. Il présidait la séance d’une section de la Commission des XV. J’ai par contre pu causer avec M. Favre et lui communiquer le sens de ma conversation avec M. de Bismark.
M. Favre me répondit: «Je ne suis pas étonné de tout ce que Vous me dites. M. de Bismark est si absolu que le mot négocier n’est guère applicable aux entretiens qu’on est appelé à avoir avec lui. Les députés français ont pu l’apprendre amèrement dans les derniers jours. Je crois comme Vous qu’une solution favorable aux vœux de Votre Gouvernement n’est guère possible.»
J’ai fait remarquer à M. Favre que si la France réclamait, dans ses propres intérêts, tout ou partie de ce que demande la Suisse, M. de Bismark ne pourrait pas se servir, vis-à-vis de lui, de son objection favorite: «Pas d’immixtion de puissances étrangères.» Nos intérêts sont communs et en les défendant, vous défendez ceux de votre propre pays.
M. Favre m’a promis de ne pas perdre de vue la question.
J’ajouterai que dans tous ces entretiens, il n’a pas été fait allusion d’un mot à d’autres rectifications de frontières, dans d’autres parties de la Suisse (Schaffhausen et Petit-Bâle).
Tel est, Monsieur le Président, le résumé de l’état de la question. Comme vous le voyez, j’ai tenu à me conformer exactement à vos instructions du 2 Janvier10, tendant à vous renseigner sur le «succès que pourraient avoir des démarches officielles de notre part.»
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Neutralità della Savoia (1870–1871)