Language: French
2007
Jean-Jacques Langendorf, Histoire de la neutralité. Une Perspective,Gollion, Infolio, 2007.
Bibliographical reference (Bib)
http://www.infolio.ch/detailcatalogue2.php?LivreID=167
On fait à la neutralité politique et militaire une réputation détestable. Alors que les débats qu'elle continue de nourrir tendent à simplifier et à obscurcir le problème, cet ouvrage veut montrer ce qu'elle est. Il offre une vue d'ensemble des formes qu'elle a revêtues ou revêt dans les pays qui l'ont adoptée, de ce qu'elle peut ou ne peut pas, de ses prérogatives et de ses limites, des problèmes philosophiques que pose sa nature complexe. L'auteur propose des perspectives inédites fondées sur le droit des gens, l'histoire et la politique aussi bien que la philosophie ou la littérature. Jean-Jacques Langendorf, maître de recherches à l'Institut de stratégie comparée de Paris, a publié de nombreux ouvrages d'histoire politique et militaire. Il est également l'auteur de plusieurs romans et recueils de nouvelles.



http://www.letemps.ch/livres/Critique.asp?Objet=4932
La neutralité à tout prix

L'historien-pamphlétaire Jean-Jacques Langendorf entonne un hymne à la neutralité. Son livre, très bien documenté, est aussi furieusement idéologique.

Titre: Histoire de la neutralité. Une Perspective
Auteur: Jean-Jacques Langendorf (4 livres chroniqués)
Editeur: Infolio
Autres informations: 352 p.


Xavier Pellegrini, Samedi 24.3.2007

Jean-Jacques Langendorf n'est pas de la race des historiens critiques. Qu'on s'attaque à la Suisse, ou simplement qu'on l'égratigne, on peut être sûr que, les armes du pamphlet à la main, il se lève pour fustiger les traîtres et dénoncer leurs méthodes d'investigation, pour «démontrer» leur malignité. Intelligent, il ne nie pas qu'en certains moments de leur histoire les Suisses n'ont pas fait preuve d'une moralité parfaite, mais il trouvera toujours des raisons politiques ou économiques puissantes pour démontrer qu'ils n'avaient pas le choix, que l'implacable marche de l'Histoire a déterminé leur comportement. C'est ainsi qu'il s'est fait l'un des censeurs les plus virulents des conclusions de la Commission Bergier.

Régulièrement décriée par des intellectuels suisses, par quelques hommes politiques et par des journalistes, la neutralité ne pouvait qu'offrir à Langendorf une occasion de ferrailler. Son livre, même s'il est fortement teinté d'idéologie, met à la disposition du lecteur une documentation qui permet de mieux comprendre comment et pourquoi la neutralité est née et a perduré. Il explique aussi avec précision les fondements juridiques et politiques d'un statut qui a surtout été choisi par les petits pays, faute d'une autre option stratégique face aux puissances européennes en perpétuel conflit.

Le livre vaut encore pour les notices dans lesquelles Langendorf décrit les caractéristiques des différentes neutralités, souvent violées, qu'a connues le continent. Il en ressort que, loin d'être un concept figé, la neutralité a beaucoup évolué dans le temps et qu'elle a été adaptée à la position géographique des pays qui l'ont adoptée. S'agissant de la Suisse, le risque d'un éclatement de la Confédération en cas d'alignement a joué un grand rôle. On l'a vu encore durant la Première Guerre mondiale quand les Suisses alémaniques sympathisaient avec les Allemands tandis que les Suisses romands prenaient position pour la France.

Fort bien. Du moins tant que l'on parle de ces guerres qui n'avaient pas d'autre but que des agrandissements territoriaux et un surcroît de puissance. Que les neutres aient su épargner le sang de leurs soldats paraît, a posteriori, très avisé. Ce qui n'empêchait pas les belligérants des deux camps de les considérer comme des traîtres et des couards, coupables de ne pas soutenir une cause «juste». On sait bien, comme le souligne Langendorf, que cette notion de justice est pour le moins relative.

Mais que dire de la neutralité suisse durant la Seconde Guerre mondiale? On aurait aimé lire Langendorf sur ce sujet: il ne lui consacre que quelques pages évitant les vraies questions. Il fait semblant d'ignorer que le conflit a opposé la barbarie nazie aux démocraties européennes. Qu'il s'agissait bien, dans ce cas, d'un affrontement de valeurs et de civilisation. S'il y eut une guerre juste, c'est bien la résistance des Alliés aux chars et aux avions de Hitler. La Suisse n'a pas voulu être de ce combat-là. Elle a laissé les Alliés la protéger tout en donnant des coups de main non négligeables aux Allemands.

Sur la Guerre froide, pas un mot. Elle a pourtant, si l'on y pense bien, mis la neutralité suisse dans une situation grotesque, à égale distance de Staline et Brejnev d'une part, de De Gaule et Kennedy de l'autre. Que penser, enfin, d'une Suisse neutre au milieu d'une Europe pacifiée, dont elle dépend pour tout ou presque?

Une réponse, tout de même. Elle est apocalyptique. «Le pire finit toujours par arriver», répète Langendorf. Dans le monde, les conflits se multiplient. Bientôt, ils toucheront l'Europe orientale (?!), les impérialismes vont s'affirmer comme jamais... Que les Suisses puissent, si nécessaire les armes à la main, contribuer à prévenir ou à contenir de tels conflits n'effleure par l'historien-pamphlétaire.

La Suisse serait-elle condamnée à contempler, volontairement impuissante, les horreurs des champs de bataille et des villes rasées? Non, car Langendorf voit venir le temps où commenceront les conflits entre continents unifiés, des conflits où rester neutre deviendra impossible. On peut espérer une fin moins tragique de la neutralité.

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