Language: French
12.2.1871 (Sunday)
Le Commandant de l’Armée française de l’Est, le Général J. Clinchant, au Président de la Confédération, K. Schenk
Letter (L)
Protestation contre un ordre du jour du Général Herzog, jugé offensant pour l’Armée française internée.
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Printed in

Roland Ruffieux (ed.)

Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 2, doc. 331

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Bern 1985

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dodis.ch/41864
Le Commandant de l’Armée française de l’Est, le Général J. Clinchant, au Président de la Confédération, K. Schenk1

Les journaux publient un Ordre du jour adressé par M. le général Herzog aux troupes sous ses ordres, et dans lequel se trouve l’appréciation suivante, relative à l’armée française qui est entrée en Suisse:

«Un terrible spectacle, dit-il, s’est déroulé sous vos yeux. Vous avez pu assister à ce fait désolant d’une grande armée où les liens de la discipline étaient presque entièrement détruits, ce qui l’avait mise dans cet état de dissolution que nous avons tous constaté avec chagrin.

Puisse ce spectacle se graver dans votre mémoire, et comme un terrible exemple, augmenter en vous les convictions que sans discipline et subordination, il n’y a pas de bonne armée: le courage et les sacrifices sont vains.»

J’ignore, Monsieur le Président, quels sont les actes d’indiscipline et d’insubordination sur lesquels a pu se fonder le jugement formulé par M. le général Herzog. Pour ma part, je n’en ai constaté aucun, et aucun ne m’a été signalé.

Je reconnais d’ailleurs l’état de dissolution où en était venue l’armée de l’Est, et qui m’a décidé à demander pour elle asile sur un territoire neutre. Mais la cause en est ailleurs et surtout dans les fatigues excessives qu’elle a supportées. Depuis quatre mois, les troupes de nouvelle formation qui la composent ont combattu successivement dans les Vosges, sur la Loire, et dernièrement encore à Héricourt, marchant sans relâche, et bivouaquant le plus souvent dans la neige et dans la boue. Beaucoup de soldats avaient les mains et les pieds gelés, presque tous étaient atteints de bronchites et d’affections de poitrine, auxquelles ils résistaient dans la mesure de leurs forces pour ne point quitter leur drapeau.

Cette situation avait amené un grand nombre de traînards qui suivaient les colonnes comme ils pouvaient, et auxquels j’ai donné l’ordre de précéder l’armée en Suisse. L’évacuation brusque et forcée de nos hôpitaux de Pontarlier est encore venue en grossir le nombre et nos premières colonnes présentaient réellement un triste spectacle.

Derrière elles, sont venues les troupes encore organisées qui avaient combattu à Joux. Si toutes ne marchaient pas d’une façon bien régulière, cela tient au désordre qui se produit toujours à la suite d’un combat, même dans les armées les plus vieilles et les mieux organisées, surtout lorsque ce combat a lieu sur un terrain très accidenté. Il aurait d’ailleurs été réparé en quelques heures si l’on avait pu concentrer chaque corps de troupe [en]un point déterminé, comme on le fait toujours en pareil cas, et comme je l’avais demandé à M. le général Herzog.

J’ai cru de mon devoir, Monsieur le Président, de rectifier l’opinion publiquement exprimée par M. le général Herzog; j’y manquerais assurément si je ne vous adressais en même temps l’expression de ma vive reconnaissance pour la population suisse tout entière, chez laquelle nos soldats ont trouvé l’accueil le plus cordial et le plus sympathique.

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Lettre: E 27/13345 Band 2.