Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 7-I, doc. 297
volume linkBern 1979
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
Archival classification | CH-BAR#E2001B#1000/1501#3083* | |
Dossier title | Friedenskonferenz, Rapports de Mr. Rappard (1919–1919) | |
File reference archive | B.56.221.05 |
dodis.ch/44042
Je dois voir Lord Robert Cecil dans un quart d’heure au sujet de la Société des Nations et de son siège. Je commence par conséquent ma lettre par des sujets moins importants.
1. Liberté du transit. Monsieur le Ministre Dunant m’a fait part hier soir de votre question à ce sujet. Voici l’information que je viens de recueillir de la bouche de M. Hudson:
Dans les préliminaires de Paix, les Alliés comptent imposer à leurs ennemis la liberté du transit par voie ferrée et fluviale et à leur propre profit. Il ne sera pas question dans le traité de Paix lui-même de l’établissement du principe général. Les Anglais demandent cependant qu’après la signature des préliminaires de Paix, une conférence spéciale soit immédiatement chargée d’élaborer une convention pour assurer à toutes les puissances, ou du moins à tous les Etats membres de la Ligue, le bénéfice de la liberté et de l’égalité générales de transit. M. Hudson ne sait pas encore comment cette proposition anglaise sera accueillie par les autres Alliés. /...72
4 Heures 15 après-midi. Depuis ce matin, j’ai eu des conversations avec Lord Robert Cecil et avec MM. Miller et Loudon. Je viens de passer à la Légation, de parcourir rapidement le courrier qui m’y attendait et de vous envoyer les deux dépêches suivantes: La première: ((Après nouvelle conversation CecilRappard recommande d’urgence envoi immédiat mission militaire droit de passage». Et l’autre: uRappard teilt mit, dass Transitfreiheit bis jetzt nur zu Gunsten der Alliierten ihren Gegnern aufgezwungen wird. Ausführlicher Bericht Rappard folgt heute.»
III. Société des nations. Je vous ai rendu compte dans mon dernier rapport de l’avis concordant de Cecil et de Smuts au sujet du droit de passage3. Je m’en suis entretenu ce matin avec M. Miller dont l’avis est malheureusement contraire. Il estime qu’en adhérant à la Ligue, un Etat s’engage à participer aux sanctions économiques et à autoriser le droit de passage à travers son territoire à tous les autres membres, au cas prévu à l’article 16,4 et sans consultation spéciale, par le Conseil Exécutif, de l’Etat traversé. Je suis revenu à la charge auprès de Lord Cecil ce matin, vu l’importance majeure de cette question pour nous. Comme M. Miller attendait dans l’antichambre de Lord Cecil, j’ai prié ce dernier de le faire entrer et nous avons causé à trois. Lord Cecil a reconnu que l’interprétation de M. Miller était plus conforme à la lettre et même à l’esprit du pacte, que celle qu’il avait donnée lui-même. J’ai fait appel à tous nos arguments pour montrer à ces Messieurs combien le sacrifice qu’une pareille interprétation imposerait à la Suisse était grave, et combien il risquerait de paraître inadmissible à la majorité de nos concitoyens. Je crois que Lord Robert Cecil est resté moins insensible à mes arguments que M. Miller. Il a rappelé à ce dernier que l’inviolabilité du territoire suisse pourrait fort bien, dans l’avenir, être plus avantageuse à la Ligue qu’à ses adversaires éventuels. Il a évoqué à ce propos la situation qui suivit la défaite italienne à Caporetto. A ce moment là, dit Lord Cecil, l’Etat-Major anglais a vu dans la neutralité de la Suisse, une protection très utile pour les troupes alliées, dont le flanc gauche devenait, grâce à elle, invulnérable. Une situation semblable, ajoutait-il, pourrait fort bien se représenter à l’avenir. Cependant, Lord Cecil a reconnu que M. Miller avait les textes pour lui et il ne s’est pas engagé à nous assurer le bénéfice de sa première interprétation. Comme la Commission de rédaction formule cet après-midi même, d’une façon presque définitive l’article 16, je crains très fort que l’interprétation de M. Miller ne triomphe.
J’ai demandé alors à ces Messieurs si l’on ne pouvait pas, comme nous l’avions déjà proposé, assurer à l’Etat qui offrirait l’hospitalité au siège de la Ligue, une neutralité ou une inviolabilité spéciale. Lord Cecil ne s’est pas montré favorable à cette proposition qui briderait encore plus que l’article 16, d’après sa première interprétation, l’action de l’Etat-Major de la Ligue. Je lui ai demandé alors si l’envoi de la mission militaire, dont nous avions parlé avec lui, ne lui paraissait pas urgent. Il me répondit par l’affirmative en me déclarant que le général Sackville West était prévenu de son arrivée probable. C’est cette déclaration qui m’a décidé à vous envoyer la première des dépêches ci-dessus.
M. Loudon, avec qui j’ai déjeuné en tête à tête, et à qui j’ai rendu compte de la conversation que je venais d’avoir, s’en montra d’autant plus étonné qu’il avait été témoin des déclarations faites par Lord Cecil à la séance de samedi dernier. Il me raconta en outre que le Président Wilson, qu’il avait vu il y aura huit jours demain, lui avait parlé de la Suisse en termes fort sympathiques et avait répété les arguments favorables à sa neutralité que nous lui avions suggérés. Il mentionna en particulier le caractère constitutionnel de notre neutralité et des arguments tirés de la composition ethnique de notre population qui la justifiait.
Tout cela nous montre combien notre sort est en suspens à ce moment. J’espère toujours encore que les Alliés voudront bien nous offrir au moins en échange de notre neutralité, quelques garanties équivalentes. Je redoublerai naturellement d’énergie dans mes conversations à ce sujet, mais je dois avouer que sur ce point notre situation me paraît moins favorable qu’il y a huit jours.
IV. Siège de la ligue. Lord Robert Cecil m’a fait venir ce matin pour me montrer le projet de correspondance entre lui et moi, qu’avait rédigé le général Smuts et dont je vous envoie copie ci-inclus.5 J’ai demandé à Lord Cecil l’autorisation de vous communiquer ces deux projets de lettres avant de signer ma réponse. L’importance de la question, lui dis-je, me paraît exiger qu’elles soient soumises au Gouvernement suisse, et que notre attitude soit fixée, non par la signature d’un délégué non officiel, mais par nos Affaires étrangères elles-mêmes. Il m’a répondu qu’il y avait extrême urgence, qu’il me ferait tenir incessamment les projets définitifs et qu’il serait heureux de pouvoir assurer ses collègues de notre acceptation tout de suite. Je lui ai déclaré que je vous communiquerais aujourd’hui même ces projets de lettres, mais que je prendrais sur moi de signer sous réserve de votre ratification si la situation l’exigeait vraiment.
J’espère que Lord Cecil ne me demandera pas ma signature avant que ces pièces ne soient entre vos mains, mais je crois bien faire en assumant la responsabilité de la signature s’il devait en être autrement. Je ne crois pas, en effet, qu’il y ait quoique ce soit dans les engagements qu’on nous demande de prendre, qui soit le moins du monde contraire aux instructions que vous avez bien voulu me donner à ce sujet. Si j’étais plus sûr de la censure, je vous transmettrais ces pièces par dépêche, mais cette considération, jointe à la grande surcharge de travail dont souffrent actuellement les services de notre Légation, me décident à ne pas faire chiffrer ces lettres.
Je fis remarquer à Lord Cecil qu’en fixant le siège de la Ligue à Genève, avant de s’être assuré l’adhésion de la Suisse à la Société des Nations, les Alliés risqueraient de créer une situation embarrassante. Il m’a déclaré qu’il ne considérait pas la décision relative au siège comme préjugeant notre attitude au sujet de la Ligue elle-même, et il m’a dit expressément qu’il ne voyait pas dans notre adhésion, une condition formelle à l’obtention du siège. Naturellement, ajouta-t-il, nous désirons vivement voir la Suisse entrer dans la Société des Nations, mais nous ne songeons pas à exercer sur elle la moindre pression. Vous resterez, par conséquent, tout à fait maître de votre décision, même si nous vous accordons par avance le siège.
Personnellement, je crois que nous avons tout à gagner au point de vue intérieur comme au point de vue international, à obtenir le siège avant de prendre notre décision définitive au sujet de notre participation.
D’une part, en effet, les Alliés seront d’autant plus disposés à tenir compte de la situation spéciale de l’Etat auquel ils auront confié le siège. Et, d’autre part, notre opinion publique sera d’autant plus disposée à consentir les sacrifices nécessaires si la Suisse est assurée des avantages incalculables que lui vaudra le siège même.
Je me rends pleinement compte, M. le Conseiller Fédéral, de la lourde responsabilité que j’assume en allant de l’avant comme je le fais et je serais bien aise de pouvoir prendre vos instructions avant les décisions qu’on me demande. Mais j’ai le sentiment, la certitude même, car cela m’a été affirmé par House, que les Belges font actuellement des efforts très énergiques en faveur de Bruxelles. Je ne voudrais pas qu’une hésitation ou qu’une timidité de ma part puisse réduire nos chances de succès en face de cette redoutable concurrence. Je ne sais pas ce que nous réservent ces journées prochaines. Mais il ne me paraît pas impossible que les circonstances me suggèrent ou m’imposent subitement l’idée de vous prier, vous ou M. Ador, de revenir à Paris à l’improviste. Je me permets de vous confier ce sentiment pour qu’une dépêche de ma part à ce sujet ne vous paraisse pas trop intempestive si je devais me voir obligé de vous l’adresser. Je ne le ferai, soyez-en bien assuré, qu’au cas où l’opportunité et l’urgence d’une décision pareille me paraîtraient bien démontrées.
Je n’ai pas encore eu le temps de lire attentivement le mémoire que M. Lucien Cramer a bien voulu me faire parvenir de votre part au sujet de la liberté de transit. Pour le moment, je n’ai rien à ajouter, ni à retrancher de ce que je vous ai écrit à ce sujet sous I ci-dessus.
V. Navigation sur le Rhin. M. Hudson m’a permis de prendre copie ce matin d’un passage du projet que la Commission des Voies fluviales compte prochainement soumettre au plenum de la conférence. Le voici:
Le chapitre IV (Moselle et Rhin) Article 17. Les Etats B (empires centraux) ne feront aucune objection à toutes propositions de la Commission Internationale du Rhin, tendant à étendre sa juridiction:
1°. à la Moselle...
2°. au Rhin, en amont de Bâle jusqu’au lac de Constance, sous réserve de l’accord du Gouvernement de la Confédération helvétique.
3°. aux canaux latéraux... (en aval de Bâle)
M. Hudson, qui n’a pas pu me confier un exemplaire du projet entier, m’a demandé si je croyais que la Suisse serait d’accord avec cette disposition spéciale. Je lui ai répondu que je le pensais, vu que le Gouvernement suisse gardait un droit de veto absolu sur toutes les décisions de la Commission internationale du Rhin et que, d’autre part, cette disposition ne pourrait lui créer d’embarras du côté de l’Allemagne, puisqu’elle ne serait pas sujette à notre ratification.