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Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 21, doc. 113
volume linkZürich/Locarno/Genève 2007
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2003A#1971/44#807* | |
Old classification | CH-BAR E 2003(A)1971/44 167 | |
Dossier title | Projet de règles conc. la protection des populations civiles (1958–1960) | |
File reference archive | o.411.62 |
dodis.ch/16064
Le Chef du Département politique, M. Petitpierre, au Président du Comité international de la Croix-Rouge, L. Boissier1
Après nous avoir fait connaître, le 10 février 19582, les décisions prises à
La Nouvelle Delhi par la XIXe Conférence internationale de la Croix-Rouge, vous avez attiré spécialement notre attention, le 12 mai de la même année3, sur la résolution no XIII adoptée par la Conférence relative au Projet de règles limitant les risques courus par la population civile en temps de guerre. Cette résolution devait entraîner les gouvernements signataires des Conventions de Genève à procéder à un nouvel examen du projet en cause. C’est ce qu’a fait, de son côté, le Gouvernement suisse et nous avons l’honneur de vous communiquer aujourd’hui les conclusions auxquelles il est arrivé.
Le Conseil fédéral désire réaffirmer d’emblée sa profonde conviction, qui est aussi celle du peuple suisse tout entier, que la guerre n’est pas le moyen de résoudre les différends entre les communautés humaines. Néanmoins, comme les risques d’un recours à la force n’ont pu encore être écartés, il ne faut rien négliger qui soit susceptible de limiter les conséquences désastreuses d’une telle éventualité.
Ainsi que votre Comité l’a relevé à plusieurs reprises, le Projet de règles vise un objectif limité, qui n’est ni le désarmement, ni la mise hors la loi de la guerre.
Il a pour seule ambition, comme les Conventions de Genève elles-mêmes, de maintenir certaines valeurs humaines, dans l’hypothèse déplorable où le genre humain ne pourrait renoncer à la voie des armes. C’est donc cette ambition que
La situation internationale a cependant évolué depuis lors, et force est de constater qu’il serait malaisé, dans la conjoncture internationale présente, d’obtenir que le Projet de règles soit adopté sans réserves par tous les pays intéressés. C’est pourquoi le Gouvernement suisse, tout en confirmant l’appui que sa délégation à La Nouvelle Delhi avait accordé au Projet de règles, se voit amené à proposer que certaines modifications soient apportées à ce dernier, afin d’augmenter ses chances d’être accepté par les pays signataires des Conventions de Genève.
La première modification suggérée consisterait à diviser le Projet de règles en plusieurs instruments, de telle manière que les gouvernements puissent, s’ils le désirent, ne se lier qu’à une partie des règles. Le Gouvernement suisse est toutefois d’avis que les principes qui ont inspiré l’énonciation des règles devraient rester intangibles. Certes, les formes de la guerre moderne sont en constante évolution et c’est malheureusement un des traits caractéristiques de notre temps que de voir s’affirmer et se développer les concepts de guerre totale et de guerre subversive. Bien que les tentatives de rendre la guerre moins inhumaine soient devenues de plus en plus difficiles, on ne saurait en tirer argument pour justifier un relâchement des efforts tendant à lui imposer des bornes.
Ecartant la notion de guerre totale, on doit donc maintenir fermement la distinction entre objectif militaire et objectif civil, et il faut en tirer la conclusion que les belligérants ne seront pas autorisés à diriger leurs armes contre des objectifs civils, à quelque fin que ce soit.
Ces principes sont incorporés dans l’article premier du Projet de règles; aussi le Gouvernement suisse lui donne-t-il sa pleine approbation. Il se prononce également en faveur de la définition de la population civile, contenue dans l’article 4.
L’article 6 (immunité de la population civile) est la conséquence des principes exposés plus haut; sans aller jusqu’à interdire l’usage d’armes susceptibles d’atteindre indirectement la population civile et à prohiber l’attaque d’objectifs militaires qui ne pourraient être détruits sans que certains éléments de la population en soient également frappés, il défend toute attaque dirigée contre la population civile comme telle. Le Gouvernement suisse partage cette manière de voir.
En revanche, l’appréciation que l’on peut faire de la situation actuelle dans le domaine militaire donne à penser que la limitation des objectifs attaquables, définie par l’article 7, n’est pas de nature à susciter l’adhésion inconditionnée des gouvernements intéressés. La même réserve est d’ailleurs valable pour les articles 8 et 9 (précautions dans la conception et l’exécution de l’attaque) qui pourraient se heurter aussi, dans leur application pratique, à la difficulté de délimiter exactement la notion d’objectifs militaires. Il y a là des problèmes d’ordre non seulement politique, mais aussi technique, qui risquent de rendre également l’article 14 (moyens de guerre prohibés) inacceptable pour certains gouvernements. C’est pourquoi ces quatre articles, groupés en un instrument séparé, ne devraient être applicables qu’à l’égard des pays qui les auraient eux-mêmes acceptés.
En ce qui concerne l’article 10 (bombardement de zone), il faut remarquer que l’existence des armes de destruction massive, auxquelles certains gouvernements ne sont pas prêts à renoncer, met des obstacles à une définition satisfaisante de la notion même de «bombardement de zone». Cela étant, le
Gouvernement suisse suggère que le texte de l’article 10 soit révisé en tenant compte de ces données, de telle façon qu’une nouvelle version puisse obtenir l’approbation de plusieurs gouvernements, sinon de tous.
Le Gouvernement suisse tient à relever l’importance particulière de l’article 11 (précautions «passives») et de l’article 12 (organismes de protection civile), qui pourraient servir de base à une convention séparée. L’article 12 mériterait d’ailleurs d’être renforcé et précisé. Il devrait alors indiquer les types d’organisations de protection civile, les autorités dont dépendent ces dernières et les immunités que les parties au conflit seraient invitées à leur accorder. En outre, le Gouvernement suisse est d’avis qu’il y aurait lieu d’incorporer dans cet article un statut des organismes de protection civile et en particulier une disposition visant l’état d’occupation et stipulant que l’occupant doit laisser en place les services de protection civile en activité dans le territoire occupé et que, par conséquent, il lui est interdit de les déporter. Ces textes pourraient
être complétés par l’introduction de normes sur la protection des médecins et du personnel sanitaire civil.
D’ailleurs, les divers problèmes de protection civile, tels qu’ils se posent à la Suisse, font actuellement l’objet de l’attention particulière des autorités. Le
Conseil fédéral sera heureux, le moment venu, de communiquer au Comité le résultat des études entreprises.
Un accord sur l’article 15 (mesures de sécurité) paraît nécessaire et réalisable. A cet égard, les expériences de la dernière guerre mondiale ont montré la grande efficacité que peuvent avoir de telles dispositions.
Quant aux articles 16 (villes ouvertes) et 17 (installations contenant des forces dangereuses), on doit les considérer comme spécialement dignes d’approbation. Ces textes, qui se prêtent tout particulièrement à des accords restreints dans leur contenu, mais de grande portée pratique, pourraient constituer les fondements d’une convention spéciale.
En conclusion, le Gouvernement suisse désire relever une nouvelle fois qu’il est entièrement acquis à l’idée humanitaire qui fut à la base du Projet de règles et que c’est en raison même de son attachement à cette idée qu’il a cru devoir suggérer certains remaniements des textes, en vue de rendre plus aisées et peut-être plus généralisées les adhésions des Etats, adhésions sans lesquelles toutes ces dispositions resteraient lettre morte. En effet, l’objectif vers lequel il faut tendre est moins une déclaration de principe quasi dépourvue de force juridique, que des instruments de droit auxquels la majorité des gouvernements puissent accepter de se lier. C’est dans cette vue que les observations qui précèdent ont été formulées; elles ne nous font cependant pas oublier combien l’œuvre entreprise par la Croix-Rouge pour codifier les règles destinées à limiter les risques courus par la population civile en temps de guerre est intéressante. Les études préparatoires dont le Comité a pris l’initiative méritent les plus grands éloges. Nous souhaitons donc qu’elles deviennent la base de conventions dont l’humanité d’aujourd’hui éprouve plus que jamais le besoin.
Le Gouvernement suisse exprime enfin le vif espoir de connaître dans un proche avenir les réponses d’autres Etats, réponses qui permettront au
Comité de procéder à un nouvel examen du Projet de règles et de proposer des codifications, dont l’urgence ne saurait être mise en doute4.
- 1
- Lettre (Copie): E 2003(A)1971/44/167. Paraphe: MU.↩
- 2
- Cf. la lettre de L. Boissier à M. Petitpierre du 10 février 1958, E 2003(A)1974/52/183.Pour la documentation sur la Conférence de la Nouvelle Delhi, cf. DDS, vol. 20, doc. 128, dodis.ch/11355, notes 6 et 7.↩
- 3
- Cf. la lettre de L. Boissier à M. Petitpierre du 12 mai 1958, non reproduite.↩
- 4
- Pour la suite de ce dossier, cf. E 2003(A)1974/52/248 et 249.↩