Classement thématique série 1848–1945:
2. RELATIONS BILATÈRALES
2.23. UNION SOVIÉTIQUE
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 14, doc. 302
volume linkBern 1997
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2001D#1000/1558#16* | |
Old classification | CH-BAR E 2001(D)1000/1558 2 | |
Dossier title | Frage der Wiederaufnahme der diplomatischen Beziehungen zu Russland (Verhandlungen 1944): Aktensammlung BR Pilet-Golaz (1939–1944) | |
File reference archive | B.15 • Additional component: Russland: Anerkennung Sowjet-Russlands |
dodis.ch/47488
Le Département politique aux Légations de Suisse1
Nous vous avons signalé l’an dernier que les sessions des commissions des pouvoirs extraordinaires du Conseil national et du Conseil des Etats, dont les délibérations sont secrètes, permettent de régler à huis clos certaines questions qui ne se prêteraient pas, dans les conjonctures actuelles, à des débats publics devant les Chambres fédérales.
Le problème délicat de la reprise des relations diplomatiques entre la Suisse et l’URSS, qui, avant la guerre, a déjà si souvent été inscrit à l’ordre du jour de nos Conseils législatifs, a été évoqué par M. Walder, membre du parti indépendant (Duttweiler) devant la commission des pouvoirs extraordinaires, qui a siégé à Berne les 1er et 2 février2.
M. le Conseiller fédéral Pilet-Golaz a eu ainsi l’occasion d’expliquer de façon assez complète le point de vue du Conseil fédéral à son égard. L’interpellates s’est déclaré parfaitement satisfait.
L’exposé du Chef du Département Politique ne peut être reproduit intégralement vu le caractère secret des délibérations au cours desquelles il a été fait. Il pourrait vous être utile toutefois d’en connaître les grandes lignes pour votre information strictement confidentielle. Ce sont les suivantes:
En principe, la Suisse doit entretenir des relations avec tous les Etats constitués. Son existence et sa politique l’exigent. Son existence parce que c’est un pays continental sans débouché extérieur, sans matières premières et qui vit essentiellement de son travail; qui, par conséquent, doit acheter au dehors pour se procurer ce dont il a besoin et qui doit vendre pour obtenir les ressources qui lui sont nécessaires. Plus ses relations commerciales sont étendues, plus sa situation économique est forte. On ne doit jamais l’oublier quand on considère l’attitude de la Suisse vis-à-vis des autres pays. Politiquement aussi, puisque la Confédération s’est déclarée durablement et loyalement neutre - son gouvernement doit entretenir des relations diplomatiques avec tous les Etats. C’est le principe de la neutralité politique. Par conséquent, le Conseil fédéral ne peut que regretter de ne pas avoir de relations diplomatiques avec certains Etats. C’est là une situation anormale; comme toutes les situations anormales, elle ne peut pas durer indéfiniment.
Ce qui vient d’être exposé comme principe général de la politique extérieure de la Suisse, c’est l’opinion du Conseil fédéral depuis longtemps. Dans un mémoire rédigé au cours de l’année qui a précédé sa mort, donc en 19393, et quinze jours avant le rapprochement qui devait s’effectuer entre l’URSS et l’Allemagne, M. Motta écrivait:
«La Suisse a un intérêt incontestable à vivre en bonne intelligence avec tous les autres pays. Petit Etat, sans accès à la mer, qui, pour nourrir toute sa population, doit exporter les produits de son travail, la Suisse a besoin de ne négliger aucune bonne volonté dans le monde. Elle est ennemie d’une politique de prestige qui la pousserait à éterniser des querelles. Sa neutralité traditionnelle ellemême lui conseille de régler aussi promptement que possible les différends qui se produisent dans ses relations avec les autres Etats.»
C’est là le principe général. Un autre alinéa concernait surtout l’URSS «La position prise par le Conseil fédéral à l’égard de l’URSS, disait encore M. Motta, ne lui a jamais été dictée par la passion. Il n’est pas opposé par parti pris à renouer des relations diplomatiques avec le gouvernement soviétique. Ayant toujours refusé de se placer sur le terrain de l’antagonisme idéologique, il n’a jamais cédé aux sentiments fanatiques de haine ou d’admiration que l’URSS a pu inspirer. A maintes reprises, le Conseil fédéral a déclaré qu’il était disposé à renouer avec la Russie, si les circonstances s’y prêtaient.»
Telle était l’opinion du Conseil fédéral au mois d’août 1939. Il avait eu l’occasion de se déterminer sur le mémoire de M. Motta. Cette opinion n’a pas changé.
Pourquoi, peut-on se demander, la Suisse n’a-t-elle pas de relations diplomatiques avec la Russie puisqu’en principe elle devrait en avoir avec tous les Etats constitués?
Parce qu’il y a eu des causes concrètes qui ont nécessité à l’époque une rupture. Il ne s’agit pas de causes idéologiques. Ce n’est pas parce que la Russie a adopté le système actuel que le Conseil fédéral a rompu avec elle. La Russie a adopté ce système en octobre 1917. C’est plus d’une année plus tard que le Conseil fédéral a rompu avec la Russie, non pas du tout à cause de son organisation politique intérieure, mais pour d’autres motifs. Evidemment, la Suisse avait beaucoup souffert de la révolution. Les dommages qui ont été occasionnés aux Suisses de Russie et aux Suisses ayant des intérêts dans ce pays sont considérables. On a calculé que leur total s’élevait à peu près à un milliard et demi. Puis il y a eu la manière dont on a traité les diplomates à St-Pétersbourg et qui n’était pas conforme aux usages internationaux. Mais la raison déterminante et définitive fut une raison non pas de politique internationale, mais une raison de politique interne, on pourrait dire une raison de politique nationale: c’est Pimmixion de la mission diplomatique des Soviets à Berne, celle qu’on a appelé la mission Bersine. C’est à ce moment-là, parce que justement on débordait le cadre de la politique internationale pour empiéter sur le terrain de la politique nationale, que le Conseil fédéral a ordonné le renvoi de la mission Bersine.
Dès lors, toutes les relations n’ont pas été rompues avec la Russie; elles ont continué au contraire dans le domaine commercial pendant assez longtemps. Elles n’ont été véritablement suspendues qu’en 1923, après l’assassinat de Vorowski. L’assassin s’appelait Conradi. Il fut traduit devant les tribunaux suisses qui, sans doute pour des raisons sentimentales, l’ont acquitté. C’est à ce moment-là que le gouvernement russe a commencé à boycotter la Suisse. Ce fut la période la plus creuse. Elle n’a pas duré longtemps, mais, malgré ce boycott commercial, des relations ont toujours existé parce que les faits nécessitent pareilles relations. Elles ont été essentiellement d’ordre technique.
Dans plusieurs domaines de la technique, pour ne parler que de la poste, des chemins de fer, du téléphone, des télégraphes et de la radio, les relations ont continué entre la Suisse et la Russie, entre les administrations suisses et les administrations russes.
Les relations économiques ont été reprises à partir de 1927, d’abord par l’intermédiaire de la délégation commerciale russe, qui était à Berlin, et par les services commerciaux suisses dans la capitale du Reich. Ces relations se sont constamment étendues, et, pour finir, une délégation, présidée par le Dr Ebrard, a été envoyée à Moscou où elle a été reçue officiellement. Les Russes ont eu eux-mêmes une mission commerciale en Suisse. Cette mission commerciale était encore sur le territoire de la Confédération lorsque la guerre a éclaté entre l’Allemagne et la Russie. La Russie a demandé de faciliter son départ et c’est la Suisse qui l’a organisé et qui en a même assumé la responsabilité jusqu’en Turquie4. Depuis, il va sans dire qu’aucune discussion commerciale ne s’est produite parce qu’elle n’aurait pas d’objet en ce moment. Mais d’autres contacts ont eu lieu.
Les diplomates suisses ont pour instructions de ne pas rechercher de rencontres avec des diplomates russes5. Mais s’il leur arrive, par exemple, d’être invités chez un tiers en même temps que le représentant des Soviets ils n’ont pas l’ordre de refuser parce que de tels contacts peuvent, du point de vue diplomatique, être utiles. C’était d’ailleurs une nécessité si la Confédération voulait remplir jusqu’à l’extrême limite des possibilités le rôle humanitaire qu’elle estime devoir remplir et faciliter également à la Croix-Rouge internationale certaines de ses entreprises. Un pas de plus a même été fait dans un pays où la Suisse a des intérêts étrangers à défendre, pays occupé partiellement par la Russie et par l’Angleterre: il s’agit de l’Iran. Là, il est absolument nécessaire si la Suisse veut remplir sa mission qu’elle ait des contacts avec les uns et les autres. Ces rapports, toujours de fait, n’ont pas donné lieu jusqu’à maintenant à des frottements particuliers. On voit donc que la Suisse n’est pas sans contact avec l’URSS et qu’elle n’affiche aucune passion idéologique.
En ce moment, le Conseil fédéral n’a donc pas de motifs pour renouer les relations diplomatiques avec la Russie parce que, pratiquement, il n’y a pas d’objet à discuter avec les Soviets. Ce serait un acte purement politique et cet acte politique il faut l’éviter pour l’intérieur et pour l’extérieur: pour l’intérieur parce que, comme il l’a été dit plus haut, le début de la rupture doit être recherché dans une cause interne et non pas internationale. Il y aurait des discussions assez âpres, tout à fait inopportunes. Ce n’est pas en ce moment qu’il faut se diviser à l’intérieur, si peu que ce soit, par des débats inutiles. De telles discussions pourraient avoir des répercussions internationales. On y verrait une modification de l’attitude de neutralité, une prise de parti. Il n’y a pas de considérations objectives, matérielles pour renouer aujourd’hui. De plus, la règle toujours observée depuis le 31 août 1939 serait abandonnée, règle qui a été extrêmement utile, sans être toujours agréable à appliquer. Le statut diplomatique de la Suisse a été cristallisé au 31 août 1939, au moment où la guerre a éclaté, pour tous les pays qui ont été entraînés dans la tourmente, de façon à ne pas avoir à prendre en considération, pendant la durée de la guerre, des changements qui pouvaient paraître définitifs à ceux qui les provoquaient, qui les désiraient ou les suscitaient, mais qui n’étaient que des résultats temporaires de guerre que d’autres événements pouvaient venir complètement transformer. C’est cette attitude rigide, mais sûre qui a permis d’éviter quantité de difficultés.
Actuellement, tout le monde comprend qu’en droit la Suisse s’en tienne à sa situation du 31 août 1939, que depuis elle connaisse des situations de fait, mais que la situation de droit ne sera discutée à nouveau qu’une fois la guerre terminale; pour éviter précisément les influences momentanées. C’est une attitude qui a été admise et qui ne fait pour ainsi dire plus l’objet de discussions depuis un an avec les deux groupes de belligérants. Mais il va de soi qu’à la fin de la guerre il n’y aurait plus de raison de la maintenir; il faudra substituer le droit aux faits, en tenant compte des décisions des traités de paix et en cherchant, dans une atmosphère de tranquillité et de raison, une solution du problème russe qui sauvegarde les intérêts de la Confédération.
- 1
- Lettre: E 2001 (D) 9/2. Paraphe: NT.↩
- 2
- Pour les procès-verbaux de cette commission, cf. E 1050.1 III. 1-3.↩
- 3
- Il s’agit du Rapport sur les relations entre la Suisse et l’URSS du 15 août 1939 (E 2001 (D) 9/1); aussi DDS, vol. 13, doc. 126, dodis.ch/46883.↩
- 4
- Sur le rapatriement de la délégation commerciale soviétique en été 1941, cf. Nos 72, 73, 77, 80, 88, 90 et 92. A. A ce sujet, voir la lettre du Chef de la Division des Affaires étrangères du DPF, P. Bonna, au Ministre de Suisse à Tokyo, C. Gorgé, du 16 juillet 1942 (E 2001 (D) 9/1). Sur les relations entre le Chargé d’Affaires de Suisse à Téhéran, A. Däniker et l’Ambassadeur soviétique, A. Smirnov, Doyen du Corps diplomatique, en 1943, cf. lettres de Däniker à P. Bonna, du 23 mars 1943 et 2 février 1944 (E 2001 (D) 9/2). Pour le premier échange officiel entre la Légation de Suisse et l’Ambassade soviétique à Téhéran, cf. No 221.↩
- 5
- A ce sujet, voir la lettre du Chef de la Division des Affaires étrangères du DPF, P. Bonna, au Ministre de Suisse à Tokyo, C. Gorgé, du 16 juillet 1942 (E 2001 (D) 9/1). Sur les relations entre le Chargé d ’Affaires de Suisse à Téhéran, A. Däniker et UAmbassadeur soviétique, A. Smirnov, Doyen du Corps diplomatique, en 1943, cf. lettres de Däniker à P. Bonna, du 23 mars 1943 et 2 février 1944 (E 2001 (D) 9/2). Pour le premier échange officiel entre la Légation de Suisse et l’Ambassade soviétique à Téhéran, cf. No 221.↩
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