dodis.ch/50892Notice pour le Chef du Département politique, P. Aubert1

Visite du Ministre des Affaires étrangères de Pologne2

Avant d'aborder les problèmes de politique internationale, ainsi que les questions bilatérales3, je voudrais très brièvement vous dire, en quelques mots, quels sont les principaux problèmes qu'affronte mon pays en ce moment. J'en prendrai quatre qui me paraissent dignes d'intérêt pour un interlocuteur étranger.

1. Le 24 septembre prochain, le peuple suisse et les cantons auront à se prononcer sur la création d'un 23ème canton, celui du Jura4. L'issue de ce scrutin aura, pour tous les Suisses, valeur de test. En effet, il s'agira de modifier nos frontières intérieures, qui sont restées immuables depuis plus d'un siècle, de permettre à une minorité linguistique de se constituer en une entité politique. Nous espérons que ce test sera surmonté avec succès et que les principes qui sont à la base de notre organisation démocratique s'avéreront toujours aussi vivants.

Je tenais à vous faire part de cet événement politique qui aura lieu en Suisse le week-end prochain, car il illustre d'une manière éclatante l'originalité de nos institutions démocratiques et fédéralistes.

2. Je voudrais maintenant passer à un sujet beaucoup moins gai, mais tout aussi important, celui du terrorisme5.

Le terrorisme a pris, ces derniers temps, une dimension nouvelle en Europe et dans le monde. La Suisse, de par la situation centrale qu'elle occupe sur le continent, n'a pas été épargnée. Si elle n'a pas été le théâtre d'actions dramatiques, les pays qui l'entourent les ont malheureusement connues à satiété6. Nous sommes donc conscients des dangers que représentent ces groupuscules qui remettent en cause les fondements mêmes de nos institutions. Le Conseil fédéral a pris récemment des mesures destinées à aggraver les sanctions prises à l'encontre des auteurs de ces actes criminels7.

3. Comme vous le savez, nous ne sommes pas membre des Nations Unies8. Nous sommes également le seul pays à devoir soumettre à l'appréciation du peuple notre appartenance à cette organisation internationale9.

Les Autorités fédérales et le Parlement sont en faveur de notre adhésion, mais nous voulons nous ménager toutes les chances de succès lors de la votation populaire qui, si elle devait se dérouler aujourd'hui, serait négative10. Dès lors, nous attendons et je crois qu'un tel vote ne pourra pas avoir lieu avant 3 ou 4 ans. Il s'agit là d'un problème intérieur11, mais je voulais que vous en soyiez conscient, car il explique notre absence de New York.

Cette absence de la Suisse peut vous paraître d'autant plus paradoxale que Genève, que vous avez visitée ce matin, Monsieur le Ministre, est le siège européen des Nations Unies. Nous ne ménageons et ne ménagerons, à l'avenir, aucun effort pour maintenir à la ville de Genève sa vocation de ville internationale12 et en faire un lieu de rencontre international.

4. Je voudrais vous parler rapidement de la situation économique, financière et monétaire de notre pays. Je vous fais grâce des problèmes budgétaires.

Comme vous le savez, notre pays est devenu, malgré l'absence de matières premières, une des nations industrialisées les plus riches. Cette prospérité créée de toutes pièces est le fruit de longues années de labeur. En dépit du cours élevé de notre monnaie, les exportations, principal pilier de l'emploi en Suisse, ont enregistré de nouveaux records en 1977. La hausse des prix et l'augmentation des salaires étant restées bien inférieures aux chiffres enregistrés à l'étranger, la compétitivité internationale de notre économie s'est révélée meilleure que le cours de notre monnaie le laissait supposer. Le chômage est resté à un niveau très bas - 0.4% de la population active - et le PNB a enregistré un taux de croissance supérieur à celui de tous les autres États d'Europe occidentale.

Toutes ces considérations sont fort séduisantes, mais il serait faux de croire que tout va pour le mieux dans notre pays. La dernière vague de réévaluation du franc suisse il y a 2 mois nous cause de graves préoccupations. Un seuil critique paraît atteint. Pondérée par le volume des exportations, l'ampleur de la revalorisation de notre monnaie - 38,3% en un an par rapport aux monnaies de nos principaux partenaires commerciaux, 15,5 % en un mois face au dollar américain et 8,3 % face au mark allemand - ne correspond manifestement plus en aucune mesure aux réalités économiques. L'industrie d'exportation, mais également l'économie intérieure et le tourisme sont ainsi entraînés dans des difficultés qui s'aggravent13. Les rentrées de commandes dans l'industrie accusent un fort recul. La capacité bénéficiaire des entreprises ne suffit plus, à la longue, à financer les grands investissements destinés à la modernisation dont notre économie a besoin.

Un pays comme la Suisse, si intégré à l'économie mondiale, a peu de possibilités d'influencer une situation due à des facteurs internationaux. L'élimination des perturbations exige, à l'échelle mondiale, un programme d'action économique concerté. La Suisse s'efforce de promouvoir cette coopération internationale, étant donné que notre pays ne peut prospérer, à la longue, que si l'économie mondiale fonctionne bien.