Imprimé dans
Documents Diplomatiques Suisses, vol. 20, doc. 23
volume linkZürich/Locarno/Genève 2004
Plus… |▼▶Emplacement
Archives | Archives fédérales suisses, Berne | |
▼ ▶ Cote d'archives | CH-BAR#E2800#1967/59#347* | |
Ancienne cote | CH-BAR E 2800(-)1967/59 19 | |
Titre du dossier | Conférence internationale sur l'utilisation de l'énergie atomique à des fins pacifiques, Genève (1955–1955) | |
Référence archives | 05.06 |
dodis.ch/12834 Discours du Président de la Confédération et Chef du Département politique, M. Petitpierre, à l’ouverture de la Conférence internationale sur l’utilisation de l’énergie atomique à des fins pacifiques1
Il y a dix, ans, presque jour pour jour, éclataient, semant la destruction et la mort, les premières bombes atomiques. L’humanité apprenait ainsi brutalement qu’une nouvelle découverte géniale avait été faite et qu’une source d’énergie avait été créée d’une puissance extraordinaire. Elle apprenait en même temps qu’une nouvelle menace pesait sur elle, qui pourrait un jour mettre en jeu son existence même. Pendant quelques années, l’énergie nucléaire a été liée dans l’esprit des hommes à son usage militaire. De grandes voix se sont élevées, celles de savants qui pouvaient le mieux mesurer les conséquences d’une évolution redoutable. Souvenons-nous de l’appel d’Einstein:
«Notre monde est menacé par une crise dont l’ampleur semble échapper à ceux qui ont le pouvoir de prendre de grandes décisions pour le bien et pour le mal. La puissance déchaînée de l’atome a tout changé, sauf nos modes de penser, et nous glissons ainsi vers une catastrophe sans précédent. Une nouvelle façon de penser est essentielle si l’humanité doit survivre. Détourner cette menace est devenu le problème le plus urgent de notre temps.»
Cet appel a été entendu. Le 4 décembre 1954, l’Assemblée générale des Nations Unies a pris à l’unanimité la décision de réunir une conférence technique pour rechercher les moyens de développer l’utilisation de l’énergie atomique à des fins pacifiques. L’évolution primitive prenait un autre cours. Partout on fut conscient de la signification de cette conférence, où devaient se retrouver au service d’une action de paix les savants les plus éminents de tous les pays.
Plus de 70 gouvernements ont répondu à l’invitation des Nations Unies.
Vous voici réunis, prêts à commencer vos travaux, à mettre en commun votre savoir et vos connaissances, à échanger vos expériences, à explorer ensemble les domaines nombreux et divers dans lesquels l’énergie atomique peut devenir un bienfait pour l’homme et lui ouvrir de nouvelles et larges possibilités, que ce soit pour lutter contre les maladies ou pour contribuer à augmenter son bien-être.
Au nom du Conseil fédéral, au nom du Conseil d’Etat de la République et Canton de Genève, au nom du Conseil administratif de la Ville de Genève, je vous souhaite la bienvenue dans ce pays.
Lorsque la science avait encore un caractère ésotérique, les alchimistes du Moyen Age déclaraient qu’aborder les secrets de la matière était une chose très grave et que leurs recherches ne devaient être entreprises que le cœur pur et en toute connaissance de cause. Ce précepte oublié rejoint, dans l’idée qu’il contient, l’appel pathétique d’Einstein. Devant les problèmes que pose l’utilisation de l’énergie nucléaire, nous devons nous habituer à un nouveau mode de penser et de concevoir les rapports entre les peuples et les nations, pour que les connaissances auxquelles l’homme est parvenu soient pour lui une source de progrès et contribuent à améliorer la condition humaine, et non à la rendre plus précaire.
Au cours des siècles, les peuples et les gouvernements ont peu écouté la voix des philosophes, des savants, des prophètes ou, tout au moins, n’ont pas été fidèles à leurs enseignements. Ils ont préféré obéir à leurs passions. Aujourd’hui encore la politique est en retard sur la science et les relations entre les peuples ne sont plus à la mesure des progrès réalisés dans tous les domaines de la science et de la technique. Ces progrès ont créé entre les pays et les continents une interdépendance étroite: il n’y a plus de barrières géographiques naturelles. Ces progrès ont donné aux conflits qui s’élèvent entre les nations une gravité qu’ils n’avaient pas jadis et des conséquences qui sont à chaque guerre plus cruelles. La solidarité humaine est devenue une réalité imposée par les faits. Il faut qu’on comprenne enfin que, si nous n’avançons pas tous ensemble, tous ensemble nous reculerons.
C’est pourquoi votre conférence me paraît avoir une importance et une signification exceptionnelles, qui débordent le cadre des questions portées à son ordre du jour.
Par vos connaissances, vous êtes des hommes privilégiés. Le domaine de l’énergie nucléaire, qui vous est familier, est plein de mystère pour la plupart de vos semblables. Vous avez déjà résolu ou vous allez résoudre des problèmes dont la compréhension nous échappe.
Vous avez ainsi un pouvoir et des responsabilités particuliers. C’est à vous qu’il appartient d’ouvrir des voies nouvelles à l’utilisation de l’énergie atomique, de faire de celle-ci un bienfait et une richesse grâce auxquels on pourra écarter la faim, la misère et la maladie, développer le bien-être des populations dont les conditions d’existence sont insuffisantes.
Sur un plan plus large que celui de vos recherches et de vos échanges proprement dits, vous pouvez ainsi participer à l’effort de bonne volonté qui s’accomplit actuellement pour chercher à atténuer les divisions et les oppositions qui ont été jusqu’à présent une menace pour la paix. Vous êtes punis pour une action positive. Au lieu de garder jalousement vos secrets, vos découvertes, grâce à l’initiative des Nations Unies vous allez les mettre en commun. Cet effort collectif, accompli non seulement dans l’intérêt de vos pays, mais dans celui de l’humanité, en vue de réaliser un progrès général, à l’écart duquel personne ne soit mis, me paraît être une promesse et un motif d’avoir confiance. C’est un exemple que vous pouvez donner, en enseignant aux gouvernements et aux peuples qu’une collaboration est possible en vue d’un but qui dépasse leurs antagonismes.
La Suisse espère que vous trouverez ici une atmosphère favorable à vos travaux. Elle souhaite que ceux-ci soient fructueux et que le succès les récompense. Elle espère que cette conférence sera un grand événement, qui non seulement permettra aux sciences dont vous êtes les représentants de réaliser de nouveaux progrès, mais encore et surtout qui marquera une étape importante sur le chemin difficile de la paix, de la compréhension entre les peuples, de leur collaboration pour le bien commun de l’humanité2.
- 1
- E 2800(-)1967/59/19–20. Le texte du discours porte l’indication embargo jusqu’au 8 août, 10.00 heures. Il a été prononcé au Palais des Nations.↩