Classement thématique série 1848–1945:
II. LES RELATIONS BILATERALES ET LA VIE DES ETATS
II.13. Grande-Bretagne
II.13.2. Le traité d’arbitrage
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 8, doc. 107
volume linkBern 1988
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2001C#1000/1537#12* | |
Old classification | CH-BAR E 2001(C)1000/1537 4 | |
Dossier title | England (1919–1944) | |
File reference archive | B.14.4 • Additional component: Grossbritannien |
dodis.ch/44749
Nous avons pris connaissance avec beaucoup d’intérêt et, il faut le dire, avec une assez grande déception, du contenu de la note que Lord Curzon de Kedleston vous a adressée en réponse2 à nos ouvertures en vue de la conclusion d’un traité d’arbitrage entre la Suisse et la Grande-Bretagne.
Nous savions déjà que les principes dont nous préconisions l’application en matière d’arbitrage ne seraient pas accueillis avec un enthousiasme débordant au Foreign Office et qu’ils se heurteraient, au contraire, à une résistance que certaines considérations d’ordre politique nous faisaient déjà trop entrevoir. Mais nous ne pensions guère que le Gouvernement britannique se déroberait sans façon à la démarche que nous avions tentée auprès de lui. Il ne nous paraissait nullement téméraire de présumer que, voulant rompre dans une certaine mesure avec les errements anciens, il saisirait cette occasion pour chercher tout au moins une base de discussion qui lui paraîtrait mieux appropriée aux circonstances. De fait, nos suggestions ne lui ont pas semblé devoir faire l’objet d’un échange de vues ou même d’une simple conversation préliminaire. Il les rejette en bloc sous prétexte que le Pacte de la Société des Nations a déjà comblé les lacunes auxquelles nous faisions directement ou indirectement allusion. Un examen rapide des faits nous montrera ce qu’il y a d’erroné dans cette manière de voir.
La note du Foreign Office donne clairement à entendre que le Gouvernement de Londres est, pour le moment, au moins, un adversaire résolu du principe de la juridiction obligatoire. Si tel n’était pas les cas, il n’aurait pas évité avec le plus grand soin de se prononcer, même en termes tout à fait vagues, sur la possibilité d’instituer, faute de mieux, une juridiction obligatoire limitée, telle que vous le lui avez suggéré sous lettres a) et c) de votre note. Il faut bien reconnaître que l’article XIII3 du Pacte dont se réclame Lord Curzon ne contient, en somme, qu’une simple déclaration de principe et, partant, lie encore beaucoup moins les Etats qu’un simple traité d’arbitrage muni de la fameuse clause des intérêts vitaux. C’est si vrai qu’une convention d’arbitrage de ce genre impose aux Parties l’obligation de recourir à l’arbitrage dans tous les différends pour lesquels l’une ne se prévaut pas de l’exception tirée de la clause des intérêts vitaux. Or, le Gouvernement britannique veut, lui, éviter toute procédure arbitrale non pas seulement dans les cas où ces intérêts vitaux seraient effectivement en jeu, mais encore dans ceux où il considérerait tout simplement le litige pendant comme n’étant pas «suitable», susceptible de solution arbitrale. Il ne saurait montrer avec plus de netteté combien il est encore attaché aux vieilles formules que, nous, nous voudrions voir disparaître. Son point de vue et le nôtre sont donc, sur ce point, sinon en contradiction formelle, du moins fort distants l’un de l’autre.
Notre suggestion relative à la constitution de commissions d’enquête n’a pas non plus eu le don de séduire le Gouvernement de David Lloyd George. Ce dernier renvoie à cet égard au Pacte qui n’exclut pas la possibilité de constituer, dans des circonstances spéciales, des commissions de cette nature. Il se réfère, sur ce point, aux articles XII et XV du Pacte.4 Sa démonstration ne nous paraît nullement concluante, car enfin ces dispositions ne visent que des conflits «susceptibles» d’entraîner une rupture», c’est-à-dire susceptibles de mettre la paix en péril. Or, il n’est pas de l’intérêt des Etats non repésentés au Conseil de saisir ce dernier de toutes les affaires litigieuses, à charge pour lui de nommer toutes les commissions d’enquête et de conciliation dont la constitution paraîtrait désirable. Ce système, s’il était généralisé, ne serait d’ailleurs en aucune façon conforme à l’esprit du Pacte. De plus, le Conseil, qui, en fait, est l’organe représentatif des Grandes Puissances, ne sera pas toujours en mesure d’offrir des garanties d’impartialité telles que les Etats puissent, sans courir le moindre risque, s’abstenir de prévoir, dans les traités d’arbitrage, toute clause relative à ces commissions d’enquête et de conciliation. Il n’y a pas lieu toutefois de s’étonner beaucoup que, sur ce terrain, la Grande-Bretagne, Puissance représentée en permanence au Conseil, ne partage pas nos idées, voire nos appréhensions.
Vous avez constaté qu’en ce qui concerne notre suggestion tendant à instituer la Cour permanente de Justice internationale comme tribunal obligatoire, le Gouvernement britannique est d’accord, pleinement d’accord avec nous. Il convient toutefois d’observer qu’instituer un for obligatoire sans une juridiction obligatoire est presque un non-sens. Pareille décision n’aurait, en tout cas, aucune valeur pratique.
Quant à l’amendement au Pacte dont parle le Gouvernement britannique, amendement qui porterait sur l’alinéa 3 de l’article XIII, on peut dire d’ores et déjà qu’il n’aura jamais pour effet d’obliger les Etats Membres à accepter la compétence de la Cour permanente de Justice internationale. L’article XIII amendé pourra tout au plus contenir une recommandation toute platonique en faveur de la juridiction de la Cour. Il n’ira pas plus loin. D’ailleurs, la procédure de révision sera très lente et son résultat est plus qu’incertain.
Nous n’exagérons pas en disant que la réponse britannique nous met un peu dans l’embarras. Conclure avec la Grande-Bretagne un traité qui pourrait nous offrir des avantages politiques réels semble, du moins à l’heure actuelle, chose impossible. Cela nous amène à examiner s’il conviendrait, dans ce cas, de renouveler purement et simplement la Convention venue à expiration.5 Cette solution, on ne saurait s’en cacher, ne serait nullement heureuse, d’autant plus qu’elle serait en contradiction avec la politique que le Conseil fédéral, comme il l’a exposé dans son message du 11 décembre 19196, entend suivre en matière d’arbitrage. Nous nous trouvons, dès lors, dans l’alternative ou d’abandonner sans autre une conversation qui se révèle de prime abord comme n’étant pas de nature à aboutir ou de donner au Gouvernement britannique une réponse qui, bien que conçue en termes nécessairement évasifs, lui donnerait à entendre que nous lui laissons le soin de reprendre ou la responsabilité de laisser tomber cette première conversation préliminaire. C’est à ce dernier parti que nous nous sommes arrêtés, car il nous permettra d’éviter le reproche, qu’on pourrait peut-être nous faire un jour, de n’avoir pas tout fait pour éviter l’échec de ces négociations.
Nous vous serions, dès lors, très obligés de bien vouloir adresser au Foreign Office une note conçue à peu près dans les termes que voici:
«Le Conseil fédéral Suisse a pris connaissance avec le plus vif intérêt de la communication que le Foreign Office a bien voulu faire à M. le Ministre Paravicini au sujet de la conclusion d’une nouvelle convention d’arbitrage entre la Suisse et la Grande-Bretagne.
Comme le Gouvernement britannique n’estime pas pouvoir introduire dans la convention envisagée le principe de la juridiction obligatoire, même limité à certaines catégories de différends, le Conseil fédéral considère qu’il serait difficile de jeter les bases d’une Convention qui réaliserait un progrès appréciable sur l’état de choses créé par l’article XIII du Pacte. Il serait néanmoins très heureux si le Gouvernement britannique voulait bien lui faire connaître sur quelles bases la conclusion d’une nouvelle Convention pourrait être envisagée.
Dans le cas, cependant, où le Gouvernement britannique préférerait, avant de poursuivre cet échange de vues préliminaire, attendre le résultat des délibérations de l’Assemblée de la Société des Nations sur les amendements au Pacte qui visent la justice internationale, le Conseil fédéral ne verrait, pour sa part, aucune objection à se rallier à cette manière de procéder.»
Il va sans dire que si ce texte vous paraissait devoir être complété, quant au fond, sur tel point particulier, nous ne manquerions pas de soumettre à l’examen le plus attentif les observations que vous voudriez bien nous présenter à cet égard.
- 1
- Lettre (Copie): E 2001 (C) 7/4.↩
- 2
- Note du 17 juin, non reproduite.↩
- 3
- Art. XIII. Les Membres de la Société conviennent que s’il s’élève entre eux un différend susceptible, à leur avis, d’une solution arbitrale et si ce différend ne peut se régler de façon satisfaisante par la voie diplomatique, la question sera soumise intégralement à l’arbitrage. Parmi ceux qui sont généralement suceptibles de solution arbitrale on déclare tels les différends relatifs à l’interprétation d’un Traité, à tout point de droit international, à la réalité de tout fait qui, s’il était établi, constituerait la rupture d’un engagement international, ou à l’étendue ou à la nature de la réparation due pour une telle rupture. La Cour d’arbitrage à laquelle la cause est soumise est la Cour désignée par les Parties ou prévue dans leurs Convention antérieures. Les Membres de la Société s’engagent à exécuter de bonne foi les sentences rendues et à ne pas recourir à la guerre contre tout Membre de la Société qui s’y conformera. Faute d’exécution de la sentence, le Conseil propose les mesures qui doivent en assurer l’effet (FF, 1919, vol. IV, p. 687).↩
- 4
- Cf. FF, 1919, vol. IV, pp. 687-689.↩
- 5
- Convention de 1904 prorogée en 1909 et 1914, cf. RO, 1905, Tome 21 pp. 575–578 etDDS 5, ri" 12, 45, 48.↩
- 6
- FF, 1919, vol. V pp. 809-826.↩