Nous avons eu l’honneur de recevoir vos lettres des 23 et 25 avril2 concernant les entretiens que vous avez eus avec MM. Arnal et Massigli au sujet de la neutralité de la Suisse dans la Société des Nations. Nous avons pris connaissance de ces importantes communications avec un très grand intérêt et nous vous en remercions vivement.
Nous sommes entièrement d’accord avec le point de vue que vous avez soutenu vis-à-vis de M. Arnal. Il serait déplorable que des points accessoires fissent l’objet d’un marchandage à l’occasion du règlement d’une question d’importance primordiale pour la Suisse. Nous nous félicitons que vous ayez réussi à convaincre M. Arnal de la justesse de votre point de vue, et à travers lui M. Massigli. Nous avons des raisons de croire que M. Avenol, de son côté, avait été assez aisément gagné à notre idée, de sorte que nous pouvons espérer que des difficultés relatives à la situation de la Société des Nations dans une Suisse intégralement neutre ne surgiront pas au dernier moment, bien qu’il soit toujours à craindre que certaines personnalités qui gravitent autour du Secrétariat de la Société des Nations ne se livrent in extremis à des intrigues regrettables à cet égard.
Il va de soi qu’ainsi que vous l’avez dit à M. Arnal, nous ne nous refuserons pas, lorsque la question de notre neutralité sera définitivement réglée, à examiner dans un esprit de compréhension réciproque, mais sur le plan pratique et non théorique, les questions que le Secrétaire général estimerait devoir nous soumettre pour adapter le statut du siège de la Société des Nations à la situation nouvelle. Ajoutons, à titre confidentiel, qu’une question devra en tout cas être réglée, c’est celle de la station radiotélégraphique de Prangins. Mais il serait très fâcheux qu’elle fût évoquée de part ou d’autre en ce moment. Le mieux est, par conséquent, de ne pas prendre l’initiative d’en parler.
Il vous intéressera de savoir que le soussigné a eu hier un bref entretien avec l’Ambassadeur de France à l’occasion de l’échange des instruments de ratification de la convention franco-suisse de voisinage. M. Alphand nous a assuré que nous pouvions compter sur l’appui sans réserve du Gouvernement français dans notre affaire devant le Conseil de la Société des Nations. Nous sommes fort heureux que vous ayez pu nous le confirmer de façon plus précise encore.
M. Alphand a également fait allusion à la préoccupation de M. Massigli concernant la défense de la neutralité de notre domaine aérien. Nous prenons bien volontiers note de ce qu’il vous a dit lui-même à cet égard et nous chercherons à lui donner satisfaction au cours de l’exposé que nous serons amenés à faire au Conseil. Il est bien entendu que nous n’avons jamais songé à faire une différence entre la défense terrestre et la défense aérienne de notre neutralité. Nous voudrions éviter, toutefois, de voir s’ouvrir à Genève une discussion sur la question assez délicate de la responsabilité d’un Etat neutre pour un survol d’avions étrangers passant à une hauteur inaccessible pour les moyens normaux de surveillance. Un exemple vous rendra clair ce à quoi nous pensons. L’Office aérien fédéral s’est préoccupé, il y a quelques mois, du passage possible au-dessus de la Suisse d’avions allemands à destination de l’Espagne. Il a été amené à se demander quelles mesures devaient être prises pour empêcher ce passage. Nous avons soutenu que, dans les circonstances actuelles, nous ne pouvions être tenus d’organiser des services de patrouille à grande hauteur pour empêcher même des passages qui passeraient inaperçus du sol. Dans l’éventualité d’une guerre à notre frontière même, la question devrait sans doute être examinée à nouveau, mais il serait fâcheux d’avoir à la débattre devant un for international.