Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 6, doc. 220
volume linkBern 1981
more… |▼▶Repository
Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2001B#1000/1501#3286* | |
Old classification | CH-BAR E 2001(B)1000/1501 94 | |
Dossier title | Wirtschaftsabkommen mit Frankreich, 20. März 1917 (1916–1917) | |
File reference archive | C.21.5.2 • Additional component: Frankreich |
dodis.ch/43495 La Division des Affaires étrangères du Département politique à l’Ambassade de France, aux Légations de Grande-Bretagne et d’Italie à Berne1
Par note verbale remise le 7 de ce mois2, les Gouvernements français, anglais et italien déclarent qu’ils se croient fondés à demander au Gouvernement fédéral de prendre des mesures pour rétablir entre les deux groupes de belligérants l’égalité de traitement, qui leur paraît avoir été rompue par l’arrangement entre la Suisse et l’Allemagne.
A l’appui de cette dernière affirmation, la note établit le parallèle suivant:
1) Tandis qu’il est permis d’exporter en Allemagne et en Autriche-Hongrie des produits dans lesquels entre une certaine proportion des matières premières importées par l’intermédiaire de la S.S.S., l’arrangement conclu entre la Suisse et l’Allemagne interdirait d’exporter dans les pays de l’Entente tout matériel de guerre fabriqué avec une proportion, si minime soit-elle, de fer allemand et même, pour certains articles, de charbon allemand.
2) Les Gouvernements alliés constatent avec regret qu’en ce qui concerne la question de l’approvisionnement en charbon, qui aurait dû rester en dehors de celle des compensations et de toutes autres mesures de guerre, le Conseil fédéral aurait consenti à faire des distinctions entre les diverses maisons suisses qui font usage de charbon et de coke allemands, système auquel, jusqu’à ce jour, il avait paru très opposé.
3) Cette concession se trouverait aggravée du fait que les stocks existants tomberaient sous le coup des interdictions d’exportation et que de nombreuses maisons travaillant pour l’Entente seraient ainsi privées de leur légitime propriété et empêchées d’exécuter les marchés qu’elles avaient conclus. C’est là un fait si inusité que les Gouvernements alliés ne peuvent - disent-ils - qu’en éprouver une profonde surprise et se voient contraints de refuser des permis pour l’exportation en Suisse de toutes matières premières destinées à des maisons ou à des individus qui sont exclusivement occupés à la fabrication de matériel de guerre pour les Empires centraux.
En raison de ce qui précède, les Gouvernements alliés estiment qu’ils sont fondés à présenter les demandes suivantes:
1°) supprimer l’autorisation accordée pour l’exportation du matériel de guerre contenant des proportions déterminées de marchandises provenant des pays de l’Entente, et pour les tissus de coton;
2°) interdire l’emploi des lubréfiants provenant des pays de l’Entente dans la fabrication des armes, munitions et explosifs destinés à l’Allemagne et à ses alliés;
3°) interdire l’emploi du cuivre et notamment des installations électriques dont le cuivre aurait été fourni par les pays de l’Entente, après le 18 novembre 1915, pour la fabrication de matériel de guerre destiné à l’Allemagne et à ses alliés et pour le transport de l’énergie électrique exportée dans ces pays;
4°) suspendre dans le plus bref délai les exportations de toutes les machines, de tous les produits hydro-électriques et de tous les tissus de coton, de façon à permettre de procéder aux enquêtes nécessaires.
Après avoir examiné d’une manière approfondie ces demandes et les motifs indiqués à l’appui, le Conseil fédéral a l’honneur de communiquer ci-après aux Gouvernements alliés le résultat de son examen.
Le Conseil fédéral ne peut se défendre de l’impression que les demandes qui lui ont été soumises n’auraient peut-être pas été formulées sans les malentendus que semblent révéler les considérations et les appréciations développées dans la note au sujet de l’arrangement entre la Suisse et l’Allemagne.
Le Règlement intérieur de la S.S.S.3 pose à l’article 10, lettre c, ce principe que des permis d’exportation pourront être accordés eu égard au caractère national des industries intéressées, mais seulement pour autant qu’il ne s’agit pas d’articles pouvant être employés pour objets de guerre. Ce sont donc les dispositions de la S.S.S. qui ont établi, les premières, une distinction entre les marchandises qui peuvent être considérées comme matériel de guerre et celles qui n’en sont pas. L’art. 10, lettre a, ne restreint pas, il est vrai, l’exportation à ce qui n’est pas du matériel de guerre proprement dit; il autorise aussi cette exportation pour les articles fabriqués en Suisse qui contiennent en quantités insignifiantes (dans la règle, pas plus de 2% de la valeur totale de l’objet) des matières importées sous la garantie de la S.S.S. L’article 12, 3e alinéa, permet également d’exporter des machines et appareils contenant du cuivre importé par la S.S.S., sans restreindre expressément l’exportation à ce qui n’est pas proprement du matériel de guerre. Mais quant à la première catégorie d’articles (art. 10, lettre a), tous les alliages, ainsi que toute matière pouvant entrer dans un alliage de fer, demeurent formellement interdits. La disposition est donc restreinte de telle sorte que le matériel de guerre proprement dit n’est pour ainsi dire plus en question. Quant aux marchandises qui, aux termes de l’article 12, 3e alinéa, peuvent être exportées, ce sont des machines électriques, qui ont si peu le caractère de matériel de guerre que l’Allemagne elle-même autorise sans restriction leur exportation dans les pays de l’Entente, bien que ces machines renferment, non pas 15 ou 30%, mais 70 ou 85% de matières allemandes. L’alinéa 5 du même article 12 dispose expressément qu’il ne sera dans aucun cas possible d’exporter dans les Empires centraux des munitions de guerre contenant du cuivre, en n’importe quelle quantité même insignifiante, qui aura été importé d’un pays en état de guerre avec ces Puissances. Ici encore, par conséquent, les dispositions de la S.S.S. prévoient déjà un traitement spécial pour une certaine catégorie de matériel de guerre.
L’arrangement entre la Suisse et l’Allemagne distingue trois catégories de marchandises: 1°) le matériel de guerre dans le sens restreint du mot (les armes, les munitions et leurs parties constitutives, les explosifs); 2°) le matériel de guerre dans un sens plus large (machines-outils pour la préparation des munitions, engins de campagne, tels que projecteurs, fils de fer barbelés, moyens de transport de guerre, parties constitutives de navires de guerre, matériel de chemin de fer, etc.); et enfin 3°) les marchandises qui ne sont pas matériel de guerre. Ce n’est qu’à la première catégorie que s’applique la défense d’exportation dans les pays de l’Entente, s’il y a eu fabrication, non seulement avec des produits allemands, mais à l’aide de combustible allemand. Pour la deuxième catégorie, seul l’emploi de produits allemands est interdit, tandis que l’emploi du charbon reste libre, et pour la troisième catégorie, la liberté d’exportation est garantie en principe.
Le Conseil fédéral ne saurait voir dans cette solution de principe une rupture au préjudice des pays de l’Entente de l’égalité de traitement entre les deux groupes de belligérants. Au contraire, une comparaison des prescriptions qui règlent les relations économiques avec ces deux groupes montre que les dispositions de la S.S.S. restreignent l’activité de l’industrie suisse à un plus haut degré que l’arrangement entre la Suisse et l’Allemagne, sans qu’il soit besoin de rappeler que du côté des Empires centraux il s’agit presque exclusivement de l’autorisation d’employer leurs propres produits, alors que du côté des pays de l’Entente, il ne s’agit en grande partie que d’autorisations de transit. En particulier, l’interdiction d’employer du charbon allemand pour la fabrication d’armes, de munitions et d’explosifs destinés aux pays de l’Entente n’a jamais été considérée comme une mesure inéquitable. A propos d’une observation faite en passant dans la note collective, il y a lieu de remarquer que le Conseil fédéral n’a jamais reçu du Gouvernement allemand d’assurance au sujet de la fourniture de charbon, à plus forte raison au sujet de la fourniture de charbon sans conditions; le Conseil fédéral n’a reçu en 1914 que l’assurance qu’aucun obstacle ne serait mis aux transports de charbon. La note collective reproche au Conseil fédéral d’avoir aidé les Autorités allemandes dans leurs efforts pour établir des distinctions entre les diverses maisons qui font usage de charbon allemand; la vérité est que le Conseil fédéral s’est efforcé, tout au contraire, de faire supprimer le système des «listes noires» et de le remplacer par une réglementation qui prévoit une Commission d’exportation constituée sur le modèle de la Commission d’exportation qui est en relations avec la S.S.S.
La note collective exprime la profonde surprise des Gouvernements de l’Entente de ce que les marchandises importées antérieurement à l’arrangement entre la Suisse et l’Allemagne tombent sous le coup des prohibitions édictées, d’où il résulte que de nombreuses maisons travaillant pour l’Entente se trouvent privées de leur légitime propriété et empêchées d’exécuter les marchés qu’elles avaient conclus. C’est là, dit la note collective, «un fait inusité». Le Conseil fédéral ne peut s’empêcher de marquer son étonnement de ce qu’on n’ait pas pris garde, semble-t-il, que le même principe a été admis tel quel dans les prescriptions en vigueur pour la S.S.S. Non seulement les marchandises qui se trouvaient en Suisse au moment de la constitution de la S.S.S. ont été soumises sans autre aux restrictions apportées à l’exportation (voir Règlement intérieur, art. 4 et art. 11, alinéa 2, et Statuts de la Société coopérative suisse pour l’importation des métaux, art. 7, alinéa 4, et art. 8, alinéa 1) mais les restrictions édictées plus tard furent appliquées dans certains cas à toutes les marchandises qui se trouvaient en Suisse au moment où furent édictées ces dispositions, sans égard aux droits du propriétaire qui les avait importées en Suisse sans conditions et d’une manière parfaitement légitime, comme sans égard aux marchés qu’il avait conclus. Il ne faut d’ailleurs pas oublier que, pour une des catégories les plus importantes de matériel de guerre dans le sens le plus large du mot, à savoir pour les machines-outils servant à préparer les munitions, toutes les concessions possibles ont été faites dans la période de transition.
Le Conseil fédéral se plaît à espérer que les Gouvernements alliés verront par ce qui précède qu’on ne saurait parler d’une rupture de l’égalité de traitement entre les deux groupes de belligérants et qu’il n’y avait ainsi aucun motif suffisant de présenter les demandes formulées par la note collective. Le Conseil fédéral tient à ajouter qu’il ne pourrait y faire droit sans risquer de provoquer de la part du Gouvernement allemand des représailles dont l’industrie suisse serait de nouveau la première à souffrir.
La suppression des autorisations accordées à la S.S.S. par l’article 10, lettre a, et l’article 12, 3e alinéa, et l’interdiction d’exporter les tissus de coton, qui, dans la mesure où ils peuvent être exportés actuellement n’ont plus rien à voir avec le matériel de guerre, entraîneraient peut-être une extension des interdictions de sortie à tous les articles manufacturés fabriqués avec des matières premières allemandes, ce qui serait non seulement contraire aux intérêts des pays de l’Entente, mais paralyserait l’activité d’une partie de l’industrie suisse.
Restreindre, comme la demande en est faite, l’emploi des lubréfiants dans les exploitations suisses, ce serait aller à rencontre de la pensée qui a présidé à l’institution de la S.S.S., savoir, comme le stipule l’article 3 du Règlement intérieur, que les marchandises importées par son intermédiaire peuvent être librement consommées sur territoire suisse, et inaugurer une série de prescriptions dont l’application et le contrôle, s’ils n’étaient pas d’emblée impossibles, provoqueraient d’inextricables difficultés.
L’interdiction d’employer, pour la fabrication de matériel de guerre destiné aux Empires centraux et pour la production et le transport de l’énergie électrique exportée dans ces mêmes pays, du cuivre, et notamment des installations électriques dont le cuivre aurait été fourni par les pays de l’Entente, après le 18 novembre 1915, entraînerait, comme il est exposé plus haut, l’interdiction de toute exportation d’appareils, machines et installations électriques dans les pays de l’Entente, à titre de représailles et en raison même de l’égalité réclamée. Les Gouvernements alliés apprécieront eux-mêmes cette conséquence; quant au Conseil fédéral, il doit s’élever contre le préjudice qui serait causé de ce chef à l’industrie nationale; il doit s’élever en particulier contre les restrictions qu’on voudrait imposer à la Suisse en ce qui concerne la production et le libre emploi de l’énergie électrique.
Pour ce qui est de la demande de suspendre dans le plus bref délai l’exportation de toutes les machines, de tous les produits hydro-électriques et de tous les tissus de coton, de façon à permettre de procéder aux enquêtes nécessaires, le Conseil fédéral regrette de ne pouvoir y satisfaire. Les principes posés lors de la constitution de la S.S.S. et avec lesquels - il serait superflu de le démontrer - les demandes formulées sont en contradiction, ne peuvent être unilatéralement mis hors de vigueur ou suspendus. On ne voit pas bien non plus pourquoi il serait impossible de procéder aux enquêtes qui deviendraient nécessaires, sans suspendre les conventions intervenues entre le Conseil fédéral et les Gouvernements de l’Entente.
Le Conseil fédéral ajoute qu’il a pris connaissance avec une sincère satisfaction de l’assurance donnée à la fin de la note collective, que les Gouvernements alliés se rendent parfaitement compte de la position difficile dans laquelle se trouve la Suisse et de leur désir d’en tenir compte le plus largement possible dans l’examen des demandes discutées plus haut, basées uniquement sur le principe de réciprocité vis-à-vis de tous les belligérants. Le Conseil fédéral ne doute point qu’un examen approfondi de ces demandes ne convainque les Gouvernements alliés que rien ne peut provoquer ou justifier cette nouvelle et grave atteinte aux intérêts économiques de la Suisse, laquelle n’a d’autre volonté que de remplir consciencieusement les devoirs résultant de sa neutralité. D’ailleurs, il va sans dire que le Conseil fédéral ne se refusera nullement à prêter son concours actif pour procéder à l’examen de cette importante question.