Language: French
1895
Droz, Numa, Etudes et portraits politiques, Genève : Ch. Eggimann ; Paris : F. Alcan, 1895.

Bibliographical reference (Bib)
recueil qui contient, notamment:
Du rôle international de la Suisse [1884]
On le voit, la Suisse peut se rendre le témoignage d'avoir rempli scrupuleusement les devoirs internationaux qui résultent de sa situation géographique et politique. Pour la défense de sa neutralité, qui est d'un intérêt si grand pour ses voisins, elle n'a reculé devant aucun sacrifice. Non seulement le quart de son budget est consacré aux dépenses militaires, mais tous ses fils valides sont astreints à porter les armes jusqu'a l'âge de quarante-quatre ans révolus. La Suisse peut mettre sur pied cent mille hommes d'élite et cent mille de landwehr. Le patriotisme et l'esprit de solidarité sont si développés chez elle qu'il n'y a pas à douter de la résistance héroïque que notre armée opposerait à tout envahisseur. On a vu la cohésion du peuple suisse en 1856 dans la question de Neuchâtel. On a vu aussi, pendant la guerre franco-allemande, avec quel sérieux elle pratiquait ses devoirs de neutre, et combien elle s'intéressait aux malheureuses victimes de cette guerre terrible. Elle a, ainsi fourni la preuve qu'elle était à la hauteur de la tâche qui lui est confiée.
Terre hospitalière pour les champions de toutes les causes vaincues, elle a pratiqué le droit d'asile impartialement, ce qui lui permet d'accueillir avec sérénité les reproches que des malveillants ou des ingrats lui font à ce sujet, et d'y répondre avec fermeté.
Infatigable à favoriser les nobles initiatives, à stimuler le développement du droit international, conciliante et impartiale dans toutes les questions qui peuvent diviser d'autres peuples, elle sert entre tous de trait d¿union. Sur son sol, les plus petits sont les égaux des plus grands; on n'y intrigue pas, on n'y cabale pas, on y traite les choses pour elles mêmes. C'est ce qui fait que la Suisse est un lieu favori pour les réunions internationales qui veulent aboutir. Congrès scientifiques et conférences diplomatiques s'y donnent volontiers rendez-vous. D'un consentement général, la Suisse est devenue une sorte de Vorort intellectuel et moral dans le domaine des relations internationales.
Jusqu'ou s'étendra cette mission? L'humanité est travaillée par un besoin d'entente et d'union qui grandit dans la même proportion que les échanges d'idées et de produits. De divers côtés on signale de nouvelles questions pour lesquelles on réclame des solutions uniformes. Les intérêts du commerce, de l'industrie, de la science, de la philanthropie tendent à se solidariser de plus en plus et à s'élever au-dessus des considérations de frontières politiques. Toutes ces mains qui cherchent à s'unir semblent poussées par une impulsion naturelle à se rencontrer chez nous.
Nous ne saurions trop vivement apprécier le courant sympathique qui de toutes parts se porte vers nous. Notre pays s'en montrera d'autant plus digne qu'il demeurera plus fidèle à ses traditions de simplicité, de droiture et de bienveillance pour tous. Bien loin de nous enorgueillir de la situation privilégiée que la Providence nous a faite, nous devons nous efforcer de la mériter de plus en plus par notre modestie et par notre fidélité à remplir les devoirs qui en résultent.
De leur côté, les autres états doivent se convaincre de plus en plus de l'utilité, de la nécessité même du rôle que les circonstances prêtent à la Suisse. Comme la vestale antique, elle est vouée à entretenir une flamme éternelle, celle de la justice, du droit et de la paix. Comme elle aussi, elle doit être inviolablement respectée.
Janvier 1884.
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