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Documenti Diplomatici Svizzeri, vol. 20, doc. 28
volume linkZürich/Locarno/Genève 2004
Dettagli… |▼▶Collocazione
Archivio | Archivio federale svizzero, Berna | |
▼ ▶ Segnatura | CH-BAR#E2300#1000/716#198* | |
Vecchia segnatura | CH-BAR E 2300(-)1000/716 100 | |
Titolo dossier | Buenos Aires, Politische Berichte und Briefe, Band 12 (1955–1955) |
dodis.ch/11135 Le Ministre de Suisse à Buenos Aires, M. Fumasoli, au Chef du Département politique, M. Petitpierre1 LA CHUTE DU RÉGIME PÉRONISTE
On me dit à l’improviste que nous pourrons probablement expédier un courrier dans deux ou trois heures, et je voudrais donc vous transmettre un court résumé des graves événements de ces derniers jours.
Vendredi matin, 16 septembre, à 8h15, nous avons appris par la radio que plusieurs garnisons s’étaient soulevées dans différentes localités de la République. Nous en étions donc au dernier chapitre du régime péroniste, en dépit du fait que presque personne n’y avait cru. J’ai la satisfaction d’avoir été un des seuls représentants diplomatiques à Buenos Aires à avoir annoncé ce dénouement depuis le mois de décembre dernier. Je vous ai décrit dans mes récents rapports2, dans lesquels j’ai essayé de vous donner un tableau de l’évolution de la situation, les raisons pour lesquelles le soulèvement de l’armée devenait, à mes yeux, de plus en plus inévitable; l’armée devait fatalement se rendre compte que si elle voulait subsister, il fallait qu’elle se défasse du dictateur: c’est cette solution qu’elle a choisie.
La presse vous a informé au sujet de la marche des hostilités entre les deux camps ennemis au cours des journées des 16, 17 et 18 septembre. Le 19 septembre, les pourparlers ont commencé entre les représentations de la Révolution et la Junte Militaire qui avait pris en mains les affaires de l’Etat après la fuite du dictateur. Hier, on a reçu la nouvelle qu’un nouveau gouvernement avait été constitué à Córdoba, sous la présidence du Général Lonardi. Celuici fera son entrée demain à Buenos Aires. C’est tout ce que nous savons à l’heure actuelle. Il semble s’agir d’un homme sérieux; il aurait désigné un secrétaire pour les Affaires étrangères dans la personne du Colonel d’aviation (Commodore) Jorge Krause, sur lequel je n’ai pas de renseignements.
J’annexe à cet exposé des notices que j’ai rédigées plutôt pour moi-même sur les événements qui se sont développés au cours de ces dernières journées3, dont quelques-unes ont été tragiques pour la population de Buenos Aires vu la panique causée par les menaces de bombardement. Ces notices complèteront peut-être, en tous cas en ce qui concerne le climat psychologique dans la capitale, les nouvelles que vous avez lues dans la presse. Dans un de mes exposés, vous pourrez lire également les dispositions que j’ai prises relativement à notre colonie. Selon les nouvelles que nous avons reçues jusqu’ici, nous n’avons à déplorer aucune victime et aucun trouble au sein de nos colonies: celle qui a couru le plus grand risque, c’est notre colonie de Córdoba, et un télégramme de notre consul dans ladite ville nous a rassurés pleinement, hier soir, sur le sort de nos compatriotes dans la localité précitée.
La situation à Buenos Aires est redevenue normale. Cela est dû au fait que l’Armée a procédé de la façon la plus décidée, et je dirais même atroce, contre ceux qui ont tenté de créer des désordres. Dans la nuit du 19 au 20 septembre, par exemple, l’Armée a tout simplement abattu 380 membres de la fameuse «AlianzaLibertadora» (le groupe de choc de Perón dont je vous ai si souvent entretenu dans mes rapports), attendu que ces individus refusaient de sortir de leur édifice et de se désarmer.
En dépit de cette leçon tragique, inhumaine, mais probablement nécessaire, plusieurs groupes de la CGT4 ont tenté de semer le désordre et le trouble dans la capitale au cours de la journée d’hier. Des bandes d’individus armés se dirigeaient de la campagne vers la ville; d’autres individus ont essayé de défendre les bustes et les photographies du dictateur et d’Eva Perón que le public voulait détruire: des échauffourées s’en sont suivies un peu partout pendant la journée d’hier et, hier soir à minuit, un officier de la marine, très au courant des faits, m’a déclaré que les victimes des troubles d’hier sont plus de mille. Comme vous le voyez, l’Armée est décidée à ne tolérer aucune tentative de trouble et cela a donné à la population le sentiment de sécurité qu’elle avait perdu depuis des mois et surtout au cours de ces derniers jours à cause des bruits qui ne cessaient de courir sur les intentions de la CGT. Hier soir encore, on disait que la CGT avait enlevé Perón du navire de guerre paraguayen sur lequel il s’est réfugié, et qu’un choc avec l’Armée devenait inévitable. Ce n’est donc pas pour rien que l’Armée argentine a procédé de la façon féroce que j’ai décrite ci-dessus et qui est si peu dans les mœurs latinoaméricaines.
Les personnalités qui composeront le nouveau gouvernement ne sont pas connues et il est inutile que je me livre à des pronostics: il faut attendre les événements. Tout ce que je peux dire c’est qu’un journaliste belge aurait interviewé, hier après-midi, le Président provisoire Général Lonardi et que celui-ci a déclaré, d’après la radio, que le nouveau gouvernement respectera tous les accords économiques en vigueur avec les pays étrangers. Selon une nouvelle de radio, le Gouvernement américain aurait également déclaré qu’il était prêt à reconnaître immédiatement le nouveau Gouvernement si celui-ci se déclarait d’accord d’exécuter l’arrangement conclu récemment en ce qui concerne les transferts financiers vers les Etats-Unis: la Légation vous a amplement informé au sujet de cet arrangement qui intéresse d’une façon si aiguë la Suisse.
Je voudrais néanmoins dresser un bilan provisoire de la situation telle que je la vois:
1. la révolution a triomphé, mais il en résulte que 6 millions de travailleurs argentins sont pour le moment très mécontents. Il est douteux que le nouveau gouvernement puisse les satisfaire, car il faudrait prendre des mesures que la situation économique, gravement compromise, ne permet pas d’envisager;
2. sur les autres 12 millions d’habitants du pays, les trois-quarts au moins seront très mécontents du prochain gouvernement, aussitôt l’euphorie de la victoire passée: les droites croient en effet qu’elles pourront revenir au temps passé parce qu’elles n’ont rien appris et elles constateront que personne ne peut effacer l’expérience produite par la guerre mondiale et les mesures sociales imposées par le péronisme très souvent avec beaucoup de raison. La Révolution libère donc l’Argentine du péronisme, qui signifiait pour elle la banqueroute morale et financière mais elle trouve une situation économique tellement désastreuse qu’il lui sera impossible de créer rapidement un climat satisfaisant;
3. L’avenir ne serait pas trop noir si les militaires argentins étaient suffisamment intelligents et évolués pour me laisser l’espoir qu’ils sont capables de voir les graves problèmes qui se posent et de faire appel à des techniciens pour les résoudre. Je crains que les très graves divergences qui se sont manifestées au sein des différentes branches de l’armée, et surtout entre la Marine et l’Armée de terre, après le coup d’état du 16 juin, ne viennent assombrir encore davantage le tableau que j’ai esquissé. Je ne peux que répéter la dernière phrase d’un de mes récents rapports5: L’Argentine n’a pas fini de souffrir et beaucoup par sa propre faute et par la qualité très moyenne de son peuple.
Je m’abstiens pour le moment et vu l’imminent départ du courrier, d’autres considérations. Je vous écrirai prochainement au sujet de nos intérêts dans ce pays. Mon plus grand souci, pour le moment, sera de trouver immédiatement les contacts avec les nouvelles autorités. Malgré tout, il est très heureux que ce pays ait enfin pu écarter la désastreuse hypothèque que le péronisme faisait peser sur lui.
- 1
- E 2300(-)-/9001/100.↩
- 2
- Cf. notamment le rapport politique No 14 de M. Fumasoli à M. Petitpierre du 11 août 1955, ainsi que le rapport politique No 16 de M. Fumasoli à M. Petitpierre du 1er septembre 1955, non reproduits.↩
- 3
- Non reproduites.↩
- 4
- Confederación General del Trabajo.↩
- 5
- Il s’agit du rapport politique No 17 de M. Fumasoli à M. Petitpierre du 14 septembre 1955, non reproduit.↩