Classement thématique série 1848–1945:
IV. POLITIQUE HUMANITAIRE
IV.3. ATTITUDE DE LA SUISSE À l'ÉGARD DES JUIFS
Également: Entretien de Rothmund avec un diplomate polonais : même s’il est compréhensible que les Juifs fassent tout pour échapper à la mort, la Suisse ne peut tolérer des activités illégales sur son territoire. Annexe de 6.9.1943 (CH-BAR#E4800.1#1967/111#328*).
Également: Deux fonctionnaires de la Légation de Pologne ont commis des actes officiels illicites sur le territoire de la Confédération. Le Conseil fédéral a pris des sanctions à leur égard. Annexe de 29.9.1943
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 15, doc. 20
volume linkBern 1992
more… |▼▶Repository
Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2809#1000/723#46* | |
Old classification | CH-BAR E 2809(-)1000/723 3 | |
Dossier title | Pologne (1941–1944) |
dodis.ch/47624
A il heures 30, le Ministre Lados, Chargé d’Affaires de Pologne, vient auprès de moi. Après m’avoir entretenu des internés, il aborde la question du Dr Kühl.
Assez rapidement, il se montre vibré et vibrant. Il s’étonne du document2 remis par M. Zuber et qui ne porte ni en-tête ni signature. Il ne peut pas l’accepter. Jamais son Gouvernement ne se déclarera d’accord. Il est surpris qu’on ne l’ait pas prévenu, qu’on n’ait pas traité cette affaire avec lui. Il sait d’ailleurs que la décision n’a pas été prise par le Département politique, mais par le Département de Justice et Police. Il ne s’explique pas que nous soyons intervenus puisque cela, en somme, ne nous regarde pas: il s’agissait du Gouvernement du Paraguay, il s’agissait des Polonais, il ne s’agissait pas de la Suisse, etc., etc.
Je lui fais observer que, directement, nous ne sommes pas intéressés: il a raison sur ce point. Mais indirectement, oui, puisque nous avons constaté que des agents diplomatiques et consulaires exerçaient une activité qui n’était pas conforme à leur compétence et à leur devoir. Dès l’instant où nous savions, nous devions y mettre ordre. C’est à ce titre que nous sommes intervenus.
M. Lados faisant observer qu’il ne s’agissait pas de falsification de passeports puisque les passeports avaient été établis tout d’une pièce; je lui réponds qu’en français, c’est exact: on falsifie quelque chose de préalablement établi. Mais en fait, il n’en reste pas moins que ces passeports étaient irréguliers et ne correspondaient pas aux éléments qui normalement justifient leur établissement.
M. Lados s’excite un peu et confirme que son Gouvernement ne pourra pas accepter notre décision. Je lui pose alors la question de savoir ce qu’il fera. Sur quoi, il me répond: «De la publicité autour des passeports d’étrangers délivrés par la Division de police à de nombreux Juifs, notamment polonais, qui étaient au bénéfice de passeports réguliers.» Pour faciliter leur départ de la Suisse en 1941 et en 1942, on leur aurait donné des passeports d’apatride qui leur auraient permis de traverser la France et l’Espagne; puis à Lisbonne ils auraient retrouvé leurs véritables passeports, transmis par notre valise diplomatique. Il a laissé faire à l’époque, parce qu’il comprenait très bien notre désir de nous débarrasser de ces gens, mais il a eu de grosses difficultés avec son Gouvernement, plusieurs de ces prétendus apatrides ayant refusé après les appels au service militaire qui leur étaient adressés. Il a expliqué à son Gouvernement la situation dans laquelle nous nous trouvions, mais jamais son Gouvernement ne comprendra que maintenant nous nous montrions d’une sévérité draconienne pour des agissements très analogues, mais inspirés par des considérations plus généreuses: le souci de sauver la vie de quantité de braves gens, d’autant plus qu’il n’y a pas eu à proprement parler envoi de passeports paraguayens faux, mais de photocopies.
Je réponds très calmement à M. Lados que je ne crois pas du tout que son Gouvernement fera de la publicité autour de cette affaire, parce que tout naturellement cela ferait de la publicité autour de l’affaire des passeports paraguayens et les malheureux qui en ont profité et qui sont dans des camps d’internement pourraient bien passer de vie à trépas. Il réplique qu’il a bien peur que ce ne soit le cas déjà maintenant, puisque le Gouvernement du Paraguay a annulé ces passeports. Je rétorque que je ne pense pas que le Gouvernement du Paraguay ait fait grand bruit là autour. Les Allemands, qui sont parfaitement renseignés, doivent avoir su ce qui s’était passé. S’ils n’ont pas réagi jusqu’à maintenant, c’est qu’ils ne l’ont pas voulu. Ils n’ont aucune raison de réagir davantage à l’avenir si on ne les y oblige pas par un scandale dont je ne vois pas l’utilité.
Je précise que d’ailleurs j’ignore cette pratique qui aurait été celle de la Division de Police en 1941 et en 1942, et que je m’informerai, mais que je ne vois pas pourquoi, après avoir ainsi usé de la complaisance polonaise, brusquement on aurait changé d’attitude au risque de susciter un conflit. Sur quoi M. Lados me déclare que sans doute il s’agit de l’antisémitisme de M. Rothmund. Cet antisémitisme existait déjà en 1941 et en 1942. Je ne vois pas pourquoi il se ferait jour, supposé qu’il existât, seulement en 1943.
Nous n’avons du reste pas touché à des privilèges diplomatiques puisqu’on s’est contenté d’un avertissement pour son vice-consul. Quant au Dr Kühl, il est un simple employé qui ne bénéficie d’aucun privilège et qui relève des lois communes. Le Département de Justice et Police avait donc le droit de prendre la décision qu’il a prise et nous n’avons eu qu’à la communiquer.
M. Lados, au cours de l’entretien, s’est un peu calmé, surtout quand il a constaté que je restais parfaitement tranquille et ne me laissais pas impressionner par certaines de ses allusions. Il m’a demandé de bien vouloir reconsidérer le cas. Je lui ai répondu que je voulais d’abord me renseigner sur la prétendue pratique de la Division de Police et sur les raisons pour lesquelles on aurait reproché au Dr Kühl ce qu’on aurait fait soi-même pendant un certain temps. Je verrais ensuite...
En partant, M. Lados a voulu me laisser la notice remise par M. Zuber, en répétant qu’il ne pouvait l’accepter. Je la lui ai très gentiment rendue, en lui exposant que, s’il voulait la jeter à la corbeille à papier, comme elle ne portait ni sceau ni signature, c’était son affaire, mais que s’il voulait me la restituer, il m’obligerait alors à lui écrire officiellement, sur mon papier, avec ma signature. Je ne voyais pas ce qu’il y gagnerait. Sur quoi, il a repris la notice.
Les choses en sont là.
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Attitudes in relation to persecutions Neutrality policy Poland (General)