Classement thématique série 1848–1945:
IV. POLITIQUE HUMANITAIRE
IV.5. ACTIVITÉS D’ENTRAIDE INTERNATIONALE
Imprimé dans
Documents Diplomatiques Suisses, vol. 15, doc. 248
volume linkBern 1992
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Archives | Archives fédérales suisses, Berne | |
▼ ▶ Cote d'archives | CH-BAR#E2001D#1000/1553#7808* | |
Ancienne cote | CH-BAR E 2001(D)1000/1553 485 | |
Titre du dossier | Beteiligung der Schweiz am Wiederaufbau Europas. Projet «S» (1943–1945) | |
Référence archives | B.55.48.05.Uch |
dodis.ch/47852
Proposition du Département politique au Conseil fédéral1
OCTROI D’UN CRÉDIT POUR L’ACTION NATIONALE SUISSE DESTINÉE À SECOURIR LES VICTIMES DE LA GUERRE (SECOURS SUISSE D’APRÈS-GUERRE)
Le 25 février dernier, le Conseil fédéral a approuvé un rapport concernant la participation de la Suisse aux œuvres de secours d’après-guerre2. En même temps, les principes fondamentaux de cette action ont été définis. Il a été prévu qu’elle ne s’écarterait pas des règles découlant de notre neutralité; qu’elle devait, dans l’exécution comme dans l’inspiration, traduire la volonté du peuple suisse uni, sans fractionnement au gré des sympathies et en faisant abstraction des partis, des classes, des intérêts et des convictions religieuses; qu’elle serait rigoureusement désintéressée, et absolument distincte des efforts, parfaitement légitimes d’ailleurs, tendant à associer l’économie suisse à la reconstruction de l’Europe.
Un communiqué paru le jour même a sommairement renseigné notre population, et du même coup ceux qu’il importait de prévenir, au-delà de nos frontières, de notre intention de payer en toute indépendance notre tribut aux victimes de la guerre.
Le Département politique avait annoncé qu’il soumettrait dès que possible au Conseil fédéral des propositions concernant la composition d’un «Comité d’étude» et le mandat qui serait confié à cet organe.
Bien que le Conseil fédéral n’ait pas été appelé depuis le 25 février à délibérer sur ce sujet, nous l’avons régulièrement informé des étapes successives que franchissaient les travaux préliminaires entrepris dans le sens de sa décision de principe et conformément à l’esprit dont elle s’était inspirée.
Pendant le même temps, la situation générale a passablement évolué. Les événements militaires se sont même, au cours de l’été, succédé à vive allure3
. Si la guerre s’est rapprochée de nos frontières, elle paraît aussi aller vers sa fin, - en Europe du moins, - ce qui diminue naturellement la durée du risque auquel nous sommes exposés.
Autre constatation: certaines populations, qui devront, en raison du voisinage, de la parenté ethnique et de vieilles traditions, figurer au nombre des bénéficiaires de notre premier secours, pourraient bien, au moment où les hostilités prendront fin, ne plus avoir aussi impérieusement besoin de notre assistance. Tel est notamment le cas d’assez vastes régions en France et en Italie du Nord. Le moment est donc venu de sortir de la réserve apparente observée jusqu’ici et de passer de la phase des études préliminaires, actives mais prudentes et discrètes, à celle de la préparation au grand jour; en d’autres termes, il est temps de mobiliser l’esprit altruiste du peuple suisse en faisant appel à sa générosité.
Avant de formuler à ce sujet des propositions concrètes, il convient de récapituler brièvement ce qui s’est fait depuis sept mois.
Hors de nos frontières:
L’UNRRA, cette entreprise géante, sans précédent, a fait ses premiers pas, mais elle n’a pas encore triomphé de la crise de croissance que chacun doit affronter avant de s’affirmer. Jusqu’ici, elle a dû se contenter de créer des vastes camps de réfugiés dans le Proche-Orient et en Afrique du Nord. Pour les actions de «secours et de relèvement» (l’équivalent français officiellement admis à Atlantic City pour United Nations Relief and Rehabilitation Administration est «Administration des Nations unies pour l’aide et le relèvement»), une foule de problèmes ont surgi. On est notamment aux prises, d’une part, avec les exigences sans doute justifiées des autorités militaires d’occupation et, d’autre part, avec l’intention qu’ont certains pays de l’Europe occidentale et septentrionale, jaloux de leur souveraineté et pourvus des moyens financiers nécessaires, de s’occuper eux-mêmes du relèvement de leurs populations. A cela s’ajoutent naturellement des difficultés d’ordre politique dont on peut aisément se faire une idée.
Il avait été décidé, en février dernier, que la Suisse, comme le lui dictait sa stricte neutralité, devait se montrer réservée à l’égard de l’UNRRA. Les milieux de PUNRRA - pour autant qu’on en pouvait juger - avaient d’ailleurs compris qu’une adhésion de la Confédération à une association de Gouvernements d’un des groupes de belligérants aux prises ne saurait être envisagée durant la guerre. Mais il était indispensable que nos autorités soient aussi exactement que possible renseignées à son sujet et leur attitude prudente ne leur interdisait certes pas d’entretenir avec l’UNRRA des rapports de fait, un contact officieux, même de prévoir, le cas échéant, une participation suisse à telle ou telle action positive d’assistance jugée compatible avec nos principes et avec nos moyens. Un représentant officieux de l’UNRRA, qui jouit des privilèges et immunités d’un chef de mission diplomatique, fut donc accueilli. Cette fonction est assumée par Mr. Royall Tyler, citoyen américain. En outre, la Suisse a usé de la faculté qui lui était offerte de se faire représenter à la deuxième session plénière du conseil de PUNRRA par un «unofficial observer» en la personne de M. Feer, Conseiller de notre Légation aux Etats-Unis4. A en juger par les nouvelles de presse parvenues de Montréal, il semble que l’on ait non seulement compris, mais apprécié notre intention d’agir indépendamment en faveur des populations victimes de la guerre. Le tact et l’habileté de Mr. Tyler auront sans doute contribué à faire admettre ce point de vue dans un milieu mal familiarisé avec notre situation particulière et avec nos traditions.
Pas plus qu’au début de cette année, nous n’excluons aujourd’hui la possibilité, voire l’utilité, à un moment donné, de liens plus étroits avec l’UNRRA; c’est une raison de plus pour doter notre «secours d’après-guerre» d’une structure organique extrêmement souple.
Si, du plan international, on passe au plan national, les préparatifs entrepris chez nous sont, en résumé, les suivants:
M. E. Wetter, ancien Conseiller fédéral, a bien voulu assumer l’inspiration et la direction de la noble mais lourde tâche qui s’annonce. Aucune personnalité n’était mieux qualifiée et sa collaboration est précieuse.
M. Wetter a commencé par prendre une série de contacts avec la finance, le commerce, l’industrie, les assurances, d’une part, et les organisations privées susceptibles de s’intéresser activement à l’action de secours, d’autre part. Il s’est assuré, de leur part, le concours et l’appui nécessaires. Ensuite, il a recouru aux administrations fédérales compétentes pour établir, d’une manière coordonnée, l’inventaire des ressources en vivres, vêtements, chaussures, articles de première nécessité, etc. dont nous pouvons disposer. Ce recensement, de même que la détermination des projets déjà conçus par l’initiative privée, permettent d’esquisser un programme maximum dont les chiffres ci-après donnent une idée (au moment de l’établissement du présent rapport, M. Wetter n’avait pas encore été saisi des projets d’action de secours des œuvres et institutions, autres que la Croix-Rouge, qui se préparent à jouer un rôle actif, chacune dans sa branche, en faveur des populations victimes de la guerre):
[...]5
Les indications qui précèdent permettent de se faire une idée de la variété des tâches qui pourront être entreprises. Il appartiendra aux organes compétents de déterminer celles-ci, non pas d’avance, d’une manière schématique, mais le moment venu, compte tenu du degré d’urgence, de la hiérarchie des besoins.
M. Wetter s’est ensuite préoccupé du financement de l’action. Il a constaté qu’il fallait éviter d’articuler d’emblée une somme globale, de taxer en quelque sorte le pays. En effet, lorsque, en pareil cas, le montant en est fixé trop haut, le fait de ne pas l’atteindre produit l’impression d’un échec, tandis que, s’il est fixé trop bas, la générosité collective et individuelle s’en ressent. Il a en outre constaté, comme nous l’avions prévu en février, que dans l’hypothèse la plus favorable, une collecte ne pourrait pas produire plus de quelques dizaines de millions et qu’une contribution substantielle de la Confédération, peut-être aussi des cantons et des municipalités, s’imposait.
Pour l’organisation de la collecte, les spécialistes, c’est-à-dire les dirigeants de celles de nos grandes institutions nationales qui tirent leurs ressources des dons de la population, ont été consultés. De plus, on a fait en sorte qu’aucun appel public de fonds pour des tâches particulières d’après-guerre ne précède la grande collecte nationale envisagée. Le produit de celle-ci sera judicieusement réparti et l’on n’oubliera naturellement pas les œuvres en faveur de Suisses, dont les ressources se seront momentanément ressenties de l’effort particulier demandé au public.
Les fonds seront gérés par le Département fédéral des Finances et des Douanes, ce qui permettra d’éviter la création d’un appareil spécial.
Pour ce qui est de la structure organique dont l’action doit être dotée, M. Wetter l’a, ensuite de ses études et consultations, conçue comme suit:
Tout d’abord, un comité largement représentatif, placé sous le patronage du Conseil fédéral. M. Wetter présiderait cette assemblée, dont la dénomination serait «Comité national pour le secours suisse d’après-guerre» («National-Komitee für die schweizerische Nachkriegshilfe» - «Comitato nazionale per l’azione svizzera di soccorso nel dopoguerra»). Le Conseil fédéral donnerait son approbation à sa composition avant qu’il soit convoqué.
Les circonstances montreront s’il est nécessaire de lui octroyer la personnalité juridique.
Une commission exécutive peu nombreuse («Arbeitsausschuss») s’acquitterait, sous la présidence de M. Wetter, du travail effectif dont on ne peut s’attendre de la part d’un comité comprenant plusieurs dizaines de personnes. Cette commission comprendra l’équipe des experts que M. Wetter a associés à ses études préparatoires, auxquels se joindront un nombre restreint de membres du Grand Comité.
Des sous-commissions, jouissant du maximum d’autonomie, seront responsables, l’une de la collecte et de la propagande qui précédera et accompagnera celle-ci, l’autre de l’acquisition et de l’expédition des secours et la troisième de la distribution de ceux-ci.
L’ensemble du travail sera dirigé, coordonné et surveillé par M. Wetter, que le Délégué aux œuvres d’entraide internationale continuera à assister.
Nous avons l’honneur deproposer:
1) qu’il soit pris acte du rapport ci-dessus sur l’état des travaux préparatoires du secours suisse d’après-guerre,
2) d’approuver les mesures envisagées pour la poursuite de ces travaux et l’organisation effective de l’action selon les grandes lignes esquissées dans le rapport,
3) de consacrer à ladite action des ressources, en nature ou en espèces, évaluées à 100000000 de francs au maximum, sous réserve de ratification par le Parlement6,
4) de patronner l’appel qui sera adressé à la population suisse, aux cantons, aux communes, aux entreprises lucratives, pour recueillir d’autres ressources substantielles sous forme de dons volontaires,
5) d’inviter M. Wetter à soumettre, pour approbation, la composition du Comité représentatif qu’il présidera et auquel incombera la tâche de coordonner et de financer les actions de secours d’après-guerre au moyen des fonds provenant tant de la générosité publique que de la Confédération et éventuellement des cantons et municipalités.
- 1
- E 2001 (D) 3/485. Le Conseil fédéral approuve cette proposition lors de sa séance du 10 octobre 1944 (.PVCF 0 1736, E 1004.1 1/450). Cf. aussi PVCF ° 2318 du 27 décembre 1944, E 1004.1 1/452.↩
- 2
- Cf. No 82.↩
- 3
- Le 29 août 1944, le Chef du DPF adresse la notice suivante au Délégué du Conseil fédéral pour les Œuvres d’Entraide internationale: Le rythme des événements s’accélère. Si notre politique de neutralité nous oblige à certains ménagements, notre politique tout court exige que, pour les pays qui nous entourent, nous puissions d’une manière autonome intervenir en faveur des populations civiles sans trop tarder. C’est la rapidité de notre action qui en fera la valeur. Je vous serais donc reconnaissant de bien vouloir vous entretenir avec M. Wetter pour que d’ici quelques semaines nous soyons prêts, s’il le faut (E 2001 (D) 3/485).↩
- 4
- Cf. son rapport du 2 octobre 1944, E 2001 (D) 3/491 et E 2001 (E) 1/154.Sur les relations avec l’UNRRA en 1944, cf. aussi E 2001 (E) 1/208 et E 7110/1976/134/61.↩
- 5
- Suit une série de tableaux statistiques sur les projets d’aide de la Suisse aux victimes de la guerre. Il s’agit des projets élaborés par l’OFIAMT (budgétés à 159,8 millions de FS), par l’Office fédéral de guerre pour l’alimentation (60,3 millions), par l’Armée (75 millions) et des actions dont la Croix-Rouge suisse et le Secours aux enfants envisagent de pouvoir se charger (101 millions).↩
- 6
- Sur la préparation du message du Conseil fédéral aux Chambres concernant le Don suisse, cf. la notice du 13 octobre de Ed. de Haller: [...] M. Pilet-Golaz a fait à M. Keel les quelques suggestions suivantes: Il tient à ce que le message soit très substantiel, détaillé, étoffé et s’étende sur les divers aspects de l’action envisagée. Il devra marquer que l’action projetée ne sera pas faite dans un but de politique extérieure mais sera une conséquence des circonstances actuelles. Il faudra montrer l’aspect moral de l’affaire. [...] M. Pilet-Golaz désire que dans le message on tienne compte de l’élément «démocratie» et l’on donne bien au Parlement l’occasion de se décider lui-même en toute liberté. Il serait d’autre part utile de faire un alinéa dans lequel on traiterait des dommages de guerre subis par les Suisses à l’étranger. Il ne faut pas donner d’illusions à ceux-ci mais, d’un autre côté, pas les décevoir.[...] En ce qui concerne les besoins sociaux internes (assurances vieillesse, survivants, familles), question qui préoccupe beaucoup le Parlement et l’opinion publique, certaines critiques font état du fait que l’on secourra l’étranger au lieu de faire quelque chose à l’intérieur du pays. Cet argument est fallacieux car le Don à l’étranger est unique tandis que l’assurance vieillesse serait une charge fixe qui pèserait sur les finances. Enfin, on pourra dire, au point de vue financier, qu’il s’agit d’argent qui reste en Suisse pour payer des stocks de marchandises existant dans notre pays et que le Don suisse déchargera en quelque mesure le marché intérieur à un moment où le chômage commencera peut-être à se faire sentir (E 2803/1969/302/1). Le 23 novembre, le Chef du DPF écrit au Président de la Confédération, W. Stampf li, pour lui transmettre le projet de message: Il est rédigé en tenant compte des circonstances suivantes: 1) Il est destiné au moins autant à l’étranger qu’à l’intérieur; 2) il doit éviter le plus possible les détails d’ordre administratif qui pourraient ternir son éclat humanitaire et généreux; 3) il ne fait pas mention des avantages pratiques, directs et indirects, de cette action pour l’économie nationale suisse et sa politique extérieure. Cela fera l’objet des explications données de vive voix aux Commissions (E 7001 (B) 1/345). Cf. le texte publié du Message in FF, 1944, pp. 1349-1356.↩
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Planification de l'ordre d'après-guerre (Deuxième Guerre mondiale) (1943–1944)