Probleme und Konsequenzen der amerikanischen Präsenz in der Türkei. Betrachtungen zur Truman-Hilfe und zum Marshall-Plan. Verhalten und Einmischung der USA verärgern türkische Patrioten.
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 18, doc. 18
volume linkZürich/Locarno/Genève 2001
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2300#1000/716#21* | |
Old classification | CH-BAR E 2300(-)1000/716 11 | |
Dossier title | Ankara, Politische Berichte und Briefe, Militärberichte, Band 8 (1949–1951) |
dodis.ch/7085 PROPOS SUR L’AIDE AMÉRICAINE
Tout le monde sait l’effort que déploient les Etats-Unis pour faire de la Turquie un solide bastion contre l’impérialisme soviétique. On peut dire qu’il leur a été imposé par la politique de plus en plus agressive de Moscou à l’égard de ce pays qui, non seulement se montrait réfractaire à l’évangile stalinien, mais encore refusait d’accorder à son inquiétante voisine la base militaire qu’elle réclamait sur les Détroits. Comme le Gouvernement américain ne pouvait plus nourrir beaucoup d’illusions sur les desseins d’hégémonie des Soviets, il finit, presque à contre-cœur, par considérer qu’il serait de son intérêt de ne pas laisser les Turcs soutenir seuls, ou presque seuls, la pression soviétique. En octroyant armes et matériel aux régiments turcs, l’Etat-major de Washington s’assurait en fin de compte et relativement à peu de frais une base militaire qui, en cas de conflagration générale, pouvait être de la plus grande importance pour contenir une poussée «rouge» vers le Sud et la Méditerranée. Et ce fut l’aide dite Truman. Avions, chars d’assaut, canons de faible et gros calibre, véhicules de tous genres, équipements de toutes sortes furent bientôt déchargés dans les ports d’Anatolie. La Turquie sortait de son isolement, et l’on peut dire que ce fut avec un énorme soulagement qu’en présence de la persistante hostilité du Kremlin, elle vit affluer sur son territoire, sous les espèces du matériel de guerre venu d’outre-mer, comme des garanties supplémentaires de sa sécurité.
Mais si la défense nationale allait recevoir un surcroît de force appréciable, le pays ne souffrait pas moins de graves lacunes dans l’ordre économique. Trop primitive, son agriculture languissait. Ses ports manquaient d’équipement moderne et ses mines étaient, faute d’outillage perfectionné, d’un rendement nettement insuffisant. D’immenses progrès restaient à réaliser, et encore, pour y parvenir à plus ou moins longue échéance, devait-on doter au préalable le territoire des voies de communications dont il avait un urgent besoin, de routes dont l’état carrossable ne dépendît plus d’un ou deux jours de pluie. C’est alors que la Turquie bénéficia d’une autre aide américaine, celle du Plan Marshall. On n’y parvint pas sans peine. Au début, les Américains firent valoir, en effet, que le Plan Marshall avait pour but d’aider à la reconstruction des pays ravagés par la guerre; il n’avait pas pour objectif d’assurer à un pays donné des conditions de vie supérieures à celles qu’il avait connues avant la guerre. A quoi l’on rétorqua non sans raison, du côté turc, que, pour être fort militairement, c’est-à-dire pour être en mesure de défendre son indépendance avec quelque chance de succès, un pays devait être également fort sur le plan économique. On ajouta que, si le Plan Marshall visait à conjurer la crise de production dont pâtissait l’Europe, une Turquie à régime agricole amélioré pourrait aider à remédier au mal. Mieux outillée, elle serait à même d’exporter des céréales pour le plus grand bien des régions éprouvées par la disette. L’Amérique céda finalement à des arguments dont il aurait été difficile, au demeurant, de contester la valeur, et la pluie de dollars commença, à la très vive satisfaction d’un gouvernement désireux de faire sortir le pays du marasme économique, mais, en même temps, paralysé dans son action par une trésorerie exsangue qui entraîna d’ailleurs la chute du cabinet Hasan Saka.
La Turquie avait obtenu, en somme, tout ce qu’elle avait demandé. Les Américains s’étaient montrés compréhensifs, voire très généreux à son égard. Mais les Turcs eurent à payer, en revanche, une rançon qui s’avère, quoi qu’on en dise, assez lourde pour leur sourcilleux esprit d’indépendance. L’aide Truman ne se concevait point sans un contrôle assez strict de la part des donateurs. Il n’était pas question pour ceux-ci de remettre purement et simplement du matériel de guerre à leurs associés. Il fallait s’assurer de l’usage qui en serait fait et initier, en outre, le soldat turc au maniement d’engins au mécanisme aussi coûteux que compliqué. D’où la nécessité de missions militaires venues de Washington à cette double fin. C’est ainsi que l’on vit bientôt des centaines d’experts en uniforme «yankee» – plus de quatre cents à l’heure actuelle – s’établir à demeure de préférence dans les grandes agglomérations du pays. Les états-majors américains constituant ce qu’on appelle «la Mission» eurent leurs bureaux, leurs maisons à eux et, dans la capitale par exemple, plus d’un édifice de belle allure arbore du matin au soir le pavillon étoilé avec même, sur la façade, le nom des services qu’il abrite. Dans la suite, les experts firent venir leurs familles, de sorte qu’Ankara, pour ne parler que de la capitale, s’est augmentée d’une nombreuse colonie américaine dont la présence est devenue fort ostensible et qui n’a pas laissé, au surplus, d’influer sur le prix des loyers et, disons-le aussi, sur le gage des domestiques.
Comme il fallait s’y attendre, nombreuses sont aussi les personnalités américaines qui viennent voir de visu l’œuvre de leur Mission sur sol turc. Il ne se passe effectivement guère de semaines sans qu’un officier général de grand renom, un fonctionnaire puissant, un inspecteur civil ou militaire de haut rang, voire un membre du gouvernement ne dégringolent du ciel pour faire visite à la Turquie et, comme de juste, serrer la main du Président de la République. Bien entendu, les parlementaires sont également de la partie. Nombre de sénateurs sont déjà venus faire leur petite enquête sur les lieux et, aujourd’hui même, est arrivée une nouvelle délégation de «pères conscrits» chargés, comme les autres, de prouver au contribuable américain qu’il ne dépense pas son argent en Turquie pour le roi de Prusse. Il y aura évidemment, selon le rite établi, réception chez le Président de la République avec l’obligatoire photographie dans les quotidiens du lendemain. La scène se répétera encore bien des fois et elle s’est produite si souvent qu’elle est devenue d’une banalité à ne plus figurer que dans les faits-divers de la presse quotidienne. Mais ce serait faire trop bon marché des besoins de la propagande et l’on peut tenir pour assuré que, demain comme hier, la première page des journaux réservera une ou deux colonnes – plutôt trois que deux – aux grands personnages américains venus manifester leur sympathie à ce peuple décidé, quoi qu’il arrive, à tenir tête à l’ennemi commun. C’est, après tout, dans l’ordre et l’on ne comprendrait pas que la presse locale ignorât la venue à Ankara de notabilités représentatives en quelque sorte de l’aide infiniment précieuse dont les Turcs sont l’objet. Question de gratitude d’abord, mais question de courtoisie surtout, et l’on ne sache pas que, dans le domaine des convenances, les autochtones aient à apprendre quoi que ce soit de ces occidentaux qu’ils se sont résolus, depuis Atatürk, à prendre comme modèles.
Il n’en reste pas moins – et c’est là que nous voulions en venir – que, pour beaucoup de citoyens turcs, et non des moindres, la présence américaine est devenue assez encombrante. Ce sont, certes, des amis, mais ce ne sont pas moins des étrangers, et des étrangers qui auraient un peu trop de propension à fourrer leur nez partout. Cette indiscrétion sans doute inévitable ne laisse pas de peser passablement sur les Turcs dont on connaît l’ombrageux patriotisme. L’assistance qu’ils reçoivent est, certes, assez éloignée de cette tutelle que subissent, dit-on, sans trop de mauvaise grâce les Grecs, mais elle ne revêt pas moins, à leurs yeux, le caractère d’une immixtion étrangère avec tous les inconvénients qu’elle comporte pour l’amour-propre national. L’aide américaine était un pis-aller, mieux, un mal nécessaire, mais on s’est rendu compte qu’elle est plus malaisée à supporter qu’on ne l’avait imaginé. S’il est permis de l’assimiler sans trop d’irrévérence à un volatile, la souveraineté turque y a laissé des plumes. Et, dans son for intérieur, le Turc ne s’en console guère. De fait et pour peu que l’on ait de doigté, l’on sait, l’on sent qu’il faut se garder de parler «aide» et «Mission» avec votre ami turc. Vous le mettriez inutilement mal à l’aise. C’est d’autant plus frappant que jamais il n’aborderait ce sujet avec vous, même si les hasards de la conversation vous amenaient à toucher en quelque sorte du doigt le thème défendu. A preuve cette conversation que j’avais encore, l’autre jour, avec un général ami de notre pays. On eut beau effleurer la question de la modernisation de l’armée, aucun mot ne sortit de sa bouche qui eût révélé à des cénobites du Tibet qu’il existât des avions et canons américains dans le pays.
Il est possible du reste que les Américains ne font pas tout ce qu’ils pourraient pour enlever un peu à leur présence ce qu’elle a de secrètement irritant pour une âme turque éprise d’indépendance. Ils montrent peut-être un peu trop leurs uniformes, leurs autos à plaque américaine et leur drapeau. Cela irrite d’ailleurs les Russes et les Turcs n’aiment pas irriter les Russes. Ils font, au contraire, tout pour ne pas leur déplaire sans nécessité. D’un autre côté, les Américains parlent, j’imagine, un peut trop et, souvent, avec une méconnaissance assez profonde de la mentalité du peuple fier au milieu duquel ils sont appelés à vivre pour un temps. Si ce n’était pas le cas, le préposé au Plan Marshall en Turquie n’aurait pas proféré, il n’y a pas longtemps, quelque chose comme ceci à une réunion de commerçants indigènes: «Si vous avez quelque chose à proposer, venez me voir ou allez voir le Ministre compétent». C’était un peu trop confondre les positions respectives. Si important soit-il, l’honorable M. Dorr n’est pour le moment qu’un haut fonctionnaire américain; il n’est pas encore membre du gouvernement turc.
De tels propos ont bien de quoi affliger un tantinet le moins susceptible des citoyens de la «République». Et il suffirait qu’un ami américain versât trop dans le même langage protecteur pour qu’un Turc aux nerfs à fleur de peau – et il y a des êtres sensibles sous tous les climats – perdît un jour le contrôle de soi-même. C’est même arrivé dernièrement et d’une manière assez retentissante. Se trouvant à un dîner aux côtés de M. Nadir Nadi, rédacteur en chef de «La République», l’Ambassadeur d’Amérique jugea bon de lui dire qu’il regrettait, pour sa part, son dernier article sur la Yougoslavie, qui passe pour traiter assez durement les musulmans de nationalité turque vivant sur son territoire. «Vous comprenez, lui disait M. Wadsworth, vous devez ménager Tito et son régime. Le jour n’est pas éloigné peut-être où la Yougoslavie sera avec nous, etc.» On ne peut pas dire que le sang du bouillant Nadir Nadi ne fit qu’un tour, car il ne répondit rien. Mais il fit pire, car, le lendemain, il rédigea un article de fond, intitulé «Une réponse», dans lequel il exhalait toute son indignation à l’endroit de ce malotru d’Américain qui s’était permis de lui indiquer la ligne de conduite à suivre. Le Turc patriote en avait assez. Sa dignité offensée éclatait et avec quel courroux! C’était à n’en croire ses yeux. «Si, écrivait-il noir sur blanc, son séjour prolongé dans les pays du Proche-Orient a eu pour effet de faire oublier quelque peu à mon interlocuteur certaines règles de la bienséance … je n’en suis pas moins obligé, en ma qualité d’humble journaliste de la Turquie d’Atatürk, de maintenir mon niveau de civilisation». Autrement dit, son interlocuteur était un Ours du Danube qui avait oublié à qui il parlait. Il n’était plus dans la Turquie des capitulations; il était dans la République indépendante fondée par Mustafa Kemal le libérateur. Mon collègue a dû se le tenir pour dit. Il sera plus prudent une autre fois.
Tout cela n’est pas très grave, mais il était bon de relever que, si les Turcs apprécient l’aide d’outre Atlantique, ils ne maudissent pas moins in petto – il n’y a là rien de contradictoire – les circonstances qui les ont obligés à s’accommoder d’une ingérence étrangère dont leur cœur de patriote ne pouvait que souffrir. Ah! comme ils auraient été heureux de vivre en bonne amitié avec les Russes et de laisser l’Occident en découdre, le cas échéant, avec eux! Mais voilà, Moscou n’a pas voulu. Ce n’est pas leur faute. Ils acceptaient bien, fidèles au mot d’ordre d’Atatürk, d’être des Occidentaux, mais ils le sont devenus beaucoup plus qu’ils ne l’auraient souhaité. C’est le destin qui en a ainsi décidé. Pas eux2.
P. S. – Ce rapport était écrit lorsque le fameux journaliste américain, M. Walter Lippmann – encore un qui désirait se rendre compte sur place de l’effort américain! – a tenu, je ne sais trop pourquoi, à venir me saluer à la Légation. Nous l’avons reçu chez nous avec Mme Lippmann et sa fille, heureux, en somme, de cette visite à laquelle ma femme et moi étions loin de nous attendre.
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