Language: French
2008
Dongen, Luc van, Un purgatoire très discret : la transition "helvétique" d'anciens nazis, fascistes et collaborateurs après 1945 / Luc van Dogen, Paris, Perrin, 2008 (Préface d'Henry Rousso)
Bibliographical reference (Bib)
Dongen, Luc van, Un purgatoire très discret : la transition "helvétique" d'une cohorte d'anciens nazis, fascistes, collaborateurs et autres vaincus de la Libération, 1943-1955 (env.) / Luc van Dogen, Genève : [s.n.], 2006, 2 vol. (773 p.), Vol. 1 Texte ; Vol. 2 Annexes, Th. Univ. Genève, 2006 ; L. 603.
Directeur de thèse: Professeur Jean-Claude Favez ; codirecteur: Professeur Mauro Cerutti

La thèse s'intéresse aux Allemands, Italiens et Français compromis avec les régimes nazi-fascistes des années 1930-1940 qui ont choisi de se réfugier en Suisse à la fin de la Seconde Guerre mondiale et qui se sont intégrés dans l'ordre de l'après-guerre à partir de là. Grâce à de vastes recherches dans de nombreux pays, il a pu être brossé pour la première fois un tableau général d'un phénomène passé sous silence depuis plus d'un demi siècle. Construite autour des trajectoires des individus (entre 400-500 personnes retrouvées), la thèse cherche à définir le type de population concerné, à décortiquer les mécanismes et les dessous qui ont rendu possible la présence en Suisse et enfin à comprendre à quoi a servi l'expérience helvétique au niveau des carrières respectives. Considéré comme un fait social autant que politique, le phénomène est inscrit dans son contexte international et dans son historicité ("Vergangenheitsbewältigung").

Publiée en 2008 par les Editions Perrin à Paris avec une préface d'Henry Rousso:
CF.


"UN PURGATOIRE TRÈS DISCRET
Evoquer la Suisse des années 1940, c'est ouvrir une boîte de Pandore : combien étaient les Français, les Italiens et les Allemands, compromis pendant la guerre, qui s'y réfugièrent ? Quel fut le rôle des services secrets et des polices suisses comme des politiques ? Quel appoint donnèrent les réseaux sociaux, religieux ou professionnels ? Comment s'organisèrent les filières
d'exfiltration vers l'Espagne de Franco et l'Amérique latine, ou encore quel rôle exact jouèrent les Américains dans les eaux troubles de la guerre froide ? A toutes ces questions, par l'analyse d'une exceptionnelle masse d'archives provenant de sept pays
différents, Luc van Dongen apporte une réponse circonstanciée.
Grâce à l'étude de cinq cents cas - figures de la haute société industrielle ou intellectuelle, techniciens hors pair de la chimie ou de l'aéronautique, anciens miliciens ou SS, dont certains acteurs de la solution finale, combattants de toujours contre le communisme -, les arcanes du « refuge brun » sont ainsi pour la première fois dévoilés. Le purgatoire helvétique apparaît enfin pour ce qu'il fut : une vaste machine à recycler, reclasser, refouler, oublier, sélectionner.
Luc van Dongen est maître-assistant à l'université de Lausanne."

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L'Humanité (Paris)
Tribune libre -
Article paru le 14.3.2008 idées
Eaux troubles en Helvétie pendant la guerre froideLa Suisse officielle s'est montrée plutôt compréhensive à l'égard des anciens nazis et fascistes, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.
Un purgatoire très discret.

La transition « helvétique » d'anciens nazis, fascistes et collaborateurs après 1945,

de Luc van Dongen, préface d'Henri Rousso, Éditions Perrin-SHSR,

2008. 650 pages, 25,50 euros.

Ce livre vient combler une lacune en elle-même assez étonnante. En effet, comme le fait observer dans sa préface Henry Rousso, de nombreuses (et souvent fort intéressantes) recherches ont été effectuées sur la fuite en Amérique latine, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, des nazis allemands, voire sur leur collaboration avec les dictatures d'Amérique latine ou du Proche-Orient, mais on ne s'était guère intéressé jusqu'ici au cas de la Suisse.

Cet excès de discrétion peut s'expliquer à première vue par le fait que, dans l'immense majorité des cas, la Suisse n'a été, pour les nazis allemands, les fascistes italiens ou les vichystes français qu'une étape transitoire sur la route d'un exil vers des destinations plus exotiques ou avant le retour au pays d'origine. Elle peut s'expliquer aussi par le nombre relativement faible (un demi-millier environ) des personnes concernées. Mais elle a sans doute aussi d'autres motifs moins avouables, et sur lesquels Luc van Dongen a le grand mérite de jeter un éclairage cru. Étayé par l'étude minutieuse de nombreux dossiers individuels, son ouvrage constitue une enquête scientifique dépourvue de toute lourdeur académique et fort instructive de par ses conclusions.

Après avoir établi une typologie des « candidats à l'exil » en Italie, en France et en Allemagne, l'auteur s'efforce de démêler les raisons qui ont poussé certains à jeter leur dévolu (au moins provisoirement) sur la Suisse : figurent parmi elles la proximité géographique, la non-belligérance antérieure, la réputation (plus ou moins justifiée...) de terre d'asile, la tradition politique conservatrice, mais aussi, de manière plus obscure, l'existence de liens antérieurs et ld'intérêts économiques entre la Suisse, l'Italie et l'Allemagne.

De 1943 à 1947, même si dans la pratique on peut observer des « arrangements », la politique officielle à l'égard des réfugiés est délibérément restrictive. En revanche, après 1947, les critères d'acceptation s'assouplissent et traduisent un infléchissement de la position officielle au fur et à mesure que la montée en puissance de la guerre froide fait des communistes et de l'URSS les nouveaux principaux ennemis. Il en découle qu'avant 1945, la Suisse se sera montrée beaucoup moins accueillante à l'égard de ceux qui fuyaient le nazisme et le fascisme qu'elle ne l'a été après 1947 à l'égard de ceux qui avaient activement participé à ces régimes.

De leur côté, les Alliés, témoins de cet assouplissement, ne trouvent rien à y redire - quand ils ne font pas preuve de complaisance. L'arsenal des arguments avancés pour tenter de justifier ce changement d'attitude est en lui-même révélateur, comme par exemple la dénonciation de la justice française accusée d'être trop sévère à l'égard des anciens collaborateurs en raison de la pression exercée sur place par les communistes¿ Il est vrai que cette « compréhension » manifestée dans le contexte anticommuniste et antisoviétique de l'époque vis-à-vis des anciens ( ?) nazis ou fascistes s'accompagne d'un tri sélectif qui prend vite l'aspect d'une véritable chasse aux cerveaux, c'est-à-dire aux savants, techniciens et ingénieurs, mais aussi aux spécialistes de la lutte anticommuniste. Chacun a présente à l'esprit la récupération de von Braun par les États-Unis, mais il existe de nombreux autres exemples de ce genre où la Suisse joue un rôle d'intercesseur, tant il semble établi qu'à cette époque le gouvernement fédéral fait plus que s'accommoder d'une situation de purgatoire intermédiaire à l'intérieur d'une sorte de « sainte alliance anticommuniste et affairiste ».

Comme on le voit, Luc van Dongen ne se cache pas derrière les périphrases. Il fallait bien cela, sans doute, pour rompre avec la discrétion feutrée que l'on avait observée jusque-là sur la question.

Jean-François Tournadre, germaniste

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La Gruyère 15.3.2008:
Seconde Guerre mondiale
Le purgatoire helvétique
A la fin de la Seconde Guerre mondiale et dans l'immédiat après-guerre, plusieurs centaines de nazis, fascistes et collaborateurs trouvent refuge en Suisse. Ils bénéficient de nombreux soutiens dans l'élite, et Fribourg n'est pas en reste. Un remarquable ouvrage signé Luc van Dongen narre ces étranges histoires.



[photographie] En avril 1943, Dino Alfieri (derrière, premier à gauche) et Giuseppe Bastianini (derrière, deuxième à gauche) sont en briefing à Salzbourg avec Mussolini, Göring et Hitler. Quelques mois plus tard, Alfieri se réfugie en Suisse, bientôt suivi par Bastianini (ullstein bild)]


En octobre 1943, Dino Alfieri entre en Suisse déguisé en prêtre. L'ancien ministre italien de la Culture populaire, ambassadeur du Duce à Berlin et membre du Grand Conseil fasciste, est le premier des grands vaincus de la guerre à faire son apparition. Le Conseil fédéral est embarrassé et commence par refuser sa présence. Mais, de fil en aiguille, avec le soutien de personnages importants du pays, Alfieri finit par obtenir l'asile politique. Il fait partie d'une population de plusieurs centaines de personnes qui trouvent refuge en Suisse malgré leurs exactions. Ils sont au c'ur d'Un purgatoire très discret, l'ouvrage de Luc van Dongen. Tous, à des degrés divers, ont été impliqués dans les dérives de la guerre. L'auteur a passé en revue des milliers de dossiers in-dividuels pour finalement, par «recoupements et tâtonnements», explique-t-il, découvrir les individus compromis avec les régimes de l'Axe et parfois inquiétés par l'épuration dans leur pays qui bénéficièrent du refuge suisse. Il s'est focalisé sur les nazis allemands, les fascistes italiens, les vichystes, collaborateurs et miliciens français. Il a analysé leur parcours et le rôle que ce refuge suisse a joué pour la suite de leur vie. Pour certains, ce fut une étape vers des destinations plus lointaines, en Amérique du Sud notamment, d'autres «épurés» par leur passage en Suisse purent regagner leur pays d'origine.

Des amis haut placés
Si Luc van Dongen reste attentif à ne jamais généraliser, mais à raconter des destins et des situations particulières, il ne cache pourtant pas tout au long du livre que, pour le moins, certaines complaisances générales se sont manifestées en Suisse. Les soutiens nombreux de membres éminents des élites ont protégé ces réfugiés. Dans ce cadre, Fribourg a joué un rôle important.

Revenons à Dino Alfieri. Après le refus des autorités suisses, ses amis se mobilisent. L'évêque de Sion, le rédacteur en chef du Journal de Genève et Gonzague de Reynold, entre autres, qui écrit au Conseil fédéral: «Je connais suffisamment cet homme' pour affirmer que c'est un honnête homme, un chrétien convaincu, et que, si on le laisse aller paisiblement vers sa fin, il sera incapable de nous nuire en quoi que ce soit.» Il est vrai qu'Alfieri est en danger en Italie et qu'il semble très malade. Il vivra tout de même jusqu'en 1966. Le Conseil fédéral ne se laisse pas convaincre et rappelle les responsabilités importantes d'Alfieri (voir photo). Les efforts de ses amis redoublent. En particulier dans les milieux catholiques et chez les hommes politiques proches de ceux-ci.

Avec l'aide des capucins
Ce soutien catholique n'est pas réservé à Alfieri. Des religieux fribourgeois jouent un rôle important et régulier dans ces dossiers. A Fribourg, les capucins «tendirent les bras à certains réfugiés fascistes», dont Giuseppe Bastianini (photo), sous-secrétaire d'Etat de Mussolini et criminel de guerre. Le pensionnat Saint-Louis et la Villa Saint-Jean à Fribourg jouent également un rôle de premier plan. Les mêmes arguments reviennent souvent pour justifier le soutien: ces hommes font preuve de hautes vertus morales et chrétiennes et ils sont très cultivés!

Enfin, deux anecdotes. En août 1948, la prolongation de l'autorisation de séjour du réfugié Renato Terzoli devait passer devant le Conseil communal de Fribourg. La discussion s'annonce houleuse, Ernest Lorson, le syndic, a déjà prononcé des discours enflammés contre la présence de Giuseppe Bastianini. «Pour éviter les problèmes, le chef de la police cantonale Louis Gauthier s'entendit avec son homologue de la commune de Fribourg (Bernard Gottrau) pour contourner la procédure régulière.»

Les cantons de Fribourg et du Valais ne sont pas tout à fait comme les autres dans ces dossiers. Berne conseille souvent aux réfugiés de choisir l'un d'entre eux pour éviter les polémiques. Fribourg-Valais, c'est un peu blanc bonnet pour bonnet blanc. Ainsi, écrit Luc van Dongen, «quand il fallut éloigner le milicien Hachette de Fribourg parce qu'il



«Les consignes des autorités restaient floues»

Qu'est-ce qui vous a amené à vous intéresser à la «transition» helvétique des anciens nazis, fascistes et collaborateurs?

Luc van Dongen: Je voulais prolonger mon mémoire de licence qui portait sur la manière dont la Suisse avait géré et digéré l'expérience de la guerre. J'ai découvert dans les archives que les collaborateurs, fascistes et nazis qui avaient trouvé refuge en Suisse étaient plus nombreux qu'on ne le pensait. J'ai orienté mes recherches sur la problématique de la transition en me demandant comment ces personnes avaient pu être accueillies en Suisse et à quoi cette aventure leur avait servi.



Quelle était la position officielle à leur propos?

La réalité ne permet pas de répondre de manière univoque. La Suisse ne voulait pas avoir de doctrine, pour ne pas s'enfermer dans des principes trop contraignants. On prônait le pragmatisme au cas par cas. En même temps, les autorités devaient donner des directives, par exemple pour les gardes-fron-tières. Mais les consignes restaient assez floues. L'attitude des autorités de cette période révèle un dilemme entre le respect de la tradition d'asile, le souci d'être neutre et la conscience qu'on avait affaire aux bourreaux des persécutés accueillis pendant la guerre. On affirmait la souveraineté du pays, tout en faisant un maximum d'efforts pour ne pas avoir de complications avec les Alliés.



Y avait-il des catégories clairement considérées comme persona non grata?

Oui, les hauts dignitaires du fascisme et du nazisme, les cadres des SS, de la Gestapo et des services de renseignement, les miliciens de Darnand. L'aspect criminel était déterminant. Je rationalise, mais tous ces aspects ont fait l'objet d'incessantes discussions internes à l'époque.



Comment expliquer la tolérance et le soutien d'une partie de l'élite suisse pour ces personnes qui se sont compromises pendant la guerre?

Les facteurs sont multiples et particuliers pour chaque cas. Il n'est pas possible de généraliser. J'insiste beaucoup dans mon livre sur le facteur de la sociabilité. Entre les Suisses qui les soutiennent et les personnes qui trouvent refuge dans le pays, le sentiment d'appartenir à un même monde est grand. Les affinités socioculturelles sont évidentes: ce sont souvent des milieux conservateurs et cultivés qui convergent. Et il ne faut pas oublier que, pour les uns et les autres, l'anticommunisme jouait un rôle primordial.

Une certaine loyauté, de la fidélité par rapport à des relations et des amitiés qui dataient d'avant existaient également. A côté des complaisances ou des collusions claires, des négligences ou des dysfonctionnements entrent également en jeu.

On peut aussi évoquer l'ignorance des Suisses et l'envie de ne pas trop en savoir. Dans certains cas, comme dans le soutien apporté par les religieux aux miliciens français, on constate parfois des connivences idéologiques, en même temps que des affinités sur le plan psychologique, qui ont pu se transformer en complicités actives. Enfin, l'intérêt économique est entré en ligne de compte. A la fin de la guerre, les cerveaux allemands ont été très prisés. Cette question mériterait d'ailleurs d'être approfondie.

Charly Veuthey
15.3.2008
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